Mélina Robert-Michon : « Vous faites du lancer ? On ne vous imaginait pas comme ça »
Mélina Robert-Michon : « Vous faites du lancer ? On ne vous imaginait pas comme ça »
Propos recueillis par Anthony Hernandez
La lanceuse de disque, médaille d’argent olympique à Rio, évoque les stéréotypes qui pèsent encore parfois sur les sportives.
Mélina Robert-Michon lors des Jeux olympiques de Rio. | PAWEL KOPCZYNSKI / REUTERS
A 37 ans, et depuis sa médaille d’argent mondiale en 2013, Mélina Robert-Michon s’est imposée comme l’une des têtes d’affiche de l’athlétisme français. Longtemps confinée à un relatif anonymat, la lanceuse de disque a pris une dimension supplémentaire cet été en décrochant une médaille d’argent olympique à Rio.
« Patronne » des lancers français, une discipline moins reconnue que le sprint en France, la Lyonnaise a accepté de parrainer le meeting féminin d’Eaubonne (Val-d’Oise) qui réunissait un beau plateau vendredi. En cette semaine de lancement des quatre saisons du sport féminin, initiative qui doit promouvoir notamment la médiatisation de la pratique féminine, Mélina Robert-Michon évoque les stéréotypes qui pèsent encore parfois sur les sportives et milite pour une plus grande exposition et de mise en valeur des femmes dans le sport.
Vous êtes la marraine de la sixième édition du meeting cent pour cent féminin d’Eaubonne. Quel est votre regard sur cette compétition unique en son genre ?
C’est l’occasion d’une petite parenthèse entre les compétitions habituelles et qui permet de mettre un vrai coup de projecteur sur les athlètes féminines. Ce changement fait du bien. C’est une belle initiative.
Est-ce la bonne idée pour mettre en valeur la pratique féminine ?
J’aimerais que l’on n’ait pas à le faire… Malheureusement, il y a encore du boulot pour que le sport féminin soit mieux considéré même si, en athlétisme, les femmes ont la chance d’être pas mal exposé. Pour l’instant, il faut encore des événements de ce type en espérant que l’on en aura plus besoin un jour.
À l’image des débuts de l’olympisme, le sport a été conçu par des hommes et pour des hommes. De nombreux stéréotypes sexués sont fleurissants dans le milieu sportif. Vous parle-t-on encore par exemple du cliché des lanceuses de l’Est ?
La lanceuse qui est presque un homme… Ce sont des images fortes qui sont encore présentes, et surtout chez les parents plus que chez les jeunes. Je milite pour battre en brèche cela. On peut faire du lancer et être une femme. J’ai encore pas mal de réflexions de ce genre : “Vous faites du lancer ? On ne vous imaginait pas comme ça.”
Pour aller plus loin que ce qui devrait être l’évidence, une femme peut pratiquer tous les sports, la question qui se pose est celle de la représentation du corps féminin. Pourquoi ne devrait-il y avoir qu’un seul type de corps associé à la femme ?
Ça serait le monde idéal, celui où l’on n’aurait même pas à se poser cette question. La pire idée, c’est aussi de penser que c’est le lancer qui va rendre masculine : “Tu fais du lancer, tu vas devenir un mec.” Non, ce n’est pas ça. Il y a une réelle éducation à mener. Il est vrai que les jugements sont très axés sur le physique des sportives. Une femme qui fait du sport doit nécessairement être bien gaulée et belle, sinon certaines personnes ne regardent pas. Chez les mecs, on ne se pose pas la question. On devrait regarder la performance sportive en elle-même.
Quelle est la solution la plus à même de développer la pratique féminine sportive ?
On peut partir de l’exemple du football. De plus en plus d’amateurs de foot regardent les femmes jouer, car ils se rendent compte qu’elles pratiquent du beau jeu, qu’elles ont de la technique et du physique. Il y a encore de la marge, mais il y a seulement quelques années on en était loin. Je pense que ces progrès sont dus au fait de les avoir mises en avant, d’avoir montré plus leurs matchs, d’avoir parlé des équipes féminines. Je suis lyonnaise et j’ai l’exemple de l’action de Jean-Michel Aulas à l’OL [dix titres consécutifs de championnes de France et trois Ligue des champions] qui attire de nombreuses jeunes filles. Le sport au féminin a déjà besoin de plus d’exposition.
Gagner des médailles est aussi un facteur important. D’ailleurs, vous vous êtes imposée par votre palmarès comme la patronne du lancer français.
J’essaie d’ouvrir la porte et que ceux qui arrivent après moi en profitent. Je n’ai pas envie qu’à mon départ on attende vingt ans pour retrouver ça. On a la chance d’avoir des lanceurs prometteurs. A eux de se battre, de se mettre en avant, pour que l’on continue à parler des lancers.
Avoir des résultats, faire des médailles et avoir la légitimité en tant que sportive qui réussit, cet ensemble permet de bénéficier d’une exposition médiatique. Ensuite, tu peux tenir ce genre de discours et défendre la pratique féminine. Si on ne te donne pas la parole, tu es impuissant. Il est vrai qu’un homme qui commence à faire quelques résultats va peut-être avoir plus facilement accès aux médias. Une femme doit plus prouver pour exister et obtenir ce droit à la parole.
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Durée : 04:06
En équipe de France, vous en avez des exemples proches de chez vous avec des athlètes très peu mises en avant malgré des résultats très honorables. On peut citer les lanceuses Pauline Pousse et Mathilde Andraud, par exemple.
Une athlète comme Pauline [lanceuse de disque] a quand même terminé treizième aux JO ! Même dans les autres disciplines, il n’y en a pas cinquante qui ont eu ce résultat-là. C’est parfois frustrant à résultats égaux d’avoir des traitements différents.
Et lorsque l’on est une sportive et une lanceuse, c’est la double peine ?
En athlétisme, le plus gros clivage existe, en effet, entre les disciplines n’est pas entre les sexes. Nous avons la chance de cette mixité des pratiques. A l’entraînement, dans le même groupe, je suis avec des hommes et des femmes. Lors des championnats ou des meetings, on est ensemble sur le même lieu, sur la même piste. On ne concourt pas les uns contre les autres, mais les médias sont là. Ils traitent donc les femmes comme les hommes. Ça ne se retrouve pas forcément sur les autres sports et c’est une chose qui pourrait être adaptée. Il faudrait essayer de rassembler plus, d’organiser des compétitions en commun, d’enchaîner plusieurs matchs, de faire des journées…
Vous êtes passée professionnelle après les Jeux de Pékin en 2008. Vous avez assez peu de partenaires et plutôt locaux. Est-ce rageant ?
Finalement, j’ai développé une relation de confiance avec les partenaires que j’ai rencontrés. Je préfère en avoir peu, mais avec lesquels, ça se passe bien. Ils se sont rendu compte qu’il y avait aussi des choses à faire avec moi. Ils n’y pensent pas forcément, mais c’est à nous de provoquer les envies, de donner des idées. Plutôt que de se lamenter sur le fait qu’il n’y ait pas de partenaire.
Les inégalités financières entre les hommes et les femmes se retrouvent également dans le sport. On se focalise souvent sur les tenniswomen qui veulent gagner autant d’argent que leurs homologues masculins mais qui en gagnent bien plus que la plupart des sportifs et sportives. Le principal problème n’est-il pas celui de la répartition ?
Je me dis qu’il devrait y avoir un plafond. Certaines sommes dépassent l’entendement. Que des sportifs gagnent beaucoup d’argent, OK, car ils en génèrent beaucoup. Je n’ai jamais été jalouse des footballeurs. Mais, du coup, ne perd-on pas le contact avec la réalité lorsque, dans le même temps, la majorité travaille dur et a du mal à boucler ses fins de mois. Je trouve ça indécent et il faut s’interroger : “Comment mieux répartir ?” Je me dis comment faire pour que l’on reparte sur une base plus saine. Je n’ai pas la solution.
Est-ce l’un des rares avantages de beaucoup de sportives : être à l’abri de certaines dérives ?
C’est le parallèle que je fais souvent avec les lancers. On me demande si je ne suis pas trop frustrée de ne pas être plus médiatisée, de ne pas avoir plus d’argent… Oui, mais en même temps, je suis protégée de pas mal de choses. J’ai par exemple confiance en mon entourage qui m’aide parce que ce sont des gens passionnés et pas parce qu’ils ont quelque chose à gagner. Lorsque vous voyez à quoi peuvent être confrontés des gamins dans les sports les mieux rémunérés, c’est insensé. Du jour au lendemain, leur vie est bouleversée, il y a les gens autour d’eux qui en profitent. J’ai au moins l’avantage de l’inconvénient, celui de ma tranquillité. Je ne subis pas cette pression médiatique parfois folle.
La pratique féminine de certains sports continue à être dévalorisée. On parlait plus haut de l’exemple positif de la section féminine de l’OL. Mais même dans ce club qui traverse actuellement une mauvaise passe chez les hommes, des supporteurs en arrivent à reprocher l’investissement effectué pour les femmes.
Je ne comprends pas ce besoin d’opposer l’un et l’autre. Il ne devrait pas avoir de jalousie de ce type. Et puis, c’est se cacher de la réalité d’imaginer que ce dont manque le sport masculin ce sont simplement les moyens financiers. Si les joueurs en équipe de France avaient besoin d’encore plus de moyens pour jouer mieux, ils faudraient qu’ils fassent autre chose.
Mélina Robert-Michon embrasse sa médaille d’argent olympique. | GONZALO FUENTES / REUTERS
Dans le passé, le sport a eu un rôle d’émancipation des ouvriers. Ce phénomène existe aussi pour la femme. L’avenir du sport est-il la femme ?
Il faut transmettre l’information aux femmes, leur dire qu’elles ont accès à tous les sports, qu’elles peuvent franchir le pas. Les hommes se posent moins la question. Une femme va se dire : en tant que femme, puis-je faire de la boxe ? Le fait d’en parler, de montrer des images de boxeuses aux JO, est positif. Il faut aller les chercher, leur montrer l’exemple. C’est mieux que l’injonction stérile à faire du sport.
C’est un peu votre histoire personnelle…
Je faisais du judo, du handball et du volley. L’athlétisme, je ne savais pas ce que c’était. Si, à un moment donné, il n’y avait pas eu un prof qui vient me chercher, qui insiste, je n’en aurais jamais fait. J’ai eu la chance de n’avoir, en tout cas, aucun a priori sur les disciplines, car je ne connaissais rien. Je me suis mis aux lancers sans me poser de questions. J’ai été confrontée aux clichés plus tard.
Il existe un seul sport collectif mixte, le korfball [mélange de basket et de handball, il se joue à deux équipes de quatre femmes et quatre hommes et en deux zones délimitées], très populaire aux Pays-Bas son pays de naissance. N’y-a-t-il pas des pistes à envisager et des choses à inventer à l’aune de cette mixité ?
Peut-être. Il faudrait y réfléchir. Je me rappelle que, gamine, avec mes copines, on jouait au foot à l’école avec les garçons. La question ne se posait même pas. Finalement, c’est là qu’on a raison. Ensuite, la pression sociale agit. Une fois, ma fille est rentrée du judo et elle pleurait, car son prof lui avait dit que les garçons étaient plus forts que les filles. Elle me disait : “Non, ce n’est pas vrai.” Je lui ai répondu qu’elle avait raison. Il faut qu’elle continue à le croire, qu’elle puisse choisir le sport qu’elle veut pratiquer par rapport à ses envies, pas par rapport à ce que l’on dit.