La centrale au lignite de Belchatow, dans le centre de la Pologne, en septembre 2011. | DAREK REDOS / AFP

C’est la réforme de la dernière chance. Le Parlement européen doit se prononcer, mercredi 15 février, sur une refonte du marché communautaire du carbone, dans l’espoir de rendre plus efficace un dispositif qui, jusqu’ici, est resté presque totalement inopérant. L’enjeu est de permettre aux Vingt-Huit – en considérant que le Royaume-Uni fait toujours partie de l’Union européenne (UE) – de s’engager plus activement dans la lutte contre le réchauffement, pour être en phase avec l’accord de Paris sur le climat issu de la COP21.

La toile de fond est connue. L’UE est le troisième plus gros émetteur mondial de CO2 (3,47 milliards de tonnes en 2015), après la Chine (10,96 milliards de tonnes) et les Etats-Unis (5,17 milliards de tonnes). Mais elle s’est fixé pour objectif de réduire ses rejets de gaz carbonique de 40 % d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Un cap que ses pays membres suivent pour l’instant avec une détermination et une réussite inégales.

Les Vingt-Huit sont, ensemble, le troisième émetteur mondial de CO2 | Commission européenne

Pour accélérer le mouvement, l’UE a été la première entité politique et géographique à mettre en place, en 2005, un système d’échange de quotas d’émissions de CO2 (Emissions Trading Scheme). Le principe, inspiré de la règle du pollueur-payeur, consiste à fixer un plafond annuel d’émissions aux différentes industries, celles qui le dépassent pouvant acheter des quotas supplémentaires à celles qui ne l’ont pas atteint. Le jeu de l’offre et de la demande fixe ainsi le coût de la tonne de carbone émise.

11 000 installations concernées

Ce mécanisme européen s’applique à plus de 11 000 installations industrielles (centrales thermiques de production d’électricité, réseaux de chaleur, aciéries, cimenteries, raffineries, verreries, papeteries…) qui totalisent près de 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Depuis 2012, le secteur de l’aviation est inclus au dispositif, pour les vols au sein de l’espace européen.

Or, si vertueux soit-il sur le papier, ce système n’a jamais fonctionné. Du fait de l’attribution d’un volume trop important de quotas, ainsi que de la récession économique, le prix de la tonne de CO2, qui était au départ de 30 euros, a chuté à environ 5 euros. Un niveau trop bas pour avoir un effet incitatif sur les industriels, qui ne trouvent aucun intérêt à investir dans des technologies plus sobres en carbone. Les économistes estiment que ce n’est qu’à partir d’un prix plancher de 30 euros que l’on peut attendre un effet d’entraînement.

D’où la volonté de relancer la machine. Mais comment ? Le chantier de la réforme traîne en longueur. Il se heurte en effet aux dissensions entre pays défendant leurs intérêts économiques – la Pologne refuse par exemple de pénaliser son secteur charbonnier –, comme au lobby d’industries – à commencer par les cimenteries – qui craignent de perdre en compétitivité.

Une volonté de compromis

Les nouvelles règles de fonctionnement soumises aux eurodéputés doivent couvrir la période 2021-2030. Elles sont issues d’un rapport du Britannique Ian Duncan (groupe des conservateurs et réformistes européens), adopté le 15 décembre 2016 par la commission de l’environnement du Parlement européen et guidé par une volonté de compromis.

Sous réserve d’amendements apportés en cours de séance, ce texte prévoit, à partir de 2021, de réduire chaque année de 2,4 % le nombre de quotas d’émissions alloués, afin de faire progressivement remonter leur valeur marchande et de restreindre les émissions. Un taux légèrement supérieur aux 2,2 % proposés par la Commission de Bruxelles. En outre, la « réserve de stabilité », qui permet d’absorber le surplus de quotas sur le marché, pourrait geler jusqu’à 24 % des excédents de crédits, soit deux fois plus qu’aujourd’hui. Et 800 millions de quotas (à comparer aux quelque 2 milliards attribués tous les ans) seraient purement et simplement supprimés de cette réserve.

« Ces mesures vont dans le bon sens, même si elles sont insuffisantes, commente Célia Gautier, responsable des politiques européennes et internationales au Réseau Action Climat. Ce qui nous inquiète, c’est la part trop importante de quotas attribués gratuitement. »

Actuellement, en effet, seul le secteur de la production d’électricité est intégralement soumis au système des enchères. Les industries, elles, se voient allouer gratuitement la plus grande partie, voire la totalité de leurs quotas. Cela, afin d’éviter ce que les experts appellent « la fuite de carbone », c’est-à-dire la délocalisation des activités de production dans des pays moins réglementés. C’est notamment le cas des cimenteries, qui pèsent pour 8 % dans le total des émissions européennes, mais qui sont totalement exemptées d’enchères.

Résister aux pressions

« L’industrie du ciment reçoit des allocations gratuites pour émettre du CO2, elle ne paie donc pas pour la pollution qu’elle produit. Bien pire, elle engrange des profits exceptionnels grâce aux trop nombreux permis de polluer qu’elle reçoit », dénonce l’ONG Carbon Market Watch, qui chiffre ces profits à « plus de 5 milliards d’euros ». Le texte soumis aux eurodéputés prévoit du reste d’enlever ce secteur de la liste des industries créditées de quotas gratuits, mais l’association européenne des cimentiers Cembureau a émis une véhémente protestation.

Le Parlement européen résistera-t-il à ces pressions ? Votera-t-il un texte corrigé à la baisse ? En tout état de cause, la réforme du marché du carbone est loin d’être arrivée à son terme. Les négociations tripartites entre Parlement, Commission et Conseil restent à mener sur ce dossier. Les ministres de l’environnement, qui avaient échoué à trouver un accord fin 2016, doivent se retrouver le 28 février. « Ne pas mettre en œuvre une réforme ambitieuse, estime Célia Gautier, serait une occasion manquée pour l’Europe et pour la lutte contre le changement climatique. »