« LR ne peut pas contraindre Fillon à renoncer »
« LR ne peut pas contraindre Fillon à renoncer »
Propos recueillis par Nicolas Chapuis
Nicolas Chapuis, chef du service politique du « Monde », a répondu à vos questions sur l’intervention de François Fillon et ses conséquences pour la campagne présidentielle.
Lors d’une déclaration, mercredi 1er mars, François Fillon a annoncé qu’il ne renonçait pas à sa candidature à l’élection présidentielle malgré sa prochaine mise en examen. Nicolas Chapuis, chef du service politique du « Monde », a répondu aux questions des internautes lors d’un tchat.
-lemonigus : Vu du nombre de défections, peut-on imaginer que Fillon soit poussé à renoncer à la présidentielle d’ici le 17 mars ?
Nicolas Chapuis : Vu l’évolution permanente de cette affaire, observons la plus grande prudence. A ce stade, il n’est pas question d’un retrait de François Fillon. Le temps joue pour lui. Plus il avance, plus l’hypothèse d’un remplacement est compliquée à envisager et à mettre en place. Pour l’instant, les défections ne sont pas si nombreuses. Il y a un effet loupe avec le retrait de la campagne de Bruno Le Maire et de ses troupes. Mais rappelons-le : il n’a fait que 2,4 % à la primaire. Tous les autres piliers du parti tiennent bon et, plus important, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, les deux autres « présidentiables », ne l’ont pas lâché.
-Thomas : Le soutien de l’UDI risque-t-il de se reporter sur Macron, comme Bayrou, ou vont-ils présenter leur propre candidat ?
Nicolas Chapuis : Pour l’instant, l’attitude de l’UDI est ambiguë. Jean-Christophe Lagarde, son président, a suspendu le soutien de sa formation à François Fillon en attendant de consulter ses fédérations pour savoir ce qu’elles veulent faire. Le parti centriste qui s’est rangé aux côtés de Fillon après avoir soutenu Juppé est un peu coincé. Ils viennent de négocier un accord pour les législatives qui leur est très largement favorable. Celui-ci était sur le point d’être officialisé. Lagarde avait profité de l’affaire Fillon pour faire monter les enchères. Remettre en cause cet accord est risqué et, en même temps, l’UDI craint de couler avec le navire Fillon. Le centre est en plein dilemme, comme souvent.
-Bob : Les Républicains peuvent-ils retirer leur parrainage à Fillon et le donner à Monsieur Juppé pour qu’il soit leur candidat à la présidentielle ?
Nicolas Chapuis : La période de dépôt des parrainages s’est ouverte samedi dernier. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs publié une première liste de quelque 1 700 parrainages reçus. M. Fillon en a déjà obtenu 738. C’est plus que le nombre minimum - 500 - ; il est donc tranquille de ce côté-là. Le Conseil constitutionnel a reçu quelques parrainages au nom de M. Juppé, mais c’est un phénomène mineur. Ce dernier n’est, jusqu’à nouvel ordre, pas candidat.
-Maunoir : Suite à la déclaration de M. Fillon, de nombreux partisans de taille semblent s’en éloigner (Bruno Le Maire, UDI, ainsi que plusieurs autres députés LR). M. Fillon a affirmé qu’il irait jusqu’au bout et refuse tout plan B. Mais si sa famille politique se délite autour de lui et voit sa candidature comme vouée à l’échec, est-il possible pour un organe du parti LR de l’« empêcher » de participer à l’élection présidentielle ? (ce qui serait un cas d’école, il est vrai)
Nicolas Chapuis : In fine, François Fillon est seul juge concernant le maintien ou non de sa candidature. LR ne peut pas le contraindre à renoncer. Si certains rêvent de le remplacer au pied levé, M. Fillon bénéficie d’un argument de poids : le vote des sympathisants de droite à la primaire. Il s’appuie sur cette légitimité pour balayer les arguments de ceux qui le poussent à renoncer, au premier rang desquels Bruno Le Maire.
-EVaLa : Pourquoi personne n’évoque-t-il jamais le fait que Madame Fillon, qui n’est couverte par aucune immunité, pourrait très bien être condamnée alors même que son époux serait élu président ? Ne serait-ce pas une situation absolument intenable ?
Nicolas Chapuis : Vous avez effectivement raison. Si M. Fillon était élu président de la République, son immunité ne couvrirait ni sa femme ni ses enfants.
-Curieux mais inquiet : Vos confrères du « Figaro » annoncent que M. Stefanini, directeur de campagne de M. Fillon, aurait transmis sa démission à M. Fillon mais que celui-ci ne l’aurait pas acceptée. Confirmez-vous cette « information » ? Comment est-il possible de ne pas accepter la démission d’un directeur de campagne ?
Nicolas Chapuis : Nous n’avons pas d’information de ce type. Comme nous avons essayé de le faire toute la matinée (et plus généralement dans la campagne), nous ne vous donnons que les informations recoupées par notre rédaction. D’où, parfois, le délai que nous prenons par rapport à des informations parues ailleurs. Mais nous assumons d’être parfois en retard plutôt que vous donner une des nombreuses fausses infos qui ont par exemple circulé aujourd’hui.
-Pen & Lope : Plus que la mise en examen, le départ de Bruno Le Maire et de l’UDI marquent-ils le coup de grâce pour Fillon ?
Nicolas Chapuis : Comme je l’ai dit plus haut, il ne faut pas surestimer le poids politique de Bruno Le Maire. Quant à l’UDI, c’est une mauvaise nouvelle pour François Fillon en termes d’affichage, après le ralliement de Bayrou à Macron.
-David : Pourquoi les médias comme « Le Monde » ne regardent-ils pas en détail les dépenses parlementaires de TOUS les députés et sénateurs et se concentrent-ils sur le seul François Fillon ? Pourquoi aucun média n’enquête sur les déclarations de patrimoine de Macron, sur sa prétendue homosexualité, sur le prêt qu’il se serait octroyé pour financer sa campagne ? Avez-vous le sentiment d’être impartiaux, neutres et équitables dans le traitement de la politique plutôt que des idéologues dont le but est de manipuler les masses pour faire gagner Macron dans une finale écrite d’avance contre Le Pen ?
Nicolas Chapuis : Vous nous prêtez beaucoup de fausses intentions. Il est logique que les journalistes auscultent de plus près les candidats à la présidentielle que le reste des 577 députés. Nous avons fait des articles sur les déclarations de patrimoine de M. Macron et sur le financement de sa campagne. Nous avons relayé les explications de M. Macron sur sa vie privée, car elles étaient tenues dans le cadre d’une réunion politique. Mais, de manière générale, nous ne nous intéressons pas à ces questions-là, car elles sont justement d’ordre privé. Enfin, nous traitons tous les partis politiques avec équité, nous relayons leurs propositions et leurs programmes. Vous nous prêtez beaucoup de pouvoir en pensant que nous « manipulons les masses ». Ce n’est pas le cas. Nous donnons les éléments d’information et les faits à nos lecteurs, et nous les respectons en pensant qu’ils sont parfaitement à même de se former leur propre opinion.
-juste : Que veut dire « suspend » ? Jusqu’à quand ?
Nicolas Chapuis : Suspendu jusqu’à mardi, en attendant l’avis des fédérations locales qui composent l’UDI.
-Hub : Fillon échappera-t-il vraiment à la justice pendant cinq ans s’il était élu en mai ? Si oui, le délai de prescription court-il toujours ou est-il suspendu ?
Nicolas Chapuis : Si François Fillon est élu président de la République, l’immunité s’applique immédiatement et les enquêtes le concernant sont suspendues. Elles reprennent au bout de cinq ans (ou dix ans, s’il est réélu), sans prescription.
-Vincent : Quels sont les délais habituels pour une mise en examen dans ce genre d’affaire ?
Nicolas Chapuis : Il n’y a pas de « délai habituel ». Les juges font comme ils veulent. Si l’enquête réalisée par le Parquet national financier les a convaincus, ils sont tout à fait en droit de prononcer une mise en examen aussi rapidement. Force est de constater qu’ils sont allés très vite. Le contenu du dossier le justifie-t-il ? Nous le saurons bientôt puisque les avocats de M. Fillon ont désormais accès à la procédure.
-Marc35 : Je suis sidéré par la défense de François Fillon qui se pose en victime ; en aucun cas, il ne répond à ce qui fonde sa mise en examen. N’est-ce pas là le signe d’une grande impréparation voire d’une réelle difficulté à répondre sur le fond de l’affaire ?
Nicolas Chapuis : Il est frappant de constater qu’à aucun moment François Fillon ne répond sur le fond. Il a choisi une autre ligne de défense : attaquer la légitimité de la justice. Quand on est candidat à la présidence de la République, attaquer frontalement l’un des piliers du système démocratique peut s’avérer dangereux. Le candidat Fillon semble prêt à prendre ce risque pour maintenir sa candidature.