Documentaires sur Arte à 20 h 50

Syrie : mission impossible - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31

Les deux documentaires diffusés par Arte se complètent parfaitement. Ils sont aux deux extrêmes du spectre de la guerre. Le premier, Syrie : mission impossible, se place tout en haut de la pyramide, dans les couloirs et les coulisses des Nations unies ; le ­second, 12 jours et 12 nuits à ­Damas, a été filmé tout en bas, sur le terrain, là où les hommes se battent. Ils sont aussi nécessaires l’un que l’autre pour comprendre cette guerre, la plus meurtrière du XXIe siècle et devenue inextricable tant elle mêle différents ­niveaux de ­conflictualité.

Dans Syrie : mission impossible, Anne Poiret raconte les quatre mois qui vont de la fin août à la fin décembre 2016 : entre le cessez-le-feu de la dernière chance élaboré à Genève par les diplomates russes et américains et la chute de la partie insurgée d’Alep. Son fil rouge est Staffan de Mistura, un diplomate italo-suédois d’expérience, émissaire spécial des ­Nations unies pour la Syrie. Avant lui, deux maîtres en la matière ont déjà échoué et jeté l’éponge : l’ex-secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et le chevronné ­diplomate algérien Lakhdar ­Brahimi. Mistura, lui, le répète tout au long du film : « Je ne démissionnerai pas. » L’homme croit à la force de la diplomatie dans une ère où elle n’a plus sa place.

Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, à Genève, vendredi 3 mars. | SALVATORE DI NOLFI / AFP

L’impuissance de Staffan de Mistura est patente. A peine le cessez-le-feu annoncé, les Etats-Unis bombardent « par mégarde » une caserne de l’armée syrienne en la prenant pour un camp de l’organisation Etat islamique (EI) ; deux jours plus tard, un convoi d’aide humanitaire est pris pour cible par des avions russes ou ­syriens – une commission d’enquête de l’ONU vient d’établir qu’il s’agissait de l’armée ­syrienne. L’armée syrienne finit par annoncer la reprise d’une ­offensive de grande ampleur à Alep.

Un passage dit bien le décalage entre ce diplomate distingué et polyglotte et ce conflit sans ­règle ni foi ni loi. Il demande à une membre de son équipe de commencer un de ses discours par « des faits bruts : boum, boum, boum ». La rédactrice le regarde, désemparée : quels faits choisir, demande-t-elle en substance, chacun met les siens en avant. C’est un bon résumé de cette guerre de Syrie, où la principale force de Bachar Al-Assad, épaulé par la machine de propagande russe, consiste à avoir réussi à ­imposer une équivalence entre le récit de l’opposition et le sien, fait d’un complet déni de la réalité.

Des vainqueurs et des vaincus

Lorsque Mistura fait halte à ­Damas en pleine campagne de bombardements massifs des ­infrastructures de santé à Alep-Est, le ministre des affaires étrangères syrien, Walid Al-Mouallem, interpellé sur la question, se ­contente de nier en bloc : il n’y a pas de bombardements sur les ­hôpitaux d’Alep-Est, point à la ­ligne. Dans l’ère de la « post-vérité » et du brutal rapport de force, le conflit syrien a été le lieu, comme le pointe Anne Poiret, de la « fin du droit international humanitaire ». L’émissaire de l’ONU en est réduit à faire passer des messages aux Russes sur le fait qu’ils pourraient un jour avoir à rendre des comptes, et qu’ils vont devoir reconstruire seuls le pays qu’ils ont détruit. Un haut responsable russe résume parfaitement le cynisme triomphant de Moscou : « Dans une guerre civile, il n’y a pas de gentils et de méchants, il y a des vainqueurs et des vaincus. »

Arte

Des vainqueurs et des vaincus, c’est exactement ce que montre Roshak Ahmad, une journaliste syrienne vivant aujourd’hui en exil en Allemagne. Avant de quitter son pays, début 2013, cette sympathisante de la révolution se rend dans la banlieue de ­Yarmouk, au sud de Damas, pour tourner pendant douze jours et douze nuits. Yarmouk n’est pas un quartier comme un autre, c’est un ancien camp de réfugiés palestiniens devenu partie intégrante de la capitale syrienne. Il ne se trouve qu’à 8 kilomètres du centre-ville. A ce moment-là, la plupart des ­civils ont fui les bombardements du régime. Dans Yarmouk, ­assiégé par l’armée, ne vivent que quelques milliers d’habitants, une poignée d’activistes qui persistent à faire des manifestations dans les rues désertes, et surtout des ­centaines de combattants, d’anciens civils ayant pris les ­armes pour ­défendre leur quartier.

Roshak Ahmad délaisse rapidement les civils pour se concentrer sur les combattants de l’Armée ­syrienne libre (ASL), qui tentent de déloger les soldats du régime d’une position qu’ils utilisent pour viser les passants. Les offensives, montées avec des moyens dérisoires et un amateurisme certain, échouent toutes les unes après les autres. Jusqu’à ce que les djihadistes du Front Al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaida), mieux équipés et touchant des salaires réguliers, viennent proposer leur aide : une voiture bourrée d’explosifs, qui permettra de faire sauter l’immeuble servant de redoute à l’armée. L’opération fonctionne, les soldats sont tués ou ont fui, mais le prix à payer est exorbitant : l’installation dans le quartier d’une force djihadiste, qui servira de prétexte au régime pour le raser sous les raids ­aériens, exactement comme à Alep-Est. Ainsi va la révolution ­syrienne, prise en otage par les groupes armés, puis les djihadistes, soutenue par des Etats de la région, et enfin les grandes puissances. CQFD.

Syrie : mission impossible, d’Anne Poiret (Fr., 2017, 50 min)

12 jours et 12 nuits à Damas, Roshak Ahmad (All, 2017, 50 min)