Les bacs pro du lycée René Cassin, à Strasbourg | Lycée René Cassin

« J’espère décrocher une des trois grandes écoles de management parisiennes, pourquoi pas HEC », lâche d’une voix assurée Amandine Henry, 18 ans, en première année de classe préparatoire économique et commerciale, voie professionnelle (ECP) au lycée René-Cassin, à Strasbourg.

Comme ses vingt-cinq camarades de promotion, la jeune fille souhaitait, une fois son baccalauréat professionnel en poche, poursuivre ses études non pas en section de technicien supérieur (STS), comme c’est le plus souvent le cas, mais dans une « filière d’excellence ». Elle a opté pour la classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) spéciale baccalauréat professionnel du lycée strasbourgeois.

Des prépas comme celle-là, il n’y en a que cinq en France – trois commerciales et deux d’ingénieurs. La différence avec les classes préparatoires classiques, c’est qu’ici les élèves préparent les concours en trois ans au lieu de deux habituellement, la première année étant consacrée à la remise à niveau. « On reprend tout à la base », explique Ghislaine Guichard, professeure de management.

« Faire face »

Mais, malgré cette année préparatoire, la marche entre le lycée professionnel et la prépa reste haute. « Le plus dur, au début, c’est de parvenir à faire face à la quantité de travail demandé et de tenir le rythme », admet Amandine Henry. « D’autant que, en lycée professionnel, nous n’avions quasiment pas de devoirs à la maison », renchérit Yacine Brahimi, 23 ans, en troisième année. Pour tenir le coup, il faut une forte ­motivation. « Nous sommes particulièrement attentifs aux appréciations des ­enseignants lors de la sélection des dossiers sur le portail des ­Admissions post-bac [APB]. Nous recherchons des étudiants curieux, ouverts et qui ont envie de réussir. Pas nécessairement des cracks », précise Ghislaine Guichard. ­Pourtant, entre cinq et sept élèves par promotion abandonnent en cours de route, le plus souvent en première année. « Une fois en prépa, certains se rendent compte qu’ils sont partis pour six ans d’études, cela les décourage », ­reconnaît l’enseignante.

« Au lycée, nous avons été constamment rabaissés.» Celson Baptista, 21 ans, en troisième année

Ce qui fait tenir les autres, c’est avant tout la volonté de montrer que les bacs pro, eux aussi, peuvent réussir des concours difficiles. En témoigne Celson Baptista, 21 ans, en première année : « Au lycée, nous avons été constamment rabaissés, on nous a répété qu’au mieux on pourrait faire un brevet de technicien ­supérieur [BTS]. Intégrer une grande école de management par la voie de la prépa est un moyen de prouver que, même avec un bac pro, on peut réussir des études longues. » Adrien ­Nahed, 20 ans, en troisième ­année, est du même avis : « J’ai été orienté en bac pro par défaut, je veux rebondir. Passer des ­concours, c’est un véritable challenge. »

« S’enrichir intellectuellement et culturellement  »

En ce lundi de janvier, les troisièmes années ont cours de philosophie. Une matière qu’ils ont découverte avec gourmandise à leur entrée en prépa. « Qu’est-ce qu’un visage ? », interroge l’enseignant Thierry Receveur. Au fond de la classe, une jeune fille se lance : « C’est ce que voit l’autre. » S’ensuit un échange nourri entre prof et étudiants. « Pas question de faire un cours classique, au risque de les perdre. Il faut aller doucement et varier les activités. Ils ont du mal à rester concentrés longtemps, or la philosophie exige une réflexion de fond. Je joue donc avec leur ­esprit “zapping” : je commence par les faire parler, puis je leur montre des vidéos. Ce n’est que dans un troisième temps que j’en viens au texte de l’auteur », ­explique l’enseignant.

Et les étudiants apprécient. Ces trois années de prépa sont l’occasion de « s’enrichir intellectuellement et culturellement », s’enthousiasme Yasmine Naïm, 20 ans, en troisième année. Et Adrien d’énumérer : « En plus des cours de philo, nous avons de la culture générale, des sorties aux musées, à l’Opéra…. » « Au final, en quatre mois de classe prépa, on ­apprend plus de choses qu’en trois ans de lycée professionnel », commente Laura Tritschler, 21 ans, en troisième année

100 % de réussite

Ceux qui vont jusqu’au bout ont toutes les chances de décrocher une école et ce malgré des difficultés importantes en maths et en langues : « Deux matières dans lesquelles ils ne parviennent pas à rattraper le retard », reconnaît Ghislaine Guichard.

En revanche, une fois passé le cap de l’écrit, le fait d’avoir suivi un enseignement professionnel est un avantage. « A l’oral, nos étudiants partent avec une longueur d’avance. Ils ont un curriculum vitae déjà bien garni grâce aux stages et plein de choses à ­raconter », se félicite l’enseignante de management. Depuis la création de cette prépa, en 2009, tous les élèves qui ont passé le concours ont intégré une école. « Cette année, nous avons bon ­espoir pour qu’au moins un de nos étudiants intègre Audencia ou l’EM Grenoble », se félicite Ghislaine Guichard.