A Hayange, « La Bataille de Florange » suscite une guéguerre locale
A Hayange, « La Bataille de Florange » suscite une guéguerre locale
Par Nicolas Bastuck (Metz, correspondant)
La projection du documentaire de Jean-Claude Poirson a généré une passe d’armes entre les élus et le cinéaste.
Une image du documentaire français de Jean-Claude Poirson, « La Bataille de Florange », sorti en salles mercredi 26 octobre 2016. | HUMAN DOORS FILMS
La projection publique du film-documentaire La Bataille de Florange, sorti en octobre 2016, qui retrace le combat des sidérurgistes lorrains pour sauver les deux derniers hauts-fourneaux en activité dans la vallée de la Fensch, entre 2012 et 2013, a donné lieu, samedi 18 février, sur les lieux mêmes de cette lutte syndicale, à une polémique qui pourrait être une métaphore de la situation politique du pays : discrédit de la parole publique, fracturation d’une gauche « irréconciliable »…
La séance devait avoir lieu à l’hôtel de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, à Hayange (Moselle), ville administrée par le Front national (FN). Mais le président de cette intercommunalité, le député-maire (PS) de Fameck, Michel Liebgott, en a décidé autrement, estimant qu’« un bâtiment public ne saurait accueillir un débat politique en période électorale ». Furieux, les bénévoles de l’Université populaire de la Fensch, qui avaient convié le réalisateur Jean-Claude Poirson et les principaux protagonistes à un débat autour de son film, ont dû se replier dans l’arrière-salle d’un café.
Jurant n’avoir « rien à voir » avec la « censure » dénoncée par le cinéaste, Fabien Engelmann, le maire (FN) de Hayange, s’est placé « au-dessus de la mêlée », affirmant qu’il aurait pu accueillir la projection dans une salle communale, si demande lui en avait été faite. « Pour une fois, je suis d’accord avec M. Engelmann qui n’a strictement joué aucun rôle dans cette affaire », assume Michel Liebgott. « Le nouvel hôtel de la communauté d’agglomération n’a pas vocation à accueillir des manifestations politiques, d’autant que nous entrons dans la campagne », s’est-il justifié. « Remarquez, ça tombe plutôt bien, finit-il par confier au Monde, car je suis un peu fatigué de tous ces films qui donnent une image misérabiliste à notre vallée. Les documentaires à la Zola, non merci ! »
« Je n’ai jamais cru au maintien des hauts-fourneaux. Tout le monde savait ici qu’ils étaient pourris, ose Michel Liebgott. L’accord passé entre Jean-Marc Ayrault [alors premier ministre] et ArcelorMittal a permis de sauver nos emplois. Il n’y a eu aucun licenciement, la sidérurgie fait vivre 2 000 personnes dans cette vallée qui comprend plusieurs fleurons industriels que beaucoup nous envient. »
Relations exécrables
Ces arguments ont fait bondir Edouard Martin, figure de proue de la bataille de Florange et héros du film éponyme, aujourd’hui député européen (PS). « Si ArcelorMittal continue à enrichir l’agglomération de M. Liebgott, c’est parce que des gens comme nous se sont battus pour cette usine », lui a répondu l’ancien syndicaliste, qui entretient avec son collègue socialiste des relations exécrables.
Au cours du débat qui a suivi la projection, Edouard Martin est revenu sur son engagement politique, lui qui, en 2013, après le refus de Jean-Marc Ayrault de nationaliser les hauts-fourneaux, s’était senti « trahi » par le gouvernement socialiste. « Ne vous êtes-vous pas noyé en ralliant l’ennemi ? », lui demande un participant. « Nous avons été trahis, je le redis ce soir, mais quand j’ai accepté de m’engager sur la liste du PS, en décembre 2013, tous les collègues des hauts-fourneaux avaient été reclassés. »
Il évoque « une expérience », annonce qu’il ne fera qu’un mandat comme député européen. « Je suis fier du combat que nous avons mené. Les hauts-fourneaux n’ont jamais été rallumés mais l’usine a été sauvée. Michel Liebgott, que l’on n’a vu à nos côtés que lorsque les caméras de télé se déplaçaient, devrait se souvenir que M. Mittal voulait tout fermer, comme à Liège où il ne reste rien. »
Jean-Claude Poirson embraie. Il a « du mal à croire » que le FN soit étranger à la « censure » dont il se dit victime. « Si M. Liebgott avait vu mon film, il se serait aperçu que celui-ci ne comprend aucun plan suggérant une vallée sinistrée. Ce monsieur a baissé son pantalon devant le FN. » Président de l’Université populaire de la Fensch, Marc Olénine évoque un échange avec le cabinet de M. Liebgott : « Au départ, nous avions son accord pour une salle. Puis il s’est ravisé après consultation des élus », témoigne-t-il, texto à l’appui.
Dans la petite salle prêtée par le patron du Grand Café, les rangées de chaises sont clairsemées. « On est vingt alors qu’on aurait dû être des centaines ! », se désole un participant. « On a manqué ce soir de combattants. Remarquez, c’était pareil durant la lutte ; on n’était pas plus de quinze alors que 2 500 emplois étaient menacés », lui a répondu Edouard Martin.