Pourquoi la lutte contre la chenille légionnaire est si difficile
Pourquoi la lutte contre la chenille légionnaire est si difficile
Par Kerstin Kruger
L’Afrique australe est touchée par une invasion d’insectes qui détruit ses cultures. Résistants aux pesticides, ils sont difficilement contrôlables.
L’aire de répartition de la chenille légionnaire d’automne (Spodoptera frugiperda) se situe en Amérique. Mais cette larve de papillon se propage actuellement à grande vitesse dans la partie sud de l’Afrique. Son apparition sur le continent a été détectée pour la première fois en janvier 2016 au Nigeria. En une année, elle s’est répandue pour atteindre, en janvier, l’Afrique du Sud. La présence de la chenille légionnaire d’automne ajoute aux dégâts déjà causés par sa cousine africaine, Spodoptera exempta.
Cette situation a des répercussions considérables pour les populations touchées. Car ce papillon est un terrible ravageur du maïs et d’autres plantes cultivées comme le sorgho. Il s’agit d’une menace sérieuse pour l’agriculture et, par conséquent, pour la sécurité alimentaire en Afrique. C’est de même un problème pour le commerce international avec la mise en place de quarantaines. La situation est tout particulièrement préoccupante pour les cultures sud-africaines qui viennent tout juste de se remettre d’une terrible sécheresse.
En Afrique subsaharienne, 208 millions de personnes dépendent du maïs pour assurer leur alimentation. Ces cultures sont également essentielles aux petits agriculteurs de la région qui en tirent la majorité de leurs revenus.
Des résistances aux pesticides
Comprendre comment les chenilles légionnaires se reproduisent, se déplacent et se nourrissent est indispensable pour faire face à la menace qu’elles représentent. Ces insectes possèdent en effet des qualités qui les rendent particulièrement difficiles à contrôler : ils volent très bien, se reproduisent en masse et leurs larves peuvent se nourrir d’une grande variété de plantes. En outre, ils développent très rapidement des résistances aux pesticides.
De telles invasions biologiques menacent la biodiversité, l’équilibre des écosystèmes naturels et agricoles et, à terme, la sécurité alimentaire. L’Afrique subsaharienne est considérée comme particulièrement vulnérable face à ces espèces invasives, en raison de sa grande dépendance à l’égard de l’agriculture.
En général, l’expansion de l’aire géographique de telles espèces est empêchée par des barrières naturelles, océans ou montagnes. Mais avec le développement des échanges commerciaux et des déplacements au niveau mondial, on a observé une multiplication ces dernières décennies de ces invasions biologiques. On peut citer le grand capucin du maïs, Prostephanus truncatus, lui aussi originaire des Amériques, introduit par accident en Tanzanie dans les années 1970. Ce coléoptère s’est rapidement propagé via des lots de maïs et de manioc séché infestés. Cette espèce s’est depuis propagée à de nombreux pays d’Afrique.
Les avis divergent à propos de la chenille légionnaire d’automne en Afrique. Une piste possible avance que l’espèce est arrivée via des denrées alimentaires en provenance d’Amérique. Ceci est tout à fait envisageable : les insectes peuvent facilement traverser les frontières via des matières végétales infestées. Et ces espèces ont été à maintes reprises interceptées dans des envois destinés à l’Europe.
Grande capacité de dispersion
Il est également possible que cette chenille ait traversé l’Atlantique grâce aux vents, les insectes adultes pouvant être portés sur de très grandes distances. L’exemple le plus connu de ce phénomène concerne le papillon monarque, Danaus plexippus, qui a de cette façon traversé l’Atlantique des Amériques aux îles britanniques.
Quelle que soit la façon dont la chenille légionnaire d’automne a atteint l’Afrique, sa progression rapide à travers le continent témoigne de sa grande capacité de dispersion. Le vol endurant des papillons adultes leur permet de passer facilement les frontières. Aux Etats-Unis, on sait depuis longtemps que ces espèces s’appuient sur les courants jets pour la dispersion des adultes.
Son nom scientifique, Spodoptera frugiperda, fait référence aux ailes à motifs gris des papillons adultes et aux ravages qu’elles occasionnent sur les fruits. Son nom courant renvoie au fait que les chenilles se déplacent en masse à l’automne.
Plusieurs caractéristiques de cet insecte en font une espèce particulièrement difficile à contrôler : en plus de leur impressionnante endurance de vol, les femelles adultes sont extrêmement fertiles, avec plus de 1 000 œufs pondus durant leur vie.
Ces chenilles peuvent coloniser plus de 100 plantes appartenant à 27 espèces différentes. Si elles sont polyphages – c’est-à-dire capables de se nourrir d’une grande variété de plantes –, leurs hôtes préférés demeurent le maïs, le sorgho, le millet, le riz et la canne à sucre.
Une autre raison de la difficulté à les appréhender réside dans leur capacité à résister aux pesticides. On a ainsi essayé d’éradiquer cette chenille à l’aide de maïs BT (organisme génétiquement modifié), mais ces plantations sont toujours très controversées dans de nombreux pays africains.
L’inquiétude grandit
On a imputé à la chenille légionnaire d’automne des dégâts ayant occasionné des pertes annuelles de 600 millions de dollars pour le seul Brésil. Ces chenilles représentent également une menace pour d’autres cultures essentielles : le niébé, la pomme de terre et le soja.
A l’heure qu’il est, nous ne disposons pas d’informations suffisantes au sujet de son impact sur l’ensemble des cultures africaines. Mais l’inquiétude grandit.
Compte tenu de la forte menace économique, gouvernements et organisations internationales ont mis en place des plans d’urgence pour lutter contre cette invasion.
Ces mesures comprennent notamment une surveillance s’appuyant sur des pièges à la phéromone pour évaluer la progression de l’invasion, des campagnes itinérantes pour informer le public et l’homologation d’urgence de pesticides.
L’éradication de la chenille légionnaire d’automne va prendre du temps. À l’heure qu’il est, le contrôle de ce ravageur doit d’abord passer par une coopération internationale avec les pays d’Afrique touchés.
Kerstin Kruger est professeur associé de zoologie et d’entomologie à l’université de Pretoria (Afrique du Sud).
Cet article a d’abord été publié par The Conversation.