Agriculture : pourquoi la réduction des pesticides est possible
Agriculture : pourquoi la réduction des pesticides est possible
Par Stéphane Foucart
Selon les conclusions de chercheurs français publiées dans la revue « Nature Plants », une réduction des intrants agricoles chimiques de 30 % n’aurait pas d’effets négatifs.
Dans seulement 6 % des exploitations étudiées, les chercheurs détectent un lien positif entre un usage intense des pesticides et des rendements agricoles élevés. | Lucie Pastureau/Hans Lucas pour Le Monde
Réduire drastiquement le recours aux pesticides sans altérer les rendements agricoles et les revenus des agriculteurs ? C’est possible, assurent des chercheurs français qui publient, lundi 27 février dans la revue Nature Plants, les conclusions d’une analyse statistique d’ampleur inédite. Celle-ci paraît opportunément au beau milieu du Salon de l’agriculture et quelques semaines seulement après la publication des chiffres officiels du ministère de l’agriculture montrant une forte augmentation de la chimie de synthèse en agriculture depuis 2008, malgré une petite baisse en 2015, par rapport à 2014.
« Nous avons voulu nous pencher sur une question très débattue, explique Nicolas Munier-Jolain, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Dijon (Franche-Comté) et coauteur de ces travaux. Il y a d’un côté ceux qui assurent que l’agriculture conventionnelle utilise désormais trop de pesticides et qu’il est possible de réduire ceux-ci sans impacts négatifs et ceux, souvent dans certains milieux agricoles, qui prétendent au contraire qu’une baisse d’utilisation des pesticides conduirait à faire baisser les rendements ou à amputer les revenus des agriculteurs. »
« Réduction de 37% des herbicides »
Les résultats sont éloquents. Dans seulement 6 % des exploitations étudiées, les chercheurs détectent un lien positif entre un usage intense des pesticides et des rendements agricoles élevés. En tenant également compte de la rentabilité économique des exploitations, les auteurs disent n’avoir détecté « aucun conflit entre faible usage des pesticides et, à la fois une haute productivité et une haute profitabilité dans 77 % des fermes de l’échantillon ». « Nous estimons que l’usage total des pesticides pourrait être réduit de 42 % sans aucun impact négatif dans 59 % des cas, écrivent-ils. Ce qui correspond à une réduction moyenne de 37 % des herbicides, de 47 % des fongicides et de 60 % des insecticides. » En extrapolant à l’échelle de la France, précise Nicolas Munier-Jolain, « ce résultat suggère qu’une réduction des intrants agricoles chimiques de 30 % est possible, sans effets négatifs ».
Pour parvenir à ces conclusions, Martin Lechenet (Agrosolutions), Nicolas Munier-Jolain et leurs collègues ont utilisé une base de données rassemblant les informations, recueillies pendant trois ans, sur les pratiques et les rendements d’environ un millier d’exploitations spécialisées en grandes cultures. Ces fermes appartiennent au réseau Dephy, créé dans le cadre du plan gouvernemental Ecophyto destiné à réduire les pesticides. Elles couvrent l’ensemble du territoire français et représentent une grande diversité de cultures, de pratiques agricoles, etc.
Forts de cette grande masse de données – « à ma connaissance sans équivalent au monde », précise M. Munier-Jolain –, les chercheurs ont comparé l’usage d’intrants chimiques et les rendements d’exploitations voisines, produisant la même culture sous un climat identique. Ils en ont ainsi déduit la relation – faible à inexistante dans la majorité des cas – entre la fréquence des traitements et les rendements. A partir de ces différentes variables, ils ont déduit la rentabilité économique de chaque ferme.
« Ces résultats sont d’une importance majeure car ils suggèrent que la réduction des pesticides est d’ores et déjà accessible aux agriculteurs français, sans aucun coût financier, dans la plupart des situations, estime Vasileios Vasileiadis, chercheur à l’Institut de biologie agro-environnementale et forestière à Legnaro (Italie), dans un commentaire publié par la revue. Et cette conclusion est obtenue grâce à un jeu de données énorme. »
D’autres travaux comparables ont récemment été publiés, et parviennent à des conclusions analogues. Une équipe de chercheurs conduite par Sabrina Gaba (INRA) et Vincent Bretagnolle (CNRS) a ainsi publié, en juillet 2016 dans la revue Scientific Reports, une analyse des données issues de 150 champs de blé exploités par 30 agriculteurs. « Nous n’avions pas identifié de lien entre l’utilisation d’herbicides et les rendements agricoles obtenus, précise M. Bretagnolle. Ce qui est globalement cohérent avec ces nouveaux résultats. »
Diversification des productions
« Le message de notre étude est qu’il est possible de faire baisser le recours aux pesticides, il n’est pas de dire que c’est nécessairement simple, précise M. Munier-Jolain. Cette transition passe par une complexification des exploitations, et notamment par une diversification des productions. » En effet, ajoute le chercheur, les principaux leviers pouvant permettre une baisse des pesticides sont la rotation des cultures, une plus grande diversité des variétés cultivées, le déserbage mécanique, etc. Et les exploitations les moins gourmandes en chimie sont les exploitations reposant sur des systèmes d’élevage-polyculture.
L’un des effets bénéfiques d’une telle diversification pourrait être d’augmenter l’indépendance des exploitations en protéines végétales destinées à l’alimentation animale. « Aujourd’hui, les éleveurs français sont très dépendants du soja américain, rappelle M. Munier-Jolain. Une transition vers des systèmes moins gourmands en pesticides pourrait donc avoir, indirectement, un impact sur la balance commerciale de la France et les marchés mondiaux. » Trop facile ? Pas tout à fait. « Il n’est pas facile de convaincre les agriculteurs de complexifier leur production, même si c’est à rentabilité identique, tempère en effet le chercheur. En outre, le fermier n’est pas seul dans la chaîne de production : les filières doivent suivre, afin d’assurer des débouchés à une production plus diversifiée. »