Wali (à gauche) et Saïd Norzai dans leur appartement de Derby, en Grande-Bretagne, où ils attendent le statut de réfugié pour pouvoir partir à la recherche de la mère et des frères et soeurs disparus en route. | Chris Thomond, The Guardian

La nuit était tombée et il pleuvait. C’est alors que les tirs ont commencé.

Wali Khan Norzai, âgé de neuf ans, se rappelle qu’il tenait la main de son père dans le noir à la frontière, dans les montagnes. Devant eux, la Turquie, derrière, l’Iran ; encore plus loin derrière eux, leur maison afghane abandonnée. Et soudain, tout autour d’eux, les balles ont fusé.

Personne ne s’est arrêté pour demander qui, où, pourquoi. Le groupe d’une centaine de personnes s’est dispersé. Lorsque la poussière est retombée et que Wali et son père Saïd sont sortis de leur cachette, aucun signe de sa mère ni de ses six frères et sœurs.

Odyssée tristement familière

Depuis, une année s’est écoulée sans qu’ils aient la moindre nouvelle d’eux.

Après la Turquie, le périple de Saïd et Wali jusqu’en Grande-Bretagne a été le genre d’odyssée tragique devenue tristement familière ces dernières années : une traversée pleine de dangers en Méditerranée, une longue marche à travers des pays européens dont ils n’avaient jamais entendu parler, puis plusieurs mois à Calais où ils ont risqué leur vie pour monter à l’arrière d’un camion.

Si l’afflux migratoire massif vers l’Union européenne (UE) était le grand sujet de 2015 et 2016, celui de 2017 est le devenir de ces personnes. Que réserve l’avenir aux dizaines de milliers de familles qui, comme Saïd et Wali Norzai, sont arrivées en Europe au cours des dernières années ?

Ce sont ces questions que le Guardian et trois autres médias européens, Le Monde, Der Spiegel et El País vont étudier dans le cadre d’un grand projet visant à enquêter sur les nouvelles arrivées en Europe et les populations qui s’y installent. Nous suivrons des réfugiés et des demandeurs d’asile dans quatre grands pays du continent – Saïd et Wali Norzai à Derby (Royaume-Uni), une grande famille syrienne à Lüneburg (Allemagne), une famille soudanaise qui sera peut-être accueillie en France et une équipe de foot en Espagne. Nous verrons si l’UE tient ses promesses aux réfugiés, comment ils modifient la société européenne et comment celle-ci les change.

Le père n’attend que la fin de l’école

Pour Saïd, 40 ans, producteur de melons poussé par le retour des talibans à quitter la province de Kunduz, à 300 km au nord de Kaboul, cette nouvelle vie est marquée par la solitude. En tant que demandeur d’asile en attente du statut de réfugié, il n’a pas le droit de travailler et a peu de relations à Derby, où lui et Wali ont été envoyés vivre par le ministère britannique de l’intérieur. Il ne parle presque pas anglais et progresse lentement dans les cours gratuits auxquels il assiste deux fois par semaine. Il est rongé par la disparition de sa femme et de ses autres enfants.

Après avoir déposé Wali à l’école, il rentre et reste assis seul dans leur appartement. Il n’y a guère autre chose à faire. Il n’a ni radio, ni ordinateur, ni smartphone ; la télévision dans la chambre qu’ils partagent est cassée. Quand il ne supporte plus le silence de l’appartement, il sort et marche seul dans les rues de Derby, en comptant les minutes jusqu’à ce que la journée d’école soit finie et qu’il puisse aller chercher son fils.

L’anglais de Wali, en revanche, après un peu plus de six mois passés dans le pays, est déjà bon et, du haut de ses neuf ans, il sert d’interprète à son père. Il appelle les médecins, les autorités, et même l’entreprise de sécurité G4S, qui gère l’immeuble où ils habitent, pour signaler les problèmes de maintenance. Il adore l’école, dit-il, où il s’est fait huit amis. Ensemble, ils jouent au foot et au cricket. Il aimerait devenir médecin.

Fin 2016, il y avait 38 517 demandeurs d’asile comme Saïd et Wali au Royaume-Uni, recevant une aide de l’Etat et espérant obtenir le statut de réfugié. Pour relater la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile dans le pays, le Guardian s’est rendu aux quatre coins de celui-ci, de Coventry à Cardiff en passant par Liverpool et Leicester. Des salles paroissiales de Sheffield et des foyers municipaux de St Helens aux appartements des demandeurs à Nottingham et Peterborough, nous avons rencontré ceux qui cherchent asile ici et les habitants, les organisations caritatives, les avocats, les assistants sociaux et les associations religieuses qui s’efforcent de les aider.

Les familles arrivent rarement entières

Sur certains plans, l’histoire de Saïd et Wali est assez typique. En 2016, l’Afghanistan était le quatrième pays d’origine des demandeurs d’asile, avec 8,7 % des demandes d’asile émanant de ressortissants afghans ; 70 % des demandeurs d’asile au Royaume-Uni sont de sexe masculin – souvent parce que les familles ne peuvent faire partir qu’une personne et choisissent pour diverses raisons d’envoyer un jeune homme – et il est rare que les familles cherchant asile arrivent entières dans le pays.

Parfois, comme ce fut le cas pour les Norzai, elles sont séparées pendant le voyage.

Au Royaume-Uni, les demandeurs d’asile sont confrontés à de graves problèmes que le Guardian analysera au fil de cette série, en les comparant avec ceux qui existent en Allemagne, en France et en Espagne et en demandant aux gouvernements et aux citoyens de ces quatre pays comment ils ont réagi aux nouvelles arrivées.

Tout au long du projet, nous suivrons deux des 38 000 demandeurs d’asile de Grande-Bretagne – Saïd et Wali – qui attendent de savoir s’ils seront autorisés à commencer leur vie sur place. Nous les avons rencontrés un peu plus de six mois après leur arrivée. Ils ont déposé leur demande d’asile et ont eu un entretien avec les services du ministère de l’intérieur ; ils doivent maintenant patienter pour obtenir une réponse leur indiquant si le statut de réfugié leur est accordé ou refusé.

Perte de temps

L’attente est particulièrement éprouvante pour Saïd, qui a hâte d’obtenir ce statut non seulement, comme la plupart des demandeurs avec enfants, pour pouvoir offrir une meilleure vie à son fils, mais aussi parce qu’il voit le temps perdu à attendre la réponse comme du temps qu’il aurait pu passer à chercher sa femme et ses autres enfants.

« Je veux continuer ma vie ici afin que mon enfant puisse poursuivre sa scolarité et devenir quelqu’un, explique-t-il. Lorsque mon fils rentre à la maison le soir, il me demande : “Papa, où sont ma maman et mes frères et sœurs ?” Maintenant que je suis là, je pensais qu’ils me donneraient un passeport. J’attends à présent un document pour partir à leur recherche en Turquie. Si je ne les trouve pas là-bas, j’irai en Iran. A part cela, que puis-je faire ?

« Je demande aux autorités britanniques de me donner un document pour partir chercher ma famille. Cela fait un an que mes enfants ont disparu. Je ne sais pas s’ils sont en Iran ou en Turquie, ni même s’ils sont vivants ou morts. »

500 jours, 25 migrants, 4 journaux, 1 projet

Pendant un an et demi, quatre grands médias européens, dont Le Monde, vont raconter chacun l’accueil d’une famille de migrants. Le projet s’appelle « The new arrivals ». A Derby, au nord de Londres, c’est la vie d’un agriculteur afghan et de son fils que décrira le Guardian. A Jerez de la Frontera, en Andalousie, El Pais suivra une équipe de foot composée de migrants africains. A Lüneburg, près de Hambourg, Der Spiegel va chroniquer le quotidien d’une famille de huit Syriens.

Comment vont se tisser les liens de voisinage ? Les enfants réussiront-ils à l’école ? Les parents trouveront-ils du travail ? Les compétences de ces migrants seront-elles mises à profit ? L’Europe les changera-t-elle ou changeront-ils l’Europe ?

Ce projet, financé par le European Journalism Centre, lui-même soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, permettra de répondre à ces questions – et à bien d’autres.

Texte d’abord paru dans The Guardian. Lire ici l’article original (en anglais). Et voir ici le reportage vidéo sur Saïd et Wali Norzai.