Une vidéo publiée le 1er novembre 2016, vue plus de 1,5 million de fois sur Facebook et attribuée à la chaîne de télévision Vox Africa rapporte l’existence d’un « impôt colonial » français en Afrique :

« Vous ne le saviez peut-être pas, mais aujourd’hui encore, beaucoup de pays africains continuent de payer un impôt colonial en France, et ce malgré l’indépendance. (…) Quatorze pays africains sont obligés par la France à travers le pacte colonial de mettre 85 % de leur réserve à la banque centrale de France. A savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée-Equatoriale et le Gabon. »

Les informations sur cet impôt semblent provenir d’un premier article publié en janvier 2014 par le site anglophone Silicon Africa – rédigé par Mawuna Koutonin, par ailleurs auteur d’une tribune dans le journal anglais The Guardian en 2015. Régulièrement repris par de nombreux blogs ou des sites comme Mondialisation.ca (jugé non fiable dans le Décodex) ou Afrikmag, l’article mentionne une « dette coloniale sur les bénéfices de la colonisation française », même si son auteur concède avoir « à trouver plus de détails » sur les modalités du remboursement de cette dette.

Dans le paragraphe suivant cette mention, Mawuna Koutonin aborde la « confiscation automatique des réserves nationales » de ces pays par la France et donne alors des informations identiques à celles reprises deux ans plus tard dans la vidéo attribuée à Vox Africa. « Les pays africains doivent mettre en dépôt leur réserve monétaire nationale à la banque centrale française », explique le texte.

Pourquoi c’est faux

C’est la confusion entre l’évocation de cette « mise en dépôt » et d’un « impôt colonial » dans le même article qui semble être à l’origine de ces rumeurs.

L’existence d’une telle taxe n’a jamais été avérée : l’imposition d’un Etat par un autre est interdite par le droit international. En revanche, il peut s’agir de sanctions financières, qui peuvent consister en des gels d’avoirs ou en interdiction de mise à disposition de fonds, et non en un impôt. Concernant celles mises en place par la France – le plus souvent en accord avec l’Union européenne ou les Nations unies et sans lien avec la colonisation –, seules la Guinée-Bissau et la République centrafricaine apparaissent dans la liste des pays qui seraient concernés par cet « impôt colonial ».

Cependant, la régulation du franc CFA dans les quatorze pays africains cités – ainsi que du franc comorien dans l’archipel des Comores – occasionne bien la mise en dépôt d’une partie de leurs réserves de changes à la Banque de France.

Ancien « franc des colonies africaines françaises »

La progressive indépendance des colonies françaises en Afrique, entre 1954 et 1962, n’a pas remis en cause le système monétaire en place jusqu’alors : la « zone franc » instituée au début de la seconde guerre mondiale a continué à fonctionner malgré l’autonomie des gouvernements africains. Le franc CFA – d’abord intitulé « franc des colonies africaines françaises » – est depuis régi par quatre règles formalisées dans deux traités signés par ces quatorze pays et la France en 1959 et 1962 :

  • la France garantit la convertibilité illimitée du franc CFA et du franc comorien vers toute monnaie étrangère ;

  • le taux de parité avec la monnaie française – d’abord le franc, puis l’euro – est fixe ;

  • les transferts de capitaux à l’intérieur de la zone monétaire sont libres et gratuits ;

  • en contrepartie de ces trois premiers principes, 50 % des réserves de change des pays de la zone monétaire en franc CFA et 65 % des réserves du franc comorien sont déposés sur un compte d’opération de la Banque de France, à Paris.

Pourquoi la France fixe-t-elle le taux du franc CFA ?
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L’Etat français ne fait pas usage des fonds déposés à la Banque de France. Ce système permet une forte confiance dans la stabilité de la monnaie africaine – pour les investisseurs, l’appui de l’euro est considéré comme une garantie monétaire. La gratuité des transferts facilite, en théorie, des échanges commerciaux plus nombreux dans les pays de la zone.

Cependant, la parité fixe avec l’euro soumet les banques centrales du franc CFA à la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), rassemblant les quatorze pays utilisant le franc CFA, sont contraintes de limiter l’inflation à moins de 2 % pour la UEMOA et 3 % et pour la Cemac, subissant les conséquences d’une monnaie forte, parfois peu adaptée au contexte régional et limitant l’investissement public.

« Cette stabilité monétaire aurait pu permettre de faire des réformes structurelles, expliquait au Monde l’ancien ministre togolais Kako Nubukpo, en septembre 2016. Ce n’est pas ce qui s’est produit. »

Les réserves de franc CFA à la Banque de France sont estimées à près de 10 milliards d’euros – 4,6 milliards pour la Cemac en janvier 2016 et 5,1 milliards pour l’UEMOA en décembre 2015. Pour les détracteurs du franc CFA, l’utilisation de ces réserves pourrait financer une partie du développement des pays africains concernés.

Symboliquement, le fort lien avec la Banque de France et la marge de manœuvre monétaire réduite des pays africains placent le sujet au centre des débats sur les liens à maintenir avec Paris. Le franc CFA est la seule monnaie héritée d’un système colonial encore en vigueur dans le monde – les billets sont d’ailleurs imprimés dans deux usines françaises avant d’être utilisés dans ces pays.

Le débat autour du franc CFA est donc différent d’un « impôt colonial » mis en place par la France dans ses anciennes colonies africaines. A travers l’UEMOA et la Cemac, ces pays sont libres de rompre le lien monétaire avec la France, pour organiser leur propre zone monétaire. « La France garantit la stabilité du franc CFA. Ce n’est pas sa monnaie, elle dépend de la volonté des Africains », déclarait le 30 septembre Michel Sapin, ministre français de l’économie et des finances, devant les ministres des finances de la zone franc.

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