« The last family » retrace la vie familiale du peintre polonais Zdzislaw Bekinski. / ©POTEMKINE FILMS

L’avis du « Monde  » - A ne pas manquer

Deux façades de béton brut se font face. Dans un des grands immeubles, le papa et la maman. En face, leur grand fils. The Last Family commence en 1977 par l’emménagement de la famille Beksinski dans ce grand ensemble à la périphérie de Varsovie. Le premier long-métrage de fiction du jeune (33 ans) réalisateur polonais Jan P. Matuszynski s’achève une trentaine d’années plus tard par la mort du dernier survivant du clan.

Pour un public polonais, cette histoire aussi extraordinaire (chaque membre du clan est affligé d’une personnalité hors du commun) que banale (ce qui ne les empêche de s’empêtrer dans des ­conflits communs à toutes les familles) prend un relief particulier. Zdzislaw Beksinski était un peintre fameux, son fils Tomasz, une personnalité des médias à la fin du siècle dernier, Zofia, leur mère et épouse, une intellectuelle d’un certain renom. Arrivés sur un écran parisien, les Beksinski sont de parfaits inconnus, et le déploiement de leur destin bénéficie d’un effet de surprise dont ont été privés leurs compatriotes. Cet étonnement, qui s’installe dès le début du film pour ne s’éteindre qu’au dernier plan, ne tient pas seulement à la singularité du destin de cette famille. Jan P. Matuszynski le met en scène avec une violence méthodique nuancée par un humour étonnamment chaleureux et des partis pris de mise en scène dont l’audace s’avère payante : une fois que l’on émerge de la fascination (certes un peu morbide) que suscite l’histoire des Beksinski, on s’aperçoit que cet état proche de l’hypnose résulte d’une étonnante maîtrise du cinéma.

Série de décès

Quand on voit arriver les Beksinski dans leur cité toute neuve, sous les nuages gris d’un hiver ­polonais, on ne sait pas ce qu’ils trimballent. On ne le saura jamais : ils viennent de Sanok, une ville qui fut le théâtre d’atrocités pendant la seconde guerre mondiale que les parents sont assez vieux pour avoir vécue. Tomasz (Dawid Ogrodnik) est atteint d’un mal qui le pousse à de fréquentes tentatives de suicide. Ils sont accompagnés des mères de Monsieur et de Madame, qui occupent chacune une pièce de l’appartement du couple. Elles seront les premières à mourir.

Le film met aussi en scène la faculté de s’isoler des soubresauts de l’histoire.

The Last Family égrène les décès, défaisant patiemment le bloc familial que l’on a découvert à la première séquence. Dans les espaces confinés des appartements, dont on ne sort que rarement, en général pour se rendre à l’hôpital ou au cimetière, Jan P. Matuszynski installe les gouffres qui séparent ces êtres : le père ­(Andrzej Seweryn, impérial, souvent très drôle, maîtrisant à merveille le passage des années) est enfermé dans sa gloi­re ; la mère (Aleksandra Konieczna) sacrifie vainement son évidente intelligence à la cohésion familiale.

Le film met aussi en scène la faculté de s’isoler des soubresauts de l’histoire. Puisque Zdzislaw Beksinski a toute sa vie enregistré, sur magnétophone puis en vidéo, la vie de sa famille, le film est aussi fait de reconstitutions de ces bandes documentaires, dont la date s’inscrit sur l’écran. On pense au soulèvement de Gdansk, à l’interdiction de Solidarnosc, à l’effondrement du Mur, mais les gens sur l’écran s’en moquent. Interrogé sur le caractère post-apocalyptique de ses tableaux surréalistes, le peintre, né sur les champs de mort de Pologne orientale, s’en tire par une pirouette. Son fils, qui initie la jeunesse polonaise au rock anglo-saxon, passe de fait du statut de rebelle à celui d’agent de l’empire, mais, là encore, cette observation est laissée aux bons soins du public.

Ce qui fait l’essence de ce film mêlant matériau documentaire (la vidéo qui se fait de plus en plus présente) et science très maîtrisée du cadre (Matuszynski se sert presque aussi bien des couloirs, corridors et vestibules que Martin Scorsese) est finalement très humain : cette faculté à vouloir vivre ensemble malgré le mal que l’on se fait. La solidité du béton n’empêche pas la fragilité de la chair.

Film polonais de Jan P. Matuszynski. Avec Andrzej Seweryn, Dawid Ogrodnik, Aleksandra Konieczna (2 h 03). Sur le web : www.potemkine.fr/Potemkine-film, www.facebook.com/Potemkine.Films

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 16 janvier)

  • The last family, film polonais de Jan P. Matuszynski (à ne pas manquer)
  • Alice Comedies volume 2, programme de quatre courts-métrages américains de Walt Disney (à voir)
  • Enquête au paradis, documentaire français et algérien de Merzak Allouache (à voir)
  • 3 Billboards, les panneaux de la vengeance, film américain de Martin McDonagh (à voir)
  • La surface de réparation, film français de Chris Régin (à voir)
  • Ami-Ami, film français de Victor Saint Macary (à voir)
  • Le rire de ma mère, film français de Colombe Savignac et Pascal Ralite (pourquoi pas)
  • Last Flag Flying, film américain de Richard Linklater (pourquoi pas)
  • In the fade, film allemand de Fatih Akin (on peut éviter)
  • L’Enfant de Goa, film indien, hollandais et français de Miransha Naïk (on peut éviter)
  • La juste route, film hongrois de Ferenc Török (on peut éviter)

Nous n’avons pas pu voir

  • Brillantissime, film français de Michèle Laroque
  • Femme et mari, film italien de Simone Godano
  • Notre créativité oubliée, film français de Etienne Gary
  • Trois Silences, film français de Diane Rudychenko, Nilolaus Roche-Kresse
  • 24h Limit, film américain de Brian Smrz
  • Winter War, film français de David Aboucaya