Peine à perpétuité réelle : son « instrumentalisation permet de paraître à la fois ferme et humaniste »
Peine à perpétuité réelle : son « instrumentalisation permet de paraître à la fois ferme et humaniste »
LE MONDE IDEES
La proposition de peine à perpétuité réelle par un référendum d’initiative populaire, sur le modèle californien, revient selon la criminologie Marion Vannier, à instaurer une peine de mort version 2.0.
La candidature du Front National à l’élection présidentielle au Carrousel du Louvre le 23 février dernier. | PATRICK KOVARIK / AFP
Par Marion Vannier, docteure en criminologie et spécialiste des questions de peines à perpétuité et chercheure aux universités d’Oxford et de Manchester
Dimanche à Lyon, Marine Le Pen a annoncé qu’elle ne chercherait pas à rétablir la peine de mort mais s’engageait plutôt à mettre en œuvre la peine à perpétuité « réelle ».
Pour ce faire, la candidate à la présidentielle propose de créer un référendum d’initiative populaire qui permettrait aux Français de légiférer et de choisir entre les deux peines. Certains arguent que ce revirement « humaniste » est tactique.
Tactique populiste dans la Californie dans années 1970
Mais quelle est la teneur de cette tactique politique ? Traversons l’océan Atlantique et remontons dans le temps : le passé peut donner sens au présent.
Californie, fin des années 1970. La Cour Suprême des Etats-Unis autorise la peine de mort à condition qu’une peine alternative, telle que la peine à perpétuité, soit offerte aux tribunaux. Il faut que les jurés et juges aient le choix de ne pas choisir la mort.
Cette impulsion humaniste était étroitement liée à deux affaires qui ont secoué l’opinion publique et mis à mal la peine capitale. Celle de Caryl Chessman et celle de Barbara Graham qui, jusqu’au jour de son exécution dans la chambre à gaz de San Quentin, clamera son innocence.
Cependant, l’opinion publique et les émotions suscitées par les crimes, sont volatiles, inconstantes, et surtout, malléables. Bon nombre d’études criminologiques démontrent comment les politiques se servent de ces émotions pour assurer leurs agendas politiques. Or les années 1970 ont été également marquées par les crimes de Charles Manson et du Zodiac killer.
Le sénateur conservateur et futur gouverneur de la Californie, George Deukmejian va utiliser ces affaires pour proposer comme alternative à la peine de mort une peine plus dure que la prison à perpétuité d’alors, rarement utilisée et dont la durée moyenne était d’environ 12 ans. La sentence de life imprisonment without the possibility of parole (LWOP) répondrait à cette logique : l’élimination définitive et permanente du condamné.
Coûts exorbitants, évolution des mœurs
L’autre tenant de sa stratégie politique fut de souligner son caractère « humaniste ». Par rapport à la peine de mort, la LWOP est « moins » sévère et « plus » tolérable. Et enfin, pour imposer son projet, Deukmejian a recours à la législation par initiative populaire, un outil instauré en 1911 qui permet aux électeurs de proposer et d’instaurer des lois sans devoir passer par leurs représentants élus.
Presque 40 ans plus tard la peine de mort en Californie vit probablement ses derniers instants : multiplication des erreurs judiciaires, manques de drogues pour les injections létales, coûts exorbitants des procès capitaux, évolution des mœurs, et changement de génération en auront bientôt raison.
L’utilisation de la LWOP a suivi une courbe inverse, ayant augmenté de plus de 40 fois depuis 1980. Plus de 5 000 personnes sont condamnées en Californie à cette sentence. La majorité des condamnés à la LWOP sont pauvres, jeunes (parfois mineurs), ont été exposés à la criminalité dès leur plus jeune âge, et proviennent de minorités ethniques. La plupart sont des meurtriers, certes, mais l’application de LWOP s’est propagée au-delà des crimes dits « capitaux ». En Californie, on peut être condamné à la LWOP sans avoir tué.
Une condamnation à mort
Et surtout, la LWOP – statistiques et études scientifiques à l’appui – est une condamnation à mort.
Retour en France, année de l’élection présidentielle.
La prison à perpétuité réelle en France existe depuis 1994 et trois hommes y ont été condamnés jusqu’à présent. En juin 2016 la perpétuité réelle a été étendue aux actes de terrorisme. La possibilité de révision de peine et de libération est extrêmement ténue : ceux qui seront condamnés à « la LWOP à la française » mourront en prison.
Lorsque certains candidats promettent une peine à perpétuité « réelle », et qui plus est de recourir à un dispositif politique populaire, on retrouve certaines similitudes avec l’exemple Californien. Il s’agit dès lors de lever le voile sur cette instrumentalisation politique et d’en souligner ses conséquences probables.
La suggestion de l’établir par référendum d’initiative populaire est une tactique populiste qui se fonde sur la peur et la renforce. L’instrumentalisation permet ensuite au candidat de paraître à la fois ferme et humaniste.
Pas le propre de Marine Le Pen
En effet, l’ombre de la peine de mort perdure en France. La peine à perpétuité réelle continue à être évaluée en « comparaison de » et à être perçue comme une peine moindre. On en vient à oublier que c’est une sentence à mort aussi. Ces conséquences enfin, sont prévisibles : prolifération de la sentence et utilisation disproportionnée à l’égard de certaines minorités ethniques.
L’instrumentalisation politique de la peine à perpétuité réelle n’est pas le propre de Marine Le Pen : certains, à droite comme à gauche, tournent autour de l’idée. Elle pas n’est pas non plus le propre de la France puisqu’elle se propage à travers l’Europe. La peine a même reçu en janvier l’aval de la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire Hutchinson v the United Kingdom.
Quand bien même. La peine à perpétuité réelle reste un outil d’élimination physique d’êtres humains. Elle est la version 2.0 de la peine de mort.