A Aubervilliers, les échos français du racisme américain
A Aubervilliers, les échos français du racisme américain
Par Chloé Marriault
Le documentaire de Raoul Peck, « I Am Not Your Negro », était diffusé en avant-première le 20 février dans une petite salle de Seine-Saint-Denis.
Le réalisateur Raoul Peck lors d’une séance photo à la Fémis à Paris, le 20 janvier 2017. | ERIC FEFERBERG/AFP
Visiblement émue,une femme du public confie au réalisateur haïtien Raoul Peck : « Je tenais à vous remercier de mettre en mots, en images et en musique cette espèce de rage sourde qu’on peut avoir parfois dans ce pays quand on est Noir. » Dans la petite salle du cinéma d’art et d’essai Le Studio, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le lundi 20 février, un temps était prévu pour les questions du public après la projection du film I Am Not Your Negro. Il s’agit plutôt de dire en quoi ce documentaire les a touchés. Raoul Peck n’est pas surpris : « Après avoir vu ce film, personne ne peut rester indifférent. Les gens découvrent leur réalité. »
Pourtant, son documentaire se déroule exclusivement aux Etats-Unis. Basé sur le manuscrit inachevé de James Baldwin, écrivain noir américain, I Am Not Your Negro retrace l’histoire du racisme aux Etats-Unis à travers le portrait des militants des droits civiques Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King, tous trois assassinés avant leurs 40 ans. Le documentaire, nommé cette année aux Oscars, est entrecoupé d’images d’événements plus récents – le mouvement Black Lives Matter, les scènes de violences policières… – qui rappellent à quel point les conflits raciaux sont encore un combat outre-Atlantique. Mais si ce documentaire a autant tenu en haleine la salle, c’est aussi à cause de ses échos dans l’actualité française. « Les Etats-Unis et la France ont en commun le refus d’accepter l’autre, le déni, le fait de refuser de voir qu’il n’y a qu’une seule histoire qui nous lie tous », estime Raoul Peck.
« La morale de ce film est universelle »
Une vision des choses que partage Btisame, 29 ans, venue de Stains, à quelques kilomètres de là. « La morale de ce film est universelle, dit-elle. Il serait temps que la France ne ferme plus les yeux sur son histoire et sur ce qui se passe aujourd’hui. » Mourad, 30 ans, assis dans les dernières rangées avec quatre amis, a sursauté à la vue des scènes de violences policières diffusées. Lui s’intéresse depuis longtemps à l’histoire américaine, à la ségrégation. Il connaissait les scènes historiques du film mais se désole devant les images récentes. Alors que le documentaire doit être diffusé sur Arte, il est convaincu qu’il faut « montrer ce film au plus grand nombre. Si l’histoire américaine est, bien entendu, très différente de l’histoire française, le problème, dans le fond, est le même : l’intolérance due à la méconnaissance de l’autre ». Pour lui, le film a une résonance particulière « projeté dans le contexte actuel, avec les affaires d’Adama Traoré ou de Théo ».
Après la projection, Mourad et ses amis cogitent. Ils resteront jusqu’à plus d’une heure du matin à échanger. « Si on était allés voir une comédie, on serait certainement allés manger un kebab après la projection et on serait rentrés chez nous, insouciants. Mais ce film interroge sur ce qui se passe en ce moment en France », raconte Milos, 28 ans. Au programme : les violences policières, les mouvements de contestation à la suite de l’affaire Théo L., mais aussi la montée du FN et les prochaines élections. « Une conversation très pessimiste », résume Milos.
A la question : « Ne faudrait-il pas une vraie révolution ? », posée par une femme dans le public, Raoul Peck répond : « C’est un combat de longue haleine. Nous devons prendre notre destin en main, mais cela ne peut pas se faire seulement sous un coup de colère. » Et de résumer : « Il faudra beaucoup de travail, d’échecs, de discussions et d’éducation. Baldwin nous a donné la recette. »