Berlinale 2017 : un palmarès aussi déroutant qu’un scénario de Paul Verhoeven
Berlinale 2017 : un palmarès aussi déroutant qu’un scénario de Paul Verhoeven
Par Isabelle Regnier
Le jury présidé par le cinéaste batave a attribué l’Ours d’or à « Our Body and Soul », de la Hongroise Ildikó Enyedi, récit d’une histoire d’amour née dans un abattoir.
Toujours là où on ne l’attend pas, Paul Verhoeven. Alors qu’Aki Kaurismaki s’est maintenu, tout au long du festival, en position de favori pour l’Ours d’Or, le jury de la 67e Berlinale – présidé par le cinéaste batave – l’a finalement attribué à Our Body and Soul, de la Hongroise Ildikó Enyedi.
Ce film, qui conte l’histoire d’amour entre deux personnages ternes et solitaires – le gérant d’un abattoir et la nouvelle contrôleuse de qualité des viandes qu’on vient de lui mettre dans les pattes –, fonctionne sur un postulat original : c’est en découvrant qu’ils font tous deux chaque soir le même rêve, où ils se retrouvent dans la peau d’un cerf et d’une biche veillant tendrement l’un sur l’autre dans une forêt enneigée, qu’ils tombent amoureux.
Les choses se gâtent une fois l’idée posée, quand se précise la névrose du personnage féminin, agrégat de phobies diverses, qui par amour va tenter de s’ouvrir au monde, au contact physique, au jeu, à la musique, et finalement au sexe.
Coup de théâtre final
Entre les scènes de cantines, les soirées gin-rami et les face à face avec la psy d’entreprise, le chemin pour y arriver est si laborieux qu’il engloutit l’une après l’autre toutes les pistes ouvertes par le film, ne laissant au spectateur comme os à ronger qu’une scène d’amour excitante comme le spectacle de la glace qui fond au printemps.
La soirée de clôture du festival avait pourtant bien commencé. Et l’on peut se demander si ce coup de théâtre final n’a pas été concocté par Verhoeven comme une des farces acerbes – dont ses scénarios font leur miel – pour casser le bon goût d’une cérémonie trop bien huilée.
Où les meilleurs films se voyaient récompensés pour leurs meilleures qualités (meilleur réalisateur pour De l’Autre côté de l’espoir, d’Aki Kaurismaki, meilleure actrice pour Kim Min-hee, dans Une Femme seule sur la plage de Hong Sang-soo, Grand Prix du jury pour Félicité d’Alain Gomis…).
Où ceux moins passionnants mais qui avaient fédéré de larges suffrages, se partageaient le reste – prix de la meilleure contribution artistique pour le montage d’Ana, mon amour de Calin Peter Netzer, cinéaste roumain qui avait remporté en 2013 l’Ours d’or pour Mère et fils, Meilleur scénario pour Una Mujer fantastica, de Sebastian Lelio, Prix Alfred Bauer pour Pokpot d’Agnieszka Holland, meilleur acteur pour Georg Friedrich, dans Bright Nights de Thomas Arslan – alors qu’était ignoré le ventre mou de films plus ou moins anecdotiques, qui constituait le gros de la compétition.
Un très gracieux « On the Beach at Night Alone »
Outre les très beaux films d’Aki Kaurismaki et d’Alain Gomis – ils vont prochainement sortir dans les salles françaises –, le passionnant The Lost City of Z de James Gray – présenté hors compétition –, une série de documentaires sur le racisme aux Etats-Unis (en particulier I’m not your negro de Raoul Peck, prix du public pour un documentaire dans la section du Panorama, et Strong Island de Yance Ford), et la restauration du formidable soap opéra de Rainer Werner Fassbinder, Huit heures ne font pas un jour, cette Berlinale aura été marquée par le très gracieux On the Beach at Night Alone de l’inépuisable Hong Sang-soo.
L’actrice Kim Min-hee, récompensée d’un Ours d’argent, pose au côté de Hong Sangsoo, le réalisateur de « On the Beach at Night Alone ». | ODD ANDERSEN / AFP
Le prix d’interprétation donné à Kim Min-hee (remarquée récemment dans Mademoiselle de Park Chan-wok, et Yourself and yours, le précédent film de Hong Sang-soo) était sans doute le plus bel hommage que le jury pouvait rendre à ce film, tant le visage lumineux de l’actrice le magnétise, tant le subtil nuancier de jeu qu’elle déploie innerve jusqu’à la rendre vibrante la texture de l’image.
Alone on the beach at night commence en Allemagne. En vacances chez une amie divorcée, Young-hee, la jeune actrice qu’interprète Kim Min-hee, se remet d’une rupture avec un homme marié, cinéaste de son état.
De retour en Corée, elle passe une soirée bien arrosée, au soju comme il se doit chez Hong Sang-soo, avec de vieilles connaissances qui la trouvent changée, « plus mûre », « plus femme », puis elle s’endort seule sur la plage et rejoint son amant, dans ce qui ressemble à un rêve.
Oublier ou se souvenir, rêver ou rejouer l’histoire dans sa tête à s’en faire mal, se fermer aux émotions ou s’ouvrir au désir… Au fil d’un puzzle de scènes de vie prosaïques où affleure une mélancolie inédite chez lui, le cinéaste, soutenu par le Quintette pour cordes en do majeur de Schubert, explore la multiplicité des voies du deuil amoureux. Et c’est très beau.