Affaire Bentounsi : « Ce n’est tout simplement pas digne de la police nationale »
Affaire Bentounsi : « Ce n’est tout simplement pas digne de la police nationale »
Par Lucie Soullier
La deuxième journée d’audience du procès en appel de Damien Saboundjian a été marquée par le passage à la barre de son ancien coéquipier, Ghislain Boursier.
Il a gardé son manteau à la barre, comme pour montrer qu’il n’est que de passage dans cette cour d’assises parisienne, mardi 7 mars. Que ce n’est pas lui qu’elle doit juger en appel pour avoir abattu Amine Bentounsi d’une balle dans le dos, en 2012, lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Lui n’est que l’ancien équipier de l’accusé, Damien Saboundjian.
Seulement voilà. L’agent de police Ghislain Boursier avait affirmé avoir vu la victime pointer une arme sur son collègue juste avant que celui-ci ne tire. Seul témoin à accréditer la thèse de la légitime défense, en dehors du policier accusé, acquitté en première instance.
Face à la reconstitution démontrant qu’il ne pouvait pas voir « la scène finale » d’où il se tenait et confronté aux versions des autres témoins, Ghislain Boursier avait fini par avouer au cours de l’enquête que non, il n’avait pas « vu de ses yeux vus » Amine Bentounsi braquer Damien Saboundjian. Du moins pas au moment crucial : celui où son coéquipier a tiré, à quatre reprises, sur le fuyard recherché pour s’être fait la belle en permission.
Alors pourquoi le gardien de la paix de 40 ans, dont 13 ans d’ancienneté dans la police nationale, a-t-il menti ? « Je ne sais pas », répète-t-il à la barre. Le président le sermonne. « On pourrait penser que vous vouliez le couvrir. Seulement, en disant que vous étiez là où vous n’étiez pas, ça devient suspect, et ça se retourne contre la personne [accusée]. » L’avocat de la partie civile tonne et lâche sa sentence : « Vous êtes un menteur », avant de déplorer qu’il n’ait même pas été sanctionné.
Une main cramponnée à l’autre à la barre, la voix à peine audible, Ghislain Boursier attend que le savon passe. Vient le tour de l’intransigeant avocat général, garant des intérêts de la société. Son intervention claque comme une gifle. « Ce n’est tout simplement pas digne de la police nationale. »
« Plus facile d’être délinquant que policier »
Durant près de trois heures, le président de la cour d’assises avait repris méticuleusement chaque audition de Ghislain Boursier. Devant l’Inspection générale des services (IGS). Devant le juge d’instruction. Aucune ne se ressemble. Alors, mensonge ? Le fonctionnaire secoue la tête. Il préfère parler de « logique » et de « déductions » faites d’un mélange entre ce qu’il a vraiment vu et des discussions entre collègues. « Et voilà, on y revient… » soupire le président.
Plus tôt au cours de cette deuxième journée d’audience, un autre membre de l’équipe avait déjà fait face à la cour, et évoqué ses « déductions ». Ce soir du 21 avril 2012, après avoir jeté une grenade factice sur les policiers, le suspect pris en chasse avait également laissé tomber un étui de pistolet vide. Lui, le chef de bord, avait donc compris « de lui-même » pourquoi Damien Saboundjian avait tiré. Ou serait-ce Ghislain Boursier qui lui avait rapporté avoir vu l’individu braquer son coéquipier. Ou peut-être encore d’autres collègues arrivés sur place en renfort qui l’auraient appris d’autres collègues… « Autrement dit, c’est l’ours qui a vu l’ours qui a vu l’ours », résume le président.
Et sur place, pourquoi la crainte majeure de l’équipe après les tirs, selon le commissaire de nuit entendu lundi, se résumait en un leitmotiv : « On va perdre notre boulot » ? « Parce que la parole des policiers n’a plus beaucoup de valeur, on est remis en cause sans arrêt », ose le chef de bord. Dans une écoute téléphonique datant de 2012, il avait même lancé – agacé par l’enquête de l’IGS qui « cherchait la petite bête » – qu’il était « plus facile d’être délinquant que policier ».
« Vous le pensez toujours ? », lui demande l’avocat général, prêt à bondir au premier mouvement d’acquiescement. Le policier répond oui. « Vous ne pouvez pas dire ça, la police nationale est la gloire de la France !, s’emporte l’avocat général. Ce n’est pas parce qu’on vous demande des comptes dans cette affaire que l’on ne fait pas confiance à la police. » D’autant que, poursuit le président, si chercher à comprendre les circonstances de la mort d’un homme tué par un policier, « c’est chercher la petite bête… » Mardi, l’audience s’était ouverte sur le schéma glaçant du médecin légiste, représentant les blessures d’Amine Bentounsi. En plein milieu du dos, un point noir dessiné au stylo. L’impact de la balle. Verdict attendu vendredi.