Comment je suis devenu éleveur de robots
Comment je suis devenu éleveur de robots
Par Francis Pisani
Eduquer un robot pour qu’il sélectionne vraiment les sujets d’intérêt de chacun, aussi divers soient-ils, est maintenant possible. La preuve par Francis Pisani, fasciné par « un outil de travail au potentiel fabuleux ».
Et voici Flint... (Avec la permission de Trendsboard) | @trendsboard / Image Clémence Perrin
Outre le journalisme, j’ai fait pas mal de choses dans ma vie : professeur de judo, échafaudeur, garçon de café, conférencier, auteur, blogueur et quelques autres activités. Mais la plus improbable de toutes ces carrières est la dernière en date : je forme deux robots, dont un qui nous concerne ici directement puisqu’il s’appelle Citynnovation.
Ni métal, ni boulons, il s’agit d’un robot digital qui va chercher des articles susceptibles de m’intéresser pour tenir cette chronique. Au départ, je l’ai alimenté avec quelques comptes Twitter qui m’intéressaient. Puis, chaque jour ou presque, je trie ce qu’il me propose en signalant ce qui m’intéresse ou pas. Mon petit robot fonctionne sur la base des réseaux neuronaux, c’est-à-dire qu’il opère de façon non-linéaire sur plusieurs niveaux à la fois. Soyons clairs : même Thomas Mahier, son concepteur, ne sait pas pourquoi il choisit tel ou tel article car « il pense trop vite » pour lui. Que devrais-je dire alors ?
Citynnovation-le-robot est une invention de la société Trendsboard, co-créée par Benoît Raphaël qui commence à raconter la passionnante l’histoire de Flint, le projet mère si j’ose dire, de média collaboratif entre humains et robots. Il nous explique aussi comment il élève le robot Jeff avec lequel il travaille pour suivre l’actualité dans le domaine des médias.
Mais qu’importe si un robot est noir ou blanc du moment qu’il attrape de bons articles, aurait pu dire aujourd’hui Deng Xiaoping (« Peu importe que le chat soit gris ou noir pourvu qu’il attrape les souris », avait-il déclaré). Il aurait eu bien raison. Au moment d’écrire ces lignes, par exemple, le robot me propose de m’intéresser aux problèmes d’Aulnay-sous-Bois, à une école connectée en Estonie, aux smart cities qui profitent de la manne européenne et me signale que la pollution des villes indiennes est comparable à celle des chinoises. En français ou en anglais.
J’écarte plusieurs articles, dont un sur le futur de l’intelligence artificielle que je trouve trop générique. Ce sujet m’intéresse, mais peut-être pas pour Citynnovation. C’est pour ce type de cas que Thomas Mahier et Benoît Raphaël ont, il y a quelques semaines, cloné le robot original pour que, en partant de la même base de départ, je lui apprenne à me trouver non seulement les articles sur les villes intelligentes mais un peu tout ce qui m’intéresse.
Au moment où j’écris ces lignes, la sœur jumelle de Citynnovation (qui s’appelle Venise) me propose, entre autres, l’excellent article du Monde sur la pollution dans les abysses, les divagations d’Elon Musk sur le fait que les humains doivent se fondre avec les machines sous peine de disparaître (Deleuze parlerait de notre devenir cyborg) ou Pourquoi et comment être qualifiée « entreprise innovante ».
Comparer ce que sélectionnent les deux outils - Citynnovation-le-robot et Venise - est tout simplement fascinant. La différence est la preuve que les robots apprennent et que mes petits clics pour éliminer ou garder servent à quelque chose. Benoît Raphaël parle superbement bien, dans son billet cité plus haut, de la curieuse relation qui s’établit ainsi entre un humain et un ou des robots.
Moins lyrique, j’y vois, pour le moment, un outil de travail au potentiel fabuleux dans le champ de l’intelligence artificielle. Un outil que je forme mais qui réagit à sa façon. Une belle école d’apprentissage et de réflexion, à mes yeux, sur l’un des modes de relations à inventer entre l’humain et ses machines. Un outil que je testerai toutefois sur la durée : nous en reparlerons.