Si vous aimez la bande dessinée japonaise et la romance, mais fatigué des motifs « X et Y se découvrent dans un lycée et se cherchent pendant cinquante tomes », ne cherchez plus. Voici une sélection d’œuvres qui jouent avec le concept de romance, à garder pour soi ou à partager.

« March Comes In Like a Lion », (retrouver) l’amour (de soi)

« March Comes In Like a Lion », de Chica Umino. | KANA

Vous connaissez peut-être Chika Umino pour Honey and Clover. Dans un postulat nettement plus romantique et mélancolique, elle raconte ici l’histoire de Rei, joueur prodige de shoji (jeu proche des échecs). En pilote automatique dans son appartement vide, visage taiseux et fermé, il a abandonné le lycée pour vivre de sa prétendue passion. En plein cœur d’une compétition nationale âpre, Rei se contente de vivoter. Le jeune homme est sclérosé par un deuil impossible à résoudre, et est recueilli par trois sœurs du voisinage, qui se prennent d’affection pour lui.

March Comes In Like a Lion est un manga qui réhabilite le mélodramatique, qui sait rendre une émotion brute, la découper, la justifier, et expliquer les origines de la souffrance. Le tout dans un dessin souvent déformé, chargé et mignon, qui s’adapte à l’humeur de la scène traitée. Les personnages pourront peut-être, un jour, retrouver un amour-propre avec ces substituts de famille. Ce manga remporte aussi le prix Pixels de la représentation de chats affamés, d’un réalisme documentaire.

Les deux premiers tomes sont édités par Kana (7,45 euros). Actuellement adapté en anime par le studio Shaft, grand chantre de l’inventivité visuelle, toujours en simulcast sur Wakanim.

« Chiisakobé », l’amour humain

« Chiisakobé », de Minetaro Mochizuki. | LE LÉZARD NOIR

Ce triangle amoureux vient d’être primé à Angoulême. Minetaro Mochizuki, auteur de l’injustement boudé Dragon Head, a terminé un manga tout droit sorti d’une autre planète. Une influence comics, une ligne claire, des cadrages absurdes, des silences, un esprit de composition… et un postulat qui rappelle la série Six Feet Under. Un jeune homme va reprendre l’entreprise familiale après la mort soudaine de ses parents et va embrasser la « voie du charpentier ». Gravitent autour de lui, après quelques pages, une amie d’enfance, une jeune fille au pair et une tripotée d’orphelins dingues.

Cette saga multigenre se lit comme le story-board d’un film d’auteur – un film qui cadrerait un pied au lieu d’un visage qui parle, par exemple. Chiisakobé est une œuvre éminemment relaxante, qui parle de l’humain, des relations de circonstances, et de personnages sortis d’une autre dimension – en tout cas, pas ceux des mangas populaires. Fans d’absurde, d’humour de décalage et d’émotions froides, cela est pour vous.

Séries complète en quatre tomes, chez Le Lézard noir (15 euros).

« Dans l’intimité de Marie » et « Les Fleurs du mal », l’amour du vice

« Les Fleurs du mal », de Shuzo Oshimi. | KI-OON

Les histoires d’amour finissent mal, en général – mais pas toujours. Dans deux séries différentes, Shuzo Oshimi explore des liens qui commencent très mal et qui traversent tout ce qui peut arriver de pire. Un diptyque aux mêmes obsessions, où l’auteur projette ses propres névroses sur des jeunes tourmentés.

Dans la première, Dans l’intimité de Marie, un jeune adulte reclus développe une obsession malsaine pour une lycéenne, à qui il n’a jamais pipé mot. Soudainement, il subit un dispositif récurrent de la culture fictionnelle japonaise : il se retrouve dans son corps, et la Marie (originale) semble avoir disparu. Un motif de science-fiction qui tourne en thriller psychologique et angoissant, quelque part entre la gêne constante et l’empathie. La découverte du corps féminin, ici, n’est jamais traitée sur le ton humoristique, et l’apparition d’un troisième personnage aux sentiments refoulés vient injecter un rythme constant dans ce manga qui se dévore en grinçant des dents. Très fort.

Retour au postulat lycéen pour Les Fleurs du mal, la métaphore filée de Baudelaire se fait par un lycéen fan de littérature française, coincé entre une camarade de classe timbrée et une autre dont il pense être doucement amoureux, dans le triangle le plus masochiste du moment. Ici, on parle frontalement de vice, de perversité sexuelle et morale, où les pulsions et le spleen vont exploser à la fin du deuxième tome. Un autre manga intimiste et intelligent qui n’a aucune gêne à bousculer son lecteur, et la mise à nu d’un mangaka qui ne se pose pas de limites.

Dans l’intimité de Marie, neuvième et dernier tome à paraître chez Akata (7,95 euros). Les Fleurs du mal, deux tomes chez Ki-Oon (6,60 euros).

« Freaky Girls » et autres joyeusetés

« Freaky Girls », de Petos. | PIKKA

Monster Musume reste le nombril d’une minigalaxie d’œuvres de niche, qui mettent en scène des personnages monstres dans un grand bazar mêlant érotisme au quinzième degré, réappropriation de mythes et humour malin. Le genre arrive en France avec Freaky Girls, œuvre la plus sage du lot, où un professeur essaie de comprendre certaines de ses élèves « demi » – pour demi-humains : une vampire survoltée, une dullahan (fée de la mort du folklore irlandais) qui doit en permanence se balader avec sa tête dans les bras… Absolument inoffensif et mignon.

D’autres titres – encore en anglais – sont disponibles chez Seven Seas : T-Rex no Kanojo, une histoire d’amour d’une femme dinosaure, sous le prisme du comique – ses manières et son éducation ne sont pas au mieux, etc. –, et Miss Kobayashi’s Dragon Maid, où une « dragonne » un peu nymphomane s’immisce dans la vie d’une working girl lambda.

Premier tome à paraître chez Pika (7,20 euros).

« Qualia Under the Snow », l’amour sensible au masculin

« Qualia Under the Snow », de Kanna Kii. | TAIFU COMICS

Kii Kanna , alias « Niwatori », a d’abord évolué dans les cercles de doujins, des bandes dessinées d’amateurs, de « fan fiction », reprenant des univers déjà existants, notamment Soul Eater. Elle y cultivait déjà un trait ultrasensible et romantique, puis est entrée dans les circuits plus traditionnels de l’édition avec des mangas yaoi (homoérotiques).

Dans Qualia Under the Snow, le genre du boy’s love est accompagné de ses habituels clichés : deux personnages un peu génériques et aux traits rajeunis qui se tournent autour à outrance. Akio et Umi sont deux étudiants au lourd passé émotionnel, ils se croisent à l’université, accrochent, leur relation évolue très lentement… Quelques grosses maladresses problématiques (les personnages hétérosexuels sont qualifiés de « normaux »), mais une identité visuelle folle qu’on voudrait retrouver partout.

One-shot édité chez Taifu Comics (8,99 euros).

« Pupa », l’amour fraternel cannibale

« Pupa », de Sayaka Mogi. | KOMIKKU

Pupa prend le fétiche interdit de l’inceste et le tourne en manga d’horreur. Un frère et une sœur, à l’histoire familiale compliquée, rentrent nonchalamment de l’école, croisent une sorcière qui, quelques entrechats plus tard, va leur injecter un virus de fiction, le pupa. Maintenant, la jeune fille est en permanence aux prises d’une faim dévorante qui, si elle n’est pas rassasiée, la transforme en monstre ravageur. Le temps de comprendre le phénomène et quelques victimes plus tard, elle se tourne vers son frère, lui aussi atteint du virus avec d’autres symptômes : sa chair se régénère à l’infini. Il va donc servir à sa sœur de sac à viande humaine.

C’est spécial, mais on ne peut pas retirer une chose à Pupa : c’est unique. Selon vos goûts, c’est soit un nanar soit un objet de niche intéressant. Attention tout de même, c’est une débauche de sang et de tripailles.

Deuxième omnibus (sur trois) paru chez Komikku (12 euros).

« Deathco », l’amour de rien de rien

« Deathco », de  Atsushi Kaneko. | SAKKA/CASTERMAN

Vous avez la Saint-Valentin en horreur ? Parfait.

Deathko doit avoir dans les 10 ans. Deathko parle à la troisième personne ; Deathko zigouille des gens comme jamais ; Deathko honnit le monde entier et tout être vivant, y compris elle-même. Il faut dire qu’elle habite dans un monde où n’importe qui peut embrasser la vie de tueur à gages, et intégrer une « guilde », en compétition avec toutes les autres, pour accepter des contrats et recevoir un joli pactole. Un monde cent pour cent cynique où l’antihéroïne s’exécute, sans grande motivation, mais avec force talent et passion, entre deux séances de flâneries dans le château gothique qui lui sert de quartier général.

Deathco a des problèmes, le manga comme le personnage : il se lit très vite, le scénario ne va nulle part pour le moment et son contre-pied total peut rebuter. Mais ce manga possède un sens du découpage très cinématographique (démontré dans une introduction talentueuse) qui, au service d’un dessin plus noir que noir, en fait un objet à réserver aux plus punks d’entre vous.

Quatre tomes parus chez Sakka/Casterman (8,45 euros).

Chez le même éditeur, n’hésitez pas à jeter un coup d’œil à Snegurochka, un one-shot du très en vogue Hiroaki Samura. Une histoire d’amour en pleine URSS de 1933. Ça tombe bien, c’est dense comme de la littérature russe, et pour public averti.