Exposition Chtchoukine : les leçons d’un triomphe
Exposition Chtchoukine : les leçons d’un triomphe
Editorial. Avec cet événement, la Fondation Louis Vuitton vient de dépasser le million de visiteurs.
Editorial du « Monde ». Le chiffre est symbolique mais frappe fort. Et signifie beaucoup de choses. L’exposition de la collection d’art Chtchoukine, qui est présentée depuis le 22 octobre à la Fondation Louis Vuitton, à Paris, vient de dépasser le million de visiteurs. Ce n’est pas fini. La dernière semaine, à partir de lundi 27 février, les salles seront ouvertes tous les jours, de 7 heures à 23 heures. Et même jusqu’à 1 heure du matin le 4 mars. Pour arriver à quel chiffre ? Autour de 1,2 million d’entrées quand le rideau tombera, le 5 mars.
C’est mérité. L’exposition intitulée « Icônes de l’art moderne » est exceptionnelle. Elle réunit 127 tableaux et sculptures que l’industriel russe Sergueï Chtchoukine a achetés au début du XXe siècle. Pas moins de 29 Picasso, 22 Matisse, 12 Gauguin, 8 Cézanne sont sur les murs. Avec des toiles qui sont des moments de l’histoire de l’art. En prime, Van Gogh, Monet, Courbet, Vuillard, Derain… On ne reverra pas ça de sitôt.
Visitez l'exposition « Icônes de l'art moderne. La collection Chtchoukine »
Durée : 48:21
Dépasser le million d’entrées était l’objectif des organisateurs. Chtchoukine, qui aura duré quatre mois et dix jours, devrait afficher la plus grande fréquentation en France depuis cinquante ans. Mieux que le 1,1 million pour la collection Barnes au Musée d’Orsay en 1993, que Monet au Grand Palais en 2010 (913 000 visiteurs), Dali au Centre Pompidou en 1979 (840 662). Que Renoir, Hopper, Picasso, Manet ou Matisse, pour prendre un passé récent.
Ce record marque un changement d’époque : il sera celui d’une fondation privée, construite par l’architecte star Frank Gehry au bois de Boulogne, créée avec l’argent de Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH. Dans une France dominée par la culture publique, il symbolise la montée en puissance du privé au détriment de musées comme le Grand Palais, Orsay, le Louvre ou Pompidou.
Les musées devront être ingénieux
Il y a dix ans à peine, Chtchoukine aurait été présenté dans un lieu d’Etat avec un mécénat de Bernard Arnault. Aujourd’hui, c’est Bernard Arnault lui-même qui orchestre l’exposition. Les musées ont de quoi être jaloux. Ils n’ont pas les moyens de suivre. Une grosse exposition dans un musée coûte autour de 2,5 millions d’euros. Pour Chtchoukine, on parle de 13 millions. Bernard Arnault, qui a bénéficié des avantages fiscaux propres au mécénat, jure ne pas avoir signé un gros chèque aux musées russes, ce qui fait tousser les musées français, qui eux aussi monnaient leurs tableaux quand ils les louent en masse.
Se profile pour 2018, au cœur de Paris, dans le quartier des Halles, l’arrivée de la Fondation François Pinault dévolue à l’art contemporain. Les musées devront être ingénieux pour lutter, quand on sait que seules les réunions de chefs-d’œuvre attirent les foules. C’est ainsi que le Louvre présente, jusqu’au 22 mai, douze tableaux de Vermeer. Disons-le, le public se fiche du lieu. Seule compte la peinture : voir des tableaux dans des conditions similaires à celles d’un musée. Chtchoukine conforte la place de Paris comme capitale artistique mondiale.
Il faut composer avec ces fondations. Ce qui ne doit pas pour autant décharger l’Etat de ses responsabilités dans le domaine artistique : accès à la culture pour tous notamment par l’éducation, aménagement du territoire, défense de projets artistiques qui n’attirent pas les foules mais qui font progresser la connaissance et découvrir de nouvelles formes. Quelle que soit la part que prendra à l’avenir le secteur privé, les tâches des pouvoirs publics demeurent immenses.