Au Fespaco, une comédie cuisine la politique des présidents africains
Au Fespaco, une comédie cuisine la politique des présidents africains
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
Hors compétition mais projeté dans la catégorie « L’Afrique vue par », la fiction « Un président au maquis » taille, avec humour, un boubou aux dirigeants du continent.
L’affiche du film « Un président au maquis », du Franco-Burkinabé Laurent Goussou-Deboise, hors compétition, présenté dans la catégorie « L’Afrique vue par » du Fespaco 2017.
Il faut une bonne dose d’imagination. Mais qui n’aimerait pas voir le président Ibrahim Boubakar Keïta (Mali), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) ou encore Roch Kaboré (Burkina Faso) jeter son boubou par-dessus les moulins et troquer, le temps d’une journée, les dorures et le marbre des palais contre les tables en ferraille et la bière « bien tapée » d’un maquis ?
C’est ce qui arrive à Basile Pomareco, le président de la République d’Afrique de l’Ouest (RAO). Dans ce pays fictif où se déroule la comédie Un président au maquis, réalisée par le Franco-Burkinabé Laurent Goussou-Deboise, le football et la Chine mettent « Son Excellence Sa Majesté » face à un dilemme cornélien : suivre la finale de la Coupe du monde opposant les Phacochères ouest-africains aux redoutables Allemands ou assister à une rencontre diplomatique avec le président chinois pour renforcer l’alliance économique entre la Chine et la RAO.
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Durée : 02:46
Dans ce pays imaginaire, on ne plaisante pas avec le ballon rond. Pour pouvoir regarder le match, Basile Pomareco décide d’engager un sosie qui s’occupera de la Chinafrique : Madou, « rastaman » de la gargote joliment nommée Foie sauté chez Madou. Mais, en pleine rencontre diplomatique, Fanta, la « go » de Madou, le réclame. Elle menace de le quitter. Or un départ entraînerait une rupture des liens avec Pékin. Inenvisageable. Seule solution : que le vrai président remplace Madou aux cuisines du maquis.
Foie sauté et bonnet rasta
Le public est hilare dans la salle de projection principale du Palais de la jeunesse et de la culture Jean-Pierre-Guingané, l’une des huit aménagées pour cette 25e édition du Festival panafricain du cinéma (Fespaco), qui se tient jusqu’au 4 mars à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
Le scénario est burlesque, la caricature des personnes poussée à l’extrême et les comédiens (Siaka Yra, Josiane Hien, Mariam Ouédraogo, Alassane Dakissaga, Désiré Yaméogo) s’en donnent à cœur joie. Mais cette politique-fiction à l’accent ouest-africain pose une vraie question : les dirigeants ne gouverneraient-ils pas mieux en étant plus proche du peuple ?
Pour le président de la RAO, les débuts en tant que « gérant » sont laborieux. Comment ouvrir une bière et cuisiner du foie sauté lorsqu’on ne boit que du champagne et que l’on dispose d’une armée de « bonnes » ? Grâce à une oreillette et à une caméra cachée dans le bonnet de rasta du président, le chef d’état-major, la première dame et son équipe, réunis dans une cellule de crise, y vont chacun de leurs conseils. Des personnages prêts à tout afin de satisfaire leur intérêt personnel : éviter toute chute du régime pour ne pas perdre leurs privilèges et devenir pauvres.
Comment ne pas penser à l’entourage de Blaise Compaoré aux premières heures de l’insurrection d’octobre 2014 ? Distillées au gré de l’intrigue, les références à l’actualité politique de la sous-région et aux préoccupations des régimes, souvent déconnectées du peuple, donnent à cette comédie de la profondeur.
La recette du burlesque
Pour remplacer Madou au maquis, le président a dû se déguiser en rasta et abandonner ses accessoires de chef d’Etat. Engoncé dans son tee-shirt « Thomas Sankara », Basile Pomareco pédale maladroitement sur un vélo déglingué et jette à un mendiant sa montre en or avant d’arriver au maquis. « Oh une chinoiserie ! », pense le mendiant. « Ah non, c’est une suisserie », corrige le président. « Laisser mon téléphone en or ? Mais c’est un cadeau de Sarkozy ! », s’époumone-t-il.
Au grand drame des conseillers du palais, la vie normale de gérant de gargote finit par changer le président. « Et si on bâtissait des hôpitaux plutôt que de construire un nouveau palais ? », propose-t-il à son équipe. Regards décontenancés, rires à gorges déployées. Quelle idée…
Avec cette première comédie, la société de production Afrique Films tente de lancer le concept de « films événements », des fictions en phase avec l’actualité. En 2018, les mêmes comédiens – des produits de la scène théâtrale burkinabée –, se demanderont s’il est encore possible de se regarder dans la glace en repensant à Thomas Sankara, dont on célébrera le trentième anniversaire de l’assassinat en octobre.
La recette restera la même : s’emparer de l’actualité et pousser le cliché pour montrer que la farce et le burlesque africain peuvent aussi servir à dénoncer et à parler de sujets en phase avec l’époque. Et qu’il est possible de mettre les pieds dans le plat (du foie sauté), mais avec finesse.