Hommage à Etienne Tshisekedi, à Bruxelles, le 5 février 2017. | EMMANUEL DUNAND / AFP

Deuil, recueillement et manigances s’entremêlent dans le plus grand Etat d’Afrique francophone, la République démocratique du Congo (RDC). L’opposant historique, Etienne Tshisekedi, est décédé à l’âge de 84 ans le 1er février à Bruxelles, où sa dépouille se trouve toujours. Pour la première fois de son histoire, le pays doit relever deux défis : organiser des obsèques nationales et permettre une alternance politique pacifique en organisant une élection présidentielle, qui aurait déjà dû se tenir fin 2016.

Du héros de l’indépendance, Patrice Lumumba, assassiné en janvier 1961 et dont le corps n’a jamais été retrouvé, à Mobutu Sese Seko, mort au Maroc en 1997 où il a été inhumé, aucune grande figure de la vie politique congolaise n’a eu droit à des funérailles dignes de son rang. Cette fois, la dépouille de celui qui a affronté, sans jamais recourir aux armes, Mobutu, Laurent-Désiré Kabila puis son fils, l’actuel président Joseph Kabila, n’a toujours pas été rapatriée en RDC. Son corps repose dans une chambre froide d’un quartier populaire de la capitale de l’ancien colonisateur, et se retrouve au centre d’interminables tractations.

A Kinshasa, le fief d’Etienne Tshisekedi, le retour du cercueil donnera très sûrement lieu à un raz-de-marée populaire redouté par le pouvoir, qui s’est dit toutefois disposé à organiser des obsèques nationales pour son principal pourfendeur. Mais la famille du défunt et son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), se refusent à laisser ce privilège au gouvernement en place, jugé illégitime.

Avant de s’éteindre, celui qui était surnommé le « sphynx de Limeté » – une commune de Kinshasa – avait obtenu un dernier poste : président du Conseil national de suivi de l’accord agréé à l’arraché avec le pouvoir le 31 décembre 2016. Sous l’égide de l’Eglise catholique congolaise, pouvoir et opposition avaient fini par accoucher d’un texte flou censé ouvrir la voie à une transition politique. Le compromis prévoyait de nommer un premier ministre issu de l’opposition et la tenue d’une élection présidentielle en décembre 2017.

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« La majorité n’en demandait pas tant »

L’organisation des obsèques nationales dépend donc de l’application d’un accord dont la mise en œuvre est toujours en négociation. L’Eglise catholique a officiellement suspendu les discussions quand le leader de l’opposition est mort. Mais elles se poursuivent en coulisses dans un climat tendu.

Selon la Constitution, le second et dernier mandat de Joseph Kabila s’est achevé le 19 décembre 2016. Dans les jours qui ont suivi cette date devenue symbole, des jeunes de quartiers populaires et de la société civile ont affronté les forces de l’ordre. Bilan : 40 morts et 460 arrestations, selon l’ONU.

Isolé diplomatiquement, le régime a vu plusieurs responsables politiques et sécuritaires, accusés d’avoir organisé la répression, visés par des sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne. Sans jamais s’exprimer publiquement depuis trois mois, le chef de l’Etat a habilement négocié, lors du dialogue, son maintien à la tête d’un pays miné par cette crise politique, doublée d’une préoccupante situation économique.

Le président fait désormais face à une opposition fragilisée par les querelles d’ego, divisée et privée de sa figure tutélaire. « La majorité n’en demandait pas tant », s’amuse un conseiller du président. « Le pouvoir pense tirer profit de la situation depuis la mort d’Etienne Tshisekedi. Mais dans ce contexte explosif, c’est une bombe à retardement », selon l’opposant Martin Fayulu, l’un des six candidats à la succession du défunt à la présidence du Conseil des sages du rassemblement de l’opposition, ainsi qu’au Conseil national de suivi de l’accord.

Un favori et des concurrents

« Le peuple conditionne toujours le retour de la dépouille à la nomination d’un premier ministre de nos rangs, comme convenu dans l’accord voulu par Tshisekedi », précise M. Fayulu. Pour Léonard She Okitundu, le ministre des affaires étrangères, « l’opposition doit soumettre au moins trois noms de “premier ministrable” au chef de l’Etat, qui fera son choix ». Et d’ajouter : « La balle est dans le camp de l’opposition. »

Au sein de l’UDPS, c’est le fils du défunt, Félix Tshisekedi, qui paraît favori, sans toutefois faire l’unanimité. Des concurrents sont réapparus autour de la dépouille, comme l’homme d’affaires Raphaël Katebe Katoto, frère aîné de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, dont les ambitions présidentielles sont clairement affirmées. Sa démarche lui a valu d’être suspendu de ses fonctions dans l’opposition et d’être auditionné par le comité de discipline.

« La disparition d’Etienne Tshisekedi a bouleversé les équilibres, constate Delly Sesanga, l’un des principaux négociateurs de l’opposition lors du dialogue. L’unité prime et notre adversaire commun, c’est le régime Kabila qui entretient l’insécurité dans le pays et estime que tout, même un décès, est un enjeu de pouvoir. » Joseph Kabila cherche à gagner du temps et la perspective qu’une élection soit organisée en 2017 semble déjà s’éloigner.

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