Flexible Silence, nouvelle pièce du chorégraphe Saburo Teshigawara, mêle les partitions de deux compositeurs ayant tous deux marqué le XXe siècle, mais dans des genres très différents, le Japonais Toru Takemitsu (1930-1996) et le Français Olivier Messiaen (1908-1992). Comment faire cohabiter une musique traditionnelle nippone avec des expérimentations occidentales, et en faire un spectacle cohérent ? « Leurs œuvres libèrent la danse en ouvrant la voie à un monde inconnu », répond Teshigawara, figure de la scène contemporaine depuis le milieu des années 1980.

« Cette recherche entre Takemitsu et Messiaen a métamorphosé ma danse. Mon mouvement sera davantage proche d’un fleuve avec une puissance tranquille qui semble ne jamais devoir s’arrêter. »

Épaulé par une équipe de six danseurs, il a plongé dans la matière même des partitions. « Je ne les ai pas décryptées de façon académique mais analysées mathématiquement, dans leur façon d’occuper l’espace par exemple, explique-t-il. J’ai ensuite trouvé ma propre voie pour en comprendre la masse, la vitesse et l’amplitude sans qu’il soit question d’émotion. » Cette exploration substantielle – surtout lorsqu’il s’agit des flux vibratoires de l’œuvre de Messiaen composée pour les ondes Martenot, cet ancêtre du synthé créé en 1928 – entraîne les interprètes dans la recherche d’une nouvelle relation avec la musique. « On ne peut pas comprendre la musique seulement avec les oreilles, mais en percevant la manière, par exemple, dont elle s’approche et circule dans l’air et à la surface de la peau. C’est une énergie vivante qui doit être captée. »

Basé à Tokyo, Saburo Teshigawara est passé par une formation de mime et de danse classique. Peintre jusqu’à l’âge de 20 ans, il choisit alors le mouvement, « pour se servir de [son] propre corps et atteindre une autre compréhension du monde », exacerbant une vision sophistiquée et organique de la chorégraphie. Enfant, il se consacrait jusqu’à l’épuisement à des courses de patins à roulettes. Dans l’une de ses premières performances, il se retrouve enterré debout dans la terre jusqu’au cou pendant de très longues heures.

« La musique est une énergie vivante qui doit être captée », Saburo Teshigawara. | ABE AKIHITO

Cette tension profonde innerve son travail, qu’il se faufile sur un tapis de verre brisé dans Glass Tooth ou creuse son rapport à la musique pour Flexible Silence. « Cette recherche entre Takemitsu et Messiaen a métamorphosé ma danse, confie-t-il. J’ai décelé dans ces partitions des éléments qui semblent venir de la nature. Mon mouvement ne sera pas segmenté, davantage proche d’un fleuve avec une puissance tranquille qui semble ne jamais devoir s’arrêter. » Entre les pièces musicales, interprétées en direct par l’Ensemble intercontemporain et le sextuor d’ondes Martenot du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, des moments de silence. Pour Teshigawara, cela pose « un défi impossible, celui de faire corps avec lui ». Un challenge que le talent du Japonais devrait rendre intensément palpable.

« Flexible Silence », de Saburo Teshigawara. Théâtre de Chaillot, Paris 16e. Du 23 février au 3 mars. www.theatre-chaillot.fr