Les universités mettent le tabou de la sélection sur la table
Les universités mettent le tabou de la sélection sur la table
Par Camille Stromboni
A l’approche de l’élection présidentielle, les présidents d’université demandent plus d’autonomie, avec le droit d’instaurer des prérequis à l’entrée de la licence.
Campus de l’université de Reims Champagne-Ardenne (mars 2017). | Conférence des présidents d'université
Accueillir 170 000 étudiants de plus à l’horizon 2020 : le défi est de taille pour l’université, confrontée à l’arrivée du boom démographique à ses portes depuis déjà trois ans. Réunis les 28 février et 1er mars à Reims, les présidents d’université ont débattu de l’avenir de leurs établissements, et de leurs attentes vis-à-vis du prochain gouvernement.
Pour la Conférence des présidents d’université (CPU), il est urgent que l’Etat investisse au moins un milliard d’euros par an dans l’enseignement supérieur et la recherche durant le prochain quinquennat. Mais c’est également un pas de plus dans l’autonomie des établissements que défend la Conférence, en s’engageant sur le terrain sensible de la sélection à l’entrée de l’université. « Une orientation bien pensée suppose que l’étudiant ait acquis certaines bases et qu’il soit possible de demander des prérequis à l’entrée de la licence », prône-t-elle, dans une « adresse » au « futur président de la République ».
« On ne peut pas continuer d’envoyer des jeunes en licence qui vont échouer à coup sûr, soutient Gilles Roussel, son président, notamment en référence aux bacheliers professionnels, dont les taux de réussite en licence ne dépassent pas 5 %. Il faut briser le tabou de la sélection qui recouvre des réalités très différentes : iI ne s’agit pas de faire du malthusianisme, nous nous battons au contraire pour l’élévation du niveau de qualification et adhérons à l’objectif de 60 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. »
Des prérequis sur la filière du bac
A l’heure où moins de 30 % des étudiants inscrits en première année de licence décrochent leur licence trois ans plus tard, et tandis que s’est développé le tirage au sort, appliqué en dernier ressort à l’entrée des filières universitaires quand les demandes excèdent le nombre de places fixées, dénoncé de toutes parts, la question de mettre en place une sélection à l’entrée de l’université revient de plus en plus régulièrement dans les débats.
Ce fut le cas lors des primaires de la droite, où une partie des candidats y étaient favorables, dont François Fillon qui défend dans son programme l’instauration de prérequis à l’entrée des filières en tension.
« Passer de filières ouvertes non sélectives à cette possibilité de recruter aura pour conséquence que l’université pourra prendre la responsabilité de la réussite de ses étudiants, estime François Germinet, à la tête de la commission Formation de la CPU. Etre sur une position dogmatique pour l’ouverture n’est pas possible quand on se préoccupe réellement des finalités professionnelles et du succès des bacheliers. »
Pour le président de l’université de Cergy (Val-d’Oise), ces futurs prérequis pourraient consister en des tests à l’entrée, ou encore des critères de filière de baccalauréat. Pour entrer en licence de maths, par exemple, il faudrait avoir fait un bac S, ES ou encore un bac L avec une option mathématique, avec la possibilité sinon de postuler quand même, mais avec une sélection sur dossier.
La CPU demande également le droit d’expérimenter des filières sélectives – qui existent déjà dans un certain nombre d’universités, en double licences notamment, dans un cadre encore « flou », explique Gilles Roussel.
La crainte de la sélection sociale
Mais si l’instauration de la sélection en master, par une loi adoptée en décembre 2016 a fait l’objet d’un large consensus, elle est loin de faire l’unanimité à l’entrée de l’université. « Le grand chantier du prochain quinquennat » sera bien celui de « la licence », a affirmé le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, devant les présidents réunis à Reims (Marne). Mais, selon lui, « la création d’une barrière sélective » n’est pas la solution. Cela reviendrait « finalement à nier ce qu’est, depuis des siècles, l’université française », ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas un sujet concernant « la préparation à la réussite à l’université », a-t-il néanmoins reconnu.
Chez les présidents eux-mêmes, les positions sont plus diverses que la ligne majoritaire adoptée par la CPU. « Des prérequis ne peuvent pas être exigés dès lors que le bac constitue le premier grade universitaire », estime ainsi le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken, favorable plutôt à une amélioration de l’orientation active au lycée, ou à la mise en place d’années « charnières », de type « propédeutique » (visant à faciliter l’apprentissage). Le risque d’accroître la sélection sociale par l’instauration de prérequis soulève l’inquiétude de plusieurs autres présidents, tout comme celle d’empêcher l’éclosion de jeunes qui se révèlent en cours de route à l’université.
Dans la plupart des organisations représentatives des personnels et des étudiants, la sélection est même largement décriée. « La sélection, c’est l’exclusion. Ce n’est pas la solution pour la réussite et cela va nuire à la démocratisation », dénonce Jimmy Losfeld, président de la FAGE, désormais première organisation étudiante. « Si un gouvernement tente d’aller sur ce terrain, il trouvera les étudiants sur son passage », prévient Lilà Le Bas, à la tête de l’UNEF, l’autre grand syndicat étudiant.