Le renforcement de la transparence s’invite au menu du prochain bureau de l’Assemblée nationale
Le renforcement de la transparence s’invite au menu du prochain bureau de l’Assemblée nationale
Par Anne Michel
Pour de nombreux députés, les avancées de l’actuelle législature sont insuffisantes. Ils souhaitent relancer la réflexion, en marge de l’enquête de justice ouverte à l’encontre de François Fillon.
L’Assemblée nationale, en 2016. | JOEL SAGET / AFP
L’affaire Fillon conduira-t-elle le Parlement à plus de transparence et de contrôles, sur l’usage des fonds publics alloués aux élus ? Selon des sources parlementaires, le sujet devrait être abordé le 22 février, date de la prochaine réunion du bureau de l’Assemblée nationale, qu’il soit ou non inscrit à l’ordre du jour officiel.
Le bureau est la plus haute autorité collégiale de l’Assemblée, sous l’autorité du président de celle-ci, Claude Bartolone (PS). L’ordre du jour sera établi, comme le veut l’usage, une semaine auparavant par M. Bartolone.
François de Rugy, l’un des six vice-présidents de l’Assemblée nationale, et membre à ce titre du bureau, est de ceux qui souhaitent ouvrir le débat à chaud, sans s’en remettre à « la future majorité de la future législature ». « J’ai toujours prôné la transparence et je continuerai ce combat essentiel pour rétablir la confiance, déclare-t-il au Monde. Je demanderai à Claude Bartolone que nous ayons cette discussion collective, même si l’Assemblée arrête de siéger fin février, nous pouvons nous réunir en délégation pour réfléchir. »
Le député écologiste (EELV) plaide pour que les députés « arrêtent de voir la transparence comme une menace. C’est au contraire l’opacité qui nourrit le fantasme et l’antiparlementarisme. Les pratiques irrégulières ne prospèrent que dans le secret et l’affaire Fillon n’aurait pas existé s’il y avait eu transparence ». Et il le martèle : « les pratiques courantes, anciennes et légales mentionnées par François Fillon lors de sa conférence de presse du 6 février, pour justifier les chèques touchés sur le reliquat de l’enveloppe collaborateurs du Sénat, ne sont pas partagées par le plus grand nombre. Tout le monde n’agit pas ainsi. Nous n’avons pas à craindre de la transparence. »
Transparence et exemplarité
Certes, les « années Bartolone » ont marqué d’importants progrès en termes de transparence, après de premières mesures adoptées sous la présidence de Bernard Accoyer (ex-UMP, membre des Républicains, président de l’Assemblée de 2007 à 2012). C’est ainsi à la fin des années 2000, qu’il a été mis fin à la possibilité d’utiliser « l’enveloppe collaborateurs » (9 618 euros depuis le 1er février) comme un revenu.
Surtout, c’est sous la présidence de Claude Bartolone qu’ont été engagées, depuis 2012, un train de réformes substantiel visant davantage de transparence et d’exemplarité, dans la gestion de l’argent public. Créé sous la présidence de Bernard Accoyer en 2011, le déontologue a également vu son rôle renforcé et ses moyens accrus, en 2016.
Mais de l’avis de nombreux députés, notamment dans les rangs de la gauche, ces avancées restent insuffisantes. La réflexion mériterait d’être prolongée sans délai, en marge de l’enquête de justice ouverte à l’encontre de François Fillon.
« Nous sommes tous éclaboussés par l’affaire Fillon »
Bien qu’il n’entre pas dans les compétences statutaires du bureau d’opérer des contrôles sur les contrats des collaborateurs employés par les députés, insiste-t-on à l’Assemblée - ces contrats étant de droit privé -, les instances dirigeantes ne peuvent faire l’économie, dans ce contexte, d’une réflexion sur de nouvelles règles de transparence, estiment-ils. Quitte à en reporter la mise en œuvre à la prochaine législature.
« Nous sommes tous éclaboussés par l’affaire Fillon alors que nous travaillons tous beaucoup, dans le respect des règles de déontologie, et que beaucoup a été fait depuis quelques années en termes de transparence, estime Laurence Dumont, députée socialiste du Calvados, également vice-présidente de l’Assemblée et membre du bureau. Nous devons, par exemple, désormais déclarer sur l’honneur, chaque année, avoir utilisé les moyens de l’IRFM [indemnité représentative de frais de mandat] conformément aux règles, et nous soumettre à l’obligation de reverser le reliquat en fin de législature ».
Conflits d’intérêts
« Peut-être devrions-nous à présent nous interroger sur l’opportunité d’interdire les assistants parlementaires familiaux et légiférer en ce sens, poursuit-elle. Si le Parlement européen l’a fait, pourquoi n’en serions-nous pas capables ? »
D’autres questions pourraient être posées, ajoute Laurence Dumont, sur « l’opportunité de maintenir à son niveau actuel le montant de l’IRFM » (5 770 euros par mois, portés à 5 840 euros au 1er février) ou « la possibilité pour les députés de se faire verser les fonds de l’enveloppe collaborateurs sur un compte bancaire afin de les gérer en direct, sans passer par les services de l’Assemblée ». Enfin, la députée ne croit pas qu’il y ait « un intérêt objectif à laisser les élus s’occuper eux-mêmes des feuilles de paie de leurs collaborateurs ».
Pour David Habib (PS), membre du bureau, « le cas Fillon montre qu’il n’est plus possible de faire l’impasse d’une réflexion sur la mise à l’écart de la fonction de parlementaire de toutes autres fonctions susceptibles de créer des conflits d’intérêts ». « Même si, ajoute-t-il, le débat ne pourra aboutir qu’au début de la prochaine législature, car des dispositions légales seront nécessaires ».
« La règle est mal écrite »
Quant à François de Rugy, il veut lui aussi relancer le débat, déjà amorcé après l’affaire Cahuzac, sur « l’encadrement de ces activités annexes à la fonction de député ». Et obliger les députés qui possèdent des sociétés à révéler auprès du déontologue la liste de leurs clients, sans pour autant la rendre publique.
Une telle mesure permettrait de préserver le secret des affaires - qu’invoque aujourd’hui François Fillon pour refuser de divulguer l’identité de tous les clients de sa propre société de conseil, 2F Conseil -, tout en révélant de potentiels conflits d’intérêts.
De fait, le candidat de la droite a pu créer cette société quelques jours avant de redevenir député, en juin 2012, en gardant le secret sur ses liens d’affaires privés, alors que d’autres élus se sont vus refuser le droit de créer des sociétés de conseil pourtant transparentes, parce que leur mandat était entamé et que la loi interdit de démarrer une telle activité une fois élu.
De même, sauf rares exceptions, un fonctionnaire qui devient député ne peut continuer à occuper son emploi, sous peine de se voir déchu de son mandat. « La règle est mal écrite », conclut l’ancien candidat à la primaire à gauche.
Le député écologiste de Loire-Atlantique propose également une réforme rapide de l’IRFM. Son idée serait d’imposer aux députés de tenir des livres de comptes, remis au déontologue, afin que des contrôles puissent être engagés et menés à bien.