« Jean-Luc Mélenchon fait un pari keynésien »
« Jean-Luc Mélenchon fait un pari keynésien »
Marie Charrel, journaliste économique au « Monde », a répondu, lundi 20 février, aux internautes sur le programme économique du candidat de La France insoumise.
Jean-Luc Mélenchon et l’économiste Jacques Généreux, lors de la présentation du programme économique du candidat sur YouTube, dimanche 19 février. | FRANCOIS GUILLOT / AFP
Journaliste économique au Monde, Marie Charrel a répondu, lundi 20 février, aux internautes sur le programme économique de Jean-Luc Mélenchon, que le candidat de La France insoumise, a dévoilé dimanche 19 février.
JiBé : Bonjour, je n’ai malheureusement pas suivi dans le détail ce que présentait M. Mélenchon, pourriez-vous rappeler pour quoi il souhaite injecter 100 milliards d’euros dans l’économie la première année de son mandat ?
Marie Charrel : Jean-Luc Mélenchon fait un pari keynésien : il estime qu’injecter 100 milliards d’euros dans l’économie française, financés par l’emprunt, contribuera à relancer l’activité économique (consommation, investissement) et, par ricochet, gonflera les recettes publiques.
Sigmarcc : Comment peut-on proposer un tel déficit avec une dette de 2 200 milliards ?
Jean-Luc Mélenchon estime que son projet de relance – 100 milliards d’investissements publics financés par l’emprunt et 173 milliards d’euros de nouvelles dépenses sur cinq ans – creusera le déficit public à 4,8 % du PIB en 2018, puis qu’il le ramènera à 2,5 % du PIB en fin de quinquennat. C’est une hypothèse plutôt optimiste, car nous ne savons pas comment les taux d’intérêt évolueront d’ici là.
M. Felix : Ce plan de relance est clairement un plan de relance purement keynésien. J’ai lu que la branche libérale des économistes jugeait ce plan irréaliste. Comment interprétez-vous ce jugement sachant que le FMI milite actuellement pour une relance keynésienne ? Question subsidiaire, à lire la plupart des réactions de ce chiffrage, il apparaît qu’il n’existe plus dans l’opinion d’alternatives économiques crédibles à une économie néolibérale. N’est-ce pas une preuve de notre soumission totale au monde financiarisé, qui inscrit presque dans les esprits des pensées économiques comme loi de la nature immuables ?
Il y a plusieurs éléments dans votre question. Le FMI appelle en effet à plus de relance, mais uniquement « lorsque les marges de manœuvre budgétaire » le permettent. C’est une nuance de taille. En outre, le débat porte également sur la nature des dépenses publiques : si celles-ci permettent d’augmenter la croissance future, ou non. Mais une chose est sûre : il est opportun d’emprunter lorsque les taux d’intérêt sont bas. En ce sens, le plan d’investissement de M. Mélenchon est cohérent.
Flou : « Mais uniquement “lorsque les marges de manœuvre budgétaire” le permettent ». Cette simple phrase empêche tout avenir et toute perspective autre que l’austérité perpétuelle pour les pays endettés, c’est-à-dire tous en Europe. De plus, si la capacité d’emprunter dépend de la composition de l’Assemblée, c’est inquiétant sur son indépendance et sa capacité à défendre l’intérêt général. Qu’entendiez-vous par là ? Et si on arrêtait de définir l’intérêt général par l’intérêt des « investisseurs » ? L’oligarchie menace bien plus la démocratie que le « populisme » flou.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais le FMI. On peut regretter cet état de fait, mais la France a choisi d’ouvrir sa dette aux investisseurs étrangers - elle ne peut pas donc faire comme s’ils n’existaient pas, s’en moquer. En outre, il existe des marges de manœuvre budgétaire. C’est au gouvernement de faire ces choix, de définir d’autres politiques avec nos partenaires européens. Rien n’est impossible. Question de volonté politique.
Fred : Le programme se base sur un emprunt de 100 milliards d’euros, mais à qui la France peut-elle emprunter ? L’arrivée Mélenchon au pouvoir ne ferait-elle pas fuir les investisseurs ?
C’est en effet le risque. 65 % de notre dette publique appartient à des investisseurs étrangers. C’est un fait. En outre, les taux d’intérêt remontent dans l’ensemble des pays industrialisés, sous l’effet de différents mécanismes, et la montée en puissance des populistes inquiètent les investisseurs. Ils redoutent qu’en cas de sortie de l’euro, les obligations publiques qu’ils détiennent ne valent plus rien – même si ce scénario est peu probable. M. Mélenchon arriverait-il à emprunter 100 milliards d’euros ? C’est difficile à dire, car cela dépendrait de la composition de l’Assemblée nationale, de son gouvernement. En dépit de la remontée des taux, la dette française fait toujours partie des valeurs sûres.
Lulu : Vous parlez d’un risque de ne pas trouver des investisseurs étrangers, mais Mélenchon n’a-t-il pas parlé d’emprunter directement à la BCE via la politique actuelle (en passant par une banque d’investissement publique) ?
Tout à fait. Mais les traités européens ne permettent pas à la Banque centrale européenne (BCE) de prêter directement aux Etats. Elle peut racheter leur dette sur le marché dit « secondaire », où s’échangent les obligations déjà émises, mais pas leur prêter directement. Pour qu’elle puisse le faire, il faudrait modifier les traités européens. Il est peu probable que nos partenaires l’acceptent, notamment les Allemands.
Enjolras : Vous venez de répondre à une question sur l’emprunt à 100 milliards en expliquant qu’il serait financé par les marchés financiers, alors que c’est la BPI (à laquelle le gouvernement de M. Mélenchon aura accordé une licence bancaire) qui exécuterait le plan d’investissement en se finançant directement à la BCE. En quoi cela remet-il en cause votre analyse ?
Merci pour votre remarque. Toute la difficulté est que la BCE n’a pas le droit de financer directement les Etats et surtout, qu’elle est libre de choisir les dettes qu’elle rachète. M. Mélenchon ne pourrait pas la contraindre à racheter les titres de dettes émis par la BPI. A moins de changer les traités européens. Ou de quitter l’euro.
Simon : Pourriez vous rappeler le taux d’endettement de la France ? On a l’habitude d’entendre plus de 95 % du PIB mais Jean-Luc Mélenchon parlait hier de seulement 12 % ?
M. Mélenchon faisait peut-être référence à un autre chiffre. Notre dette publique dépasse en effet bien les 95 % du produit intérieur brut. Vous pouvez consulter ici les chiffres d’eurostat, où l’on peut la comparer avec celles des autres pays européens.
HaBon : Les 12 % dont parle Simon correspondent au poids de la dette rapportée au PIB sur la durée moyenne des titres (8ans).
En effet. Mais sincèrement, je ne suis pas sûre de comprendre ce que signifie ce chiffre. Au final, le montant de notre dette reste le même. Surtout : Qu’est-ce qui fait qu’une dette est soutenable ? La réponse est compliquée, elle ne dépend pas d’un montant absolu ou relatif. Le Japon a une dette publique dépassant les 250 % du PIB, mais celle-ci est soutenable. La Grèce a un endettement de 180 % du PIB et peine à sortir de l’ornière. Dit autrement, et si l’on schématise, le débat sur la dette ne peut pas être déconnecté de celui de la croissance et de la qualité des politiques publiques.
Réaliste : Le programme de Mélenchon prévoit une franche hausse du smic, c’est plutôt une bonne nouvelle pour la conso et l’économie ?
Il est vrai que la hausse du smic serait favorable au pouvoir d’achat, à la consommation, et pourrait soutenir la croissance. Mais la hausse du coût du travail n’est pas sans conséquence sur le reste de l’économie. Elle se traduit par une hausse des coûts pour les entreprises. Cette hausse peut être en partie compensée par la hausse de l’activité. Mais elle peut aussi inciter les entreprises à accélérer la robotisation ou décourager les embauches, notamment dans les TPE. En parallèle, les produits français perdent en compétitivité par rapport à leurs concurrents étrangers, puisqu’ils coûtent plus chers à produire. La hausse du smic se traduit également par une hausse de l’inflation, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Pour conclure, la hausse du smic a donc des effets contrastés, en partie positifs, mais complexes.
Paolo : Si j’ai bien compris M. Mélenchon voudrait augmenter le smic de quelque 170 euros net. Mais, si tous disposent d’une telle somme en plus, il n’y aura ensuite une augmentation correspondante des prix. Beaucoup de prix, notamment les loyers, sont basés en plus que sur demande et offre aussi sur la disponibilité financière des consommateurs…
Oui. Il prévoit d’augmenter le smic de 173 euros net par mois, et cela ferait en effet mécaniquement monter les prix. Dans son programme, il estime que l’inflation grimperait à 4,2 % en fin de mandat. Ce serait peut-être plus.
HKban : M. Mélenchon vise « une croissance de la richesse nationale supérieure à 2 % par an dès l’année prochaine ». Cela n’est-il pas en contradiction avec ses objectifs pour l’écologie ? Cela est-il une nouvelle différence avec le programme de M. Hamon qui dit qu’il faut arrêter de viser une croissance infinie du PIB ?
Remarque intéressante ! On touche ici au thème de la « décroissance », l’idée que la transition écologique ne doit pas s’accompagne de la recherche effrénée de la croissance. Je ne sais pas si M. Mélenchon s’est exprimé sur le sujet.
Leila : Savez-vous qui sont les conseillers économiques à l’origine du programme de Jean-Luc Mélenchon ?
On peut citer les économistes Jacques Généreux et Liêm Hoang-Ngoc.
Stephan : Depuis maintenant huit ans et le début de la crise, les « experts économistes » prônent la rigueur à tout va, problème les résultats ne sont pas là pour les pays qui ont suivi cette voie. Aussi, peut-on réellement se poser la question de l’intérêt de cette politique favorisant avant tous les marchés financiers et les actionnaires, mais quid des salariés, doivent-ils être sacrifiés pour toujours plus de profits ? Ou bien doit-on imaginer d’autres politiques publiques permettant une meilleure redistribution ? Et je parle bien de redistribution et non d’assistanat !
Il est clair que les politiques de rigueur n’ont pas porté leurs fruits. Elles ont révélé des dysfonctionnements au sein de la zone euro, qui n’est pas complète. Il lui manque des éléments de solidarité, de redistribution. Le sujet fait désormais consensus. Mais pas les solutions. Faut-il aller vers une zone euro plus fédérale ? Avec des dettes émises en commun ou au contraire revenir en arrière ? Les Etats sont-ils plus forts ensemble ou ont-ils intérêt à retrouver leur indépendance ? Chaque candidat a une vision différente du sujet.
Glagla : On sait que les cadres du « Monde » (A. Leparmentier, F. Fressoz, etc.) ont une sensibilité de centre-droit néolibéral, mais quid des journalistes de base ? Y a-t-il des divergences de sensibilité politique entre les jeunes journalistes précaires du « Monde » (par exemple ceux qui tiennent les live) et les cadres ?
On retrouve toutes les sensibilités au sein de la rédaction. Pas forcément de divergences jeunes/moins jeunes, mais beaucoup de débats entre nous, tous les jours !
Lulu : Vous parlez d’un risque de ne pas trouver des investisseurs étrangers, mais Mélenchon n’a-t-il pas parlé d’emprunter directement à la BCE via la politique actuelle (en passant par une banque d’investissement publique) ?
Aujourd’hui, notre dette est achetée par des investisseurs étrangers : fonds de pension, fonds d’investissement, assureurs… Pour que la BCE puisse racheter directement la dette des Etats, dès l’émission (et non sur le marché « secondaire », où s’échangent les titres déjà émis, comme elle le fait aujourd’hui), il faudrait modifier les traités européens. Cela prendrait du temps, de longues négociations, sans garantie d’aboutir à quelque chose. En attendant, il faudra toujours emprunter sur les marchés.
Marie : Il semble aujourd’hui y avoir un consensus pour dénoncer les effets indésirables de la financiarisation de l’économie (que ce sur un plan moral, sur un plan purement économique/industriel ou encore sur un plan social/écologique). Or toutes les politiques sont aujourd’hui jugées en fonction des réactions supposées des marchés financiers face à telle ou telle mesure. N’est-ce pas là une forme de prise en otage contraire à la démocratie ? (ex : un chantage à l’augmentation des taux) Trouvez-vous normal que le financement des Etats soit à ce point dépendants des marchés financiers ?
Oui. La finance a pris une place démesurée. D’une certaine façon, les Etats se sont mis eux-mêmes dans cette position en décidant d’élargir leur financement aux marchés. Voilà pourquoi il est essentiel d’avancer sur les régulations financières, d’éviter le développement d’activités non contrôlées, de ne pas céder aux lobbys financiers lors de la conception des textes de lois français comme européen… Les politiques pointent facilement du doigt les financiers, mais ils ont aussi leur part de responsabilité !
Christian : le rachat de la dette directement par la BCE n’est-il pas illusoire, sachant que la BCE (et l’Allemagne) ne le voudra pas ? pour appliquer ce programme, l’issue n’est-elle pas une sortie de l’UE, comme le propose Marine Le Pen ?
Je le pense. Il est en effet très peu probable que nos partenaires acceptent une révision des traités permettant à la BCE de financer directement les Etats. Pas seulement les Allemands. Le financement direct des Etats par une banque centrale n’est pas une formule magique pour échapper à la dette. Cela crée de l’inflation et contribue à déprécier la monnaie. C’est un outil à manipuler avec précaution. Si nos partenaires refusent, et si M. Mélenchon voulait mener son projet à bout, il faudrait donc sortir de l’euro.
Korben_m : Vous dites : « Pour que la BCE puisse racheter directement la dette des Etats (...) il faudrait modifier les traités européens. » Il me semble que c’est en partie vrai et en partie faux : la BCE s’est dotée de 2 « bazoukas » : le programme PMT qui permet de racheter de la dette sur le marché secondaire ; le programme OMT qui permet le rachat de tous les titres de dette si un état fait face à une spéculation.
Oui. Mais l’OMT n’a jamais été activé à ce jour et devrait s’accompagner de conditions assez contraignantes : le pays qui en bénéficierait devrait entrer sous un plan d’assistance. Il s’agit en outre d’un programme d’urgence.
CYG : Pourquoi la BPI ne pourrait-elle pas acheter des titres français puis se les faire racheter par la BCE, comme n’importe quelle autre banque ? Ce schéma n’évite-t-il pas un financement direct interdit par les traités actuels ?
Il y a beaucoup de questions sur la BPI. Mais je doute fort que la BCE prêterait 100 milliards d’euros à cette institution à taux zéro, sans condition. J’aimerais beaucoup savoir si M. Mélenchon a posé la question à la BCE, et qu’il en dise un peu plus sur le sujet. Pour bien faire les choses, j’interrogerai la BCE. Et il reste la question des autres emprunts d’Etats M. Mélenchon ne dit rien sur la hausse des taux, qui concerne aujourd’hui l’ensemble des pays européens.