Côte d’Ivoire : « Notre festival doit continuer en mémoire de Papa Wemba »
Côte d’Ivoire : « Notre festival doit continuer en mémoire de Papa Wemba »
Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux (contributrice Le Monde Afrique, Douala)
La 10e édition du Femua s’ouvrira à Abidjan le 24 avril, un an après la mort du pape de la rumba congolaise sur scène. Rencontre avec A’salfo, directeur du festival et leader du groupe Magic System.
24 avril 2016. Alors que la fête bat son plein à Abidjan, Papa Wemba s’effondre sur la scène du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua). L’image fera le tour des réseaux sociaux. Le pape de la rumba congolaise n’est plus. Une semaine plus tard, les organisateurs du Femua doivent faire face à la mort accidentelle de l’un des leurs, le batteur de Magic System, Dider Bonaventure Deigna, dit Pépito.
Deux tragédies qui ont profondément affecté A’salfo, le leader du groupe ivoirien, fondateur et directeur du festival, qui aujourd’hui présente la dixième édition du Femua en leur rendant hommage. Cette année, la manifestation prend de l’ampleur et propose sept jours de concerts, du 24 au 30 avril, avec des stars internationales comme Salif Keïta, Black M, Tiken Jah Fakoly, mais aussi Singuila, Monique Seka… Le 24 avril, la place du festival sera baptisée du nom de Papa Wemba. Et après des défilés de sapeurs, le groupe de l’artiste Viva La Musica donnera un concert en son souvenir. Rencontre avec le leader de Magic System.
Cette dixième édition s’ouvrira un an jour pour jour après la mort de Papa Wemba sur la scène du Femua. Comment avez-vous surmonté cette tragédie ?
A’salfo Quand la mort a frappé Papa Wemba, nous avons été dans un moment de consternation et de tristesse. Malgré toutes les dispositions prises en amont pour parer à une telle situation, nous n’avons rien pu faire pour le ramener à la vie. Nous avons perdu un illustre, l’un de ceux qui ont le plus marqué l’histoire de la musique africaine. Les autorités ivoiriennes, les peuples ivoirien et congolais nous ont assuré leur soutien. Il nous fallait continuer malgré tout. De son vivant, Papa Wemba avait salué l’importance de notre festival. Nous nous devions, en sa mémoire et pour le souvenir de Pépito, de poursuivre et de mener à bien cette dixième édition. Nous sommes très croyants. Nous nous en sommes remis à Dieu pour nous rétablir. Cette dixième édition, c’est aussi une manière de dire qu’il ne faut jamais baisser les bras.
A la veille de cette nouvelle édition, quel bilan faites-vous de cette aventure ?
Je ne suis pas très friand des bilans. Quand on s’engage dans le social, comme avec le Femua dont l’ADN est autant la musique que le social, peu importe le résultat. Ce qui compte, c’est l’investissement que vous mettez, c’est d’être au plus près des vôtres. C’est ce qui nous a motivés au début. On s’est demandé comment nous pouvions contribuer au bien-être des nôtres. Depuis 2008, nous avons construit trois écoles. Cette année, nous allons en ouvrir deux autres, à Odienné et à Gagnoa. Et enfin, une sixième est prévue à Séguéla.
Comment choisissez-vous les sites où vous implantez vos écoles ?
Nous nous installons en priorité dans les zones où il y a un fort besoin démographique ou bien là où les enfants doivent parcourir de longues distances à pied pour aller à l’école. Evidemment, tout cela se fait en concertation avec le ministère de l’éducation nationale, qui nous définit les zones de priorité, comme le nord de la Côte d’Ivoire, la région qui a le moins de structures éducatives.
Qui est propriétaire des écoles que vous construisez ?
Une fois l’école construite, on remet les clefs à l’Etat, qui assure l’entretien et recrute les enseignants nécessaires. Mais nous ne nous retirons pas complètement du projet. On a instauré un comité de surveillance. Et, par exemple, nous avons décidé après coup d’installer des panneaux solaires pour la première école car nous nous engageons également dans la lutte contre le réchauffement climatique.
C’est d’ailleurs le thème de cette dixième édition…
Effectivement, le thème de cette année est « L’Afrique face au défi du réchauffement climatique ». Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour nous. En 2008, avec Magic System, nous avions mis en garde contre ce péril à travers la chanson « L’eau va manquer ». En tant que groupe de musique citoyen, on se doit de s’engager pour lancer des messages forts via nos chansons. La musique a cette puissance-là en Afrique. Nous devons le faire car les politiques ont échoué sur cette question. Nous avons prévu des forums de discussion, où l’on parlera d’emplois verts afin de susciter des prises de conscience. Le réchauffement climatique touchera l’Afrique en premier.
Le Femua est-il un festival écoresponsable ?
Le Femua a toujours mis en place un dispositif qui participe à l’assainissement de l’environnement. Et cette année, nous allons en plus mener une opération de reboisement à Adiaké, où se tiendra une partie des concerts.
De quel budget disposez-vous pour cette dixième édition ?
Je n’aime pas trop parler d’argent. Le Femua, c’est un cadeau que nous faisons aux gens d’Anoumabo. Et l’on n’offre pas un cadeau avec son étiquette et son prix dessus. Disons que nous avons pour l’instant à peine 70 % du 1,5 million d’euros dont nous avons besoin au minimum.
Dans les années 1980, Abidjan était le grand studio d’enregistrement des musiques africaines. Puis elle a perdu de sa superbe. Comment peut-elle redevenir la grande capitale musicale qu’elle a été ?
Il faut une volonté politique pour cela. Sur tout le continent, la piraterie est une véritable gangrène. Les artistes n’arrivent plus à écouler leur album. Il n’y a plus de production sur place. Les ministères de la culture africains doivent se mettre ensemble pour combattre la piraterie. Beaucoup d’artistes sont exilés en Europe, contre leur gré, pour cette raison.
Dans un tel contexte, comment se porte le secteur musical ivoirien ?
C’est un secteur qui va bien. Mais en façade seulement. Car, en fait, si des artistes peuvent connaître du succès avec un titre, il leur est extrêmement difficile de construire une carrière. Des majors débarquent. Ça peut être une bonne comme une mauvaise nouvelle. Vous savez, c’est le show-business. Les intérêts d’Universal ne sont pas forcément ceux des artistes. Mais une chose est sûre : il vaut mieux avoir ces majors avec nous. Espérons que cela va booster le secteur.
A quand un nouvel album de Magic System ?
Notre nouvel album, Même pas peur, va sortir en juin et, depuis le 3 mars, vous pouvez entendre le morceau « Ya Foye » dont nous venons de terminer le tournage du clip en Colombie.