Algérie : pénurie de cannabis dans les rues de la capitale
Algérie : pénurie de cannabis dans les rues de la capitale
Par Fahim Djebara (Contributeur Le Monde Afrique, Alger)
Les Algérois se contentent depuis deux mois de portions réduites d’un cannabis médiocre, au prix fort. Le fruit de la lutte contre la drogue, ou contre les migrants ?
« Le prix des bananes, des légumes, de l’électricité, de l’essence… est déjà en hausse, et maintenant le cannabis ? C’est trop ! », rigole Farid en roulant un joint avec le petit morceau qu’il vient de recevoir par son livreur habituel de pizzas. A cause de la pénurie qui frappe Alger depuis la fin décembre, le prix de la résine a parfois doublé. « Autrefois, pour la même somme, j’avais une savonnette de cette taille, montre avec la main le jeune habitant de Poirson, un quartier résidentiel, en mimant ce qui ressemblerait davantage à un bon gros savon de Marseille. Mais j’ai de la chance, j’arrive encore à me fournir. »
« Au début, je me suis demandé si ça ne concernait que mes fournisseurs, se souvient Reda, jusqu’à ce qu’un ami mette un post sur Facebook : ‘wesh les Algérois ! qu’est ce qui se passe avec le shit ? !!’ ». Les internautes s’en sont donné à cœur joie sur les réseaux sociaux sans se soucier de leur surveillance, s’étonne-t-il. Les autorités semblent plus occupées à traquer les délits d’opinion.
La majorité du kif provient du Maroc
La presse a peu rendu compte du phénomène, même si le site parodique El Manchar expliquait le 15 janvier dernier comment, « à Alger, il devient plus difficile de trouver du shit que du lait », un liquide dont l’approvisionnement est parfois irrégulier. « Grave pénurie de zetla : l’Algérie accuse le Maroc de vouloir déstabiliser le pays », titrait le media.
L’origine d’une telle rupture se trouve effectivement à la frontière de l’Algérie avec son voisin, premier producteur mondial de cannabis avec l’Afghanistan, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. D’ailleurs, les consommateurs algérois, un peu envieux, se plaignent aussi de la piètre qualité de la résine, sèche, qui arrive jusqu’à eux, alors qu’à l’ouest, notamment à Oran, « elle s’émiette toute seule dans ta main », soutient Redouane.
Sur les 109 tonnes de résine saisies en 2016, 74,34 % provenaient de l’ouest, selon l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT). La gendarmerie de la région indique avoir à elle seule saisi 67 tonnes de kif traité provenant du Maroc.
L’autre frontière clôturée
« Chaque fin d’année, on est habitués à manquer de shit car beaucoup d’officiers de la frontière font du zèle pour obtenir des avancements, croit savoir ce vendeur de Dely Brahim. Mais cette année, poursuit-il, ça se prolonge à cause du renforcement de la surveillance contre les migrants. »
Depuis quatre ans, Marocains et Algériens, dont la frontière commune est fermée pour raisons diplomatiques depuis 1994, communiquent régulièrement sur leur volonté, plus ou moins mise en œuvre, de sécuriser leurs frontières par des clôtures, des murs ou des tranchées à l’efficacité douteuse. Les premiers disent vouloir se prémunir du terrorisme, les seconds de la contrebande (notamment d’essence et de drogue). Quant aux migrants, les deux pays s’accordent à vouloir leur barrer la route.
Christian, jeune camerounais en situation irrégulière, fait le lien entre les difficultés que ses camarades rencontrent pour traverser la frontière et la pénurie de cannabis. Le 2 février dernier, le quotidien gouvernemental El Moudjahid revenait lui aussi, dans un même article, sur l’arrestation de trafiquants de drogue et de migrants clandestins, à la frontière ouest, lors d’opérations pourtant distinctes.
« Peut-être que cette pénurie est une façon de nous pousser à consommer algérien ? », s’amuse un jeune fumeur, en référence au mouvement lancé en 2015 dans le pays en faveur des produits nationaux. Disgrâce d’un baron de la drogue proche du pouvoir ? Rétention de production pour faire monter les prix ? Les Algérois se perdent en conjectures. Mais peu d’entre eux, comme Brahim, un proche de hauts gradés qui assure que l’ordre a été donné à l’armée de rendre la frontière hermétique, évoquent naturellement une autre possibilité : l’éventuel succès de la lutte contre la drogue.
L’ONLDT se félicite pourtant d’une baisse de 13,9 % des prises par rapport à 2015. Un résultat que l’institution, qui n’évoque pas l’éventualité d’une efficacité moindre, attribue au « renforcement du dispositif sécuritaire aux frontières ».