A Moscou, où le 8 mars est devenu jour chômé depuis un oukaze de Brejnev en 1966, aucune marche pour le droit des femmes n’a été autorisée. Devant le Kremlin, mercredi, un petit groupe de féministes, fumigènes à la main et banderoles proclamant « une femme pour président », a été arrêté. Un collectif « grève des femmes » organisait également un petit rassemblement dans le parc Sokolkini, à l’écart du centre de la capitale russe. Tatiana Soukhareva comptait bien y participer, avec son bonnet rose que lui a envoyé une amie d’Angleterre.

Ex-candidate au conseil municipal de Moscou, cette féministe au caractère bien trempé est aujourd’hui encore assignée à résidence. « J’ai passé huit mois en prison après avoir été arrêtée sur la base d’accusations fabriquées dans une affaire économique, alors que je comptais me présenter aux élections, raconte-t-elle. J’ai été battue lors des interrogatoires, j’ai mené trois grèves de la faim et j’en ai fait un livre, La vie de l’autre côté de la justice ».

Tatiana Soukhareva décrit aujourd’hui la démarche des féministes russes comme celle « d’un camp militaire assiégé (…) constamment attaqué par les dirigeants de l’Église russe orthodoxe et les musulmans, sans accès aux médias » et dont l’activité se restreint à l’Internet. « Toute tentative de créer un mouvement ou un parti féministe se heurte à des obstacles, souligne-t-elle. J’essaie d’enregistrer une ONG mais le ministère de la justice me l’a refusé pour la troisième fois au motif que dans ses statuts figurent les mots féminisme, genre et égalité” ».

40 % des crimes graves ont lieu dans le cercle familial

Par leur rassemblement, même modeste, à Sokolniki, les militantes entendent protester contre « le piétinement des droits des femmes » en Russie qui s’est notamment exprimé, soulignent-elles, dans la récente loi adoptée pour la dépénalisation des violences domestiques n’entraînant pas d’hospitalisation. Controversée, cette loi a été perçue comme un signal régressif dans un pays où 40 % des crimes graves se produisent dans le cercle familial.

Une petite manifestation avait été organisée, mais pour être autorisée, soupire Tatiana Soukhareva, « les organisateurs avaient dû l’appeler manifestation pour les valeurs familiales ». « Ces derniers temps, observe-t-elle, plusieurs textes discriminatoires pour les femmes ont ainsi été votés, comme la loi des sadiques qui autorise à recourir à la force physique contre les prisonniers, or la quantité de femmes derrières les barreaux augmente ».

Le poids grandissant de l’Église russe orthodoxe dans la société, mais aussi celle de l’Islam radical dans un pays qui compte 20 millions de musulmans préoccupent beaucoup les militantes russes qui dénoncent les tentatives pour restreindre le droit à l’avortement et, dans certaines régions du sud, l’augmentation de « crimes d’honneur ».