Editorial du « Monde ». Combien de sirènes faudra-t-il pour que l’alerte se fasse entendre ? Dans une étude publiée lundi 10 juillet par les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), des chercheurs d’universités américaine et mexicaine évoquent la menace d’un « anéantissement biologique », après avoir analysé les évolutions des populations de plus de 27 000 espèces de vertébrés terrestres, soit la moitié des mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens connus. Ces espèces, concluent-ils, reculent massivement, à la fois en nombre d’animaux et en étendue.

Cette publication est loin d’être isolée. On ne compte plus les travaux de scientifiques, validés par les plus grandes revues à comité de lecture, qui témoignent de l’érosion de la biodiversité. Ici, les populations d’orangs-outans de Bornéo ont chuté de 25 % ces dix dernières années, pour atteindre 80 000 individus. Là, les guépards ne s’élèvent plus qu’à 7 000 spécimens, confinés dans à peine 10 % de leur aire de répartition historique. Là encore, les 35 000 lions d’Afrique accusent un recul de 43 % de leurs effectifs en vingt-cinq ans.

Le message est clair : la Terre est entrée dans sa sixième extinction de masse. Les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis un siècle, soit un rythme sans équivalent depuis l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années. Le cocktail mortifère est désormais connu : destruction des habitats – sous l’effet de l’agriculture, de l’élevage, de l’exploitation du sous-sol –, chasse et braconnage, pollution et réchauffement climatique.

L’étude des PNAS est particulièrement alarmante, car le déclin qu’elle révèle ne concerne pas seulement les animaux menacés d’extinction. Derrière les iconiques ours blancs, éléphants d’Afrique et pandas de Chine, c’est dorénavant une myriade d’espèces considérées comme communes qui voient leurs effectifs s’effondrer. Qui sait qu’en France le chardonneret a enregistré une baisse de 40 % de ses effectifs depuis dix ans ? Ou que le lézard vivipare a perdu des centaines de milliers de kilomètres carrés d’aire de vie en Eurasie ? Ces espèces de notre quotidien représentent 30 % de celles qui déclinent sur la planète. Un signe, selon les auteurs de l’étude, de « la gravité de l’épisode d’extinction biologique actuel ».

Le temps est compté

Cette disparition à petit feu de la faune, de même que celle de la flore, s’accompagnera de conséquences « catastrophiques » pour l’ensemble des écosystèmes, avertissent les chercheurs, mais aussi de désastres écologiques, économiques et sociaux. Car les milieux naturels rendent des services aussi nombreux qu’essentiels, qu’il s’agisse de la pollinisation, de l’amélioration de la productivité des terres, de l’assainissement de l’air et de l’eau ou du stockage du CO2. La capacité de la Terre à entretenir la vie, y compris la vie humaine, a été façonnée par la vie elle-même.

On sait comment limiter cet « assaut » de l’humain sur la biodiversité. Pour les gouvernements, les entreprises et les habitants de la planète, cela implique de repenser la manière dont ils produisent, dont ils consomment, et leur rapport avec le monde naturel. Mettre fin au commerce des espèces en voie de disparition. Aider les pays en développement à protéger et à valoriser leur biodiversité. Donner la priorité, en somme, au long terme sur le profit immédiat. Le temps est compté. « Deux ou trois décennies au maximum », assurent les scientifiques. Il en va de la survie de la biodiversité et du bien-être de l’humanité.