Le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort. | RALPH ORLOWSKI / REUTERS

Editorial du « Monde ». Les vieux banquiers centraux se rappellent la maxime de Hans Tietmeyer, président emblématique de la Bundesbank dans les années 1990 : « Il faut enlever le vin de la table quand la fête bat son plein », affirmait le gardien de l’orthodoxie monétaire. Ce rappel irritera sans doute ceux qui demandent une politique monétaire sans cesse plus accommodante. Il n’empêche, les banquiers centraux doivent resserrer la vis monétaire avant qu’il ne soit trop tard et que l’économie entre en surchauffe. Même si c’est au début désagréable. En est-on là ? Pas encore, mais la donne a changé en Europe lorsque est tombé, jeudi 2 mars, le communiqué de l’office européen des statistiques, Eurostat : l’inflation annuelle a atteint 2 % dans la zone euro en février. Du jamais-vu depuis janvier 2013. L’union monétaire correspond de nouveau à l’objectif de la Banque centrale européenne (BCE), qui vise une inflation inférieure mais proche de 2 %.

Bien sûr, on objectera que cette hausse est essentiellement due à la hausse des prix de l’énergie, que l’inflation sous-jacente reste faible, de l’ordre de 0,9 %, et que rien ne garantit que ce bon niveau d’inflation sera durable. Il n’empêche, l’Europe commence progressivement à revenir à la normale. La déflation, annoncée par les Cassandre et qui a justifié la politique ultra-accommodante de la BCE, n’est jamais devenue réalité. Les anticipations d’inflation des acteurs économiques sont en cours de normalisation. C’est une bonne nouvelle. Il faut que cette petite inflation perdure quelque temps et continue d’être plus élevée en Allemagne (2,2 % contre 1,4 % en France et 1,6 % en Italie), alimentée si possible par la hausse des salaires : c’est le meilleur moyen de rééquilibrer les compétitivités des différents pays de la zone euro. Et tant pis pour les protestations de la Bundesbank et du ministre des finances, Wolfgang Schäuble.

Deux instruments nécessaires mais dangereux

Toutefois, c’est aussi l’occasion de retrouver très progressivement une politique monétaire normale, comme l’ont fait ces dernières années les Etats-Unis. Pour lutter contre la déflation et sauver les Etats et les banques les plus fragiles de la zone euro, le président de la BCE, Mario Draghi, a décidé qu’il ferait « tout ce qu’il faudrait ». Il a utilisé deux instruments nécessaires mais dangereux : des taux de dépôts des banques négatifs (– 0,4 %) et la technique dite du « Quantitative Easing » (QE), qui consiste à acheter directement la dette des Etats et des banques. Il est temps d’envisager la sortie de ce mécanisme.

Les taux négatifs – il faut payer pour déposer son argent à la banque – sont une incongruité et doivent être supprimés en premier. Le contexte international y est favorable : la Réserve fédérale américaine (Fed) va très prochainement augmenter le loyer de l’argent pour juguler la surchauffe annoncée par Donald Trump (grands travaux, baisse des impôts, taxes à l’importation). Il y aura sans doute une fenêtre de tir pour que la BCE lui emboîte le pas, sans conduire à une envolée de l’euro vis-à-vis du dollar, préjudiciable à la croissance.

Ensuite, il faudra un jour sortir du QE. Le programme, prévu jusqu’en 2018, doit être maintenu pour éviter un accident avant les élections néerlandaises, françaises, allemandes et enfin italiennes. Mais la BCE doit préparer les marchés à un sevrage progressif. Les taux d’intérêt ne peuvent pas être éternellement manipulés : ils doivent refléter une réalité économique et le risque pris par les investisseurs.