Moscou amorce une phase de « dégel » en libérant des prisonniers politiques
Moscou amorce une phase de « dégel » en libérant des prisonniers politiques
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
A un an de la prochaine élection présidentielle, le président russe, Vladimir Poutine, veut soigner son image dans un contexte international perturbé.
Ces derniers jours en Russie, le mot « dégel » s’est répandu à la vitesse de l’éclair sur les radios et sur Internet, non pour célébrer l’arrivée prochaine du printemps, mais la libération anticipée de prisonniers.
Pour « raisons humanitaires », Vladimir Poutine a signé, mardi 7 mars, un décret graciant Oksana Sevadisti, 46 ans, condamnée pour « haute trahison » à sept ans de colonie pénitentiaire. En 2008, juste avant le début de la guerre russo-géorgienne, cette vendeuse résidant à Sotchi avait envoyé un SMS pour décrire ce qu’elle voyait passer, comme tout le monde, sous ses yeux : un train de blindés faisant route vers l’Abkhazie, territoire proclamé autonome depuis.
La partie n’est pas finie pour son avocat, Evgueni Smirnov, qui réclame l’acquittement et la réhabilitation de sa cliente, poursuivie des années après le maudit message, destiné à l’un de ses amis géorgiens par ailleurs membre des services de sécurité – ce qu’elle ignorait. Jugée en mars 2016, elle fut expédiée derrière les barreaux dans la région d’Ivanovo, à 250 kilomètres au nord-est de Moscou, avant d’échouer à la prison de Lefortovo, dans la capitale russe. Du moins, l’espoir est-il permis. Car le pardon présidentiel, rarissime, intervient après d’autres libérations dont celle d’Ildar Dadine, qui figurait, comme Oksana Sevadisti, sur la (longue) liste des prisonniers politiques en Russie établie par l’ONG russe de défense des droits de l’homme Memorial.
Ildar Dadine, condamné à deux ans et demi de colonie pénitentiaire pour s’être posté seul à plusieurs reprises à proximité du Kremlin avec une pancarte, a été libéré le 26 février. | VASILY MAXIMOV / AFP
Décision exceptionnelle
En parallèle, Dmitri Boutchenkov, le dernier détenu de Bolotnaïa – lieu de rassemblement à Moscou des grands défilés de protestation contre M. Poutine à l’hiver 2011-2012 –, a quitté sa cellule le 2 mars pour être placé en résidence surveillée. Rouslan Sokolovski, « chasseur » de Pokémon dans une église accusé « d’extrémisme et d’outrage » et incarcéré depuis le 28 octobre, l’avait précédé de peu, le 13 février, dans cette voie. « A la veille de l’élection présidentielle de 2018, les autorités se débarrassent de ces injustices évidentes », soulignait, mardi, dans son éditorial le quotidien économique Vedomosti.
Le premier signal d’un vent libérateur a été perçu le 26 février avec la remise en liberté d’Ildar Dadine, premier citoyen russe condamné en vertu de la loi de l’été 2014 punissant sévèrement toute manifestation non autorisée. L’opposant s’était posté tout seul avec une pancarte, à plusieurs reprises, non loin du Kremlin. Condamné après appel à deux ans et demi de colonie pénitentiaire en Carélie (nord-ouest), cet homme de 32 ans sans casier judiciaire avait pu informer sa femme de la maltraitance dont il faisait l’objet. Devant l’émoi soulevé par ces révélations, il avait ensuite été transféré dans une autre prison.
La Cour suprême a fini par statuer sur le fait que le jugement avait été abusif et a ordonné sa réhabilitation, ainsi que le droit de percevoir des dommages et intérêts. Une décision exceptionnelle dont vient aussi de bénéficier Evguenia Tchoudnovets, incarcérée en colonie pénitentiaire à Nijni Taguil, dans l’Oural. Libérée lundi 6 mars, trente jours avant la fin de sa peine, cette jeune institutrice de maternelle âgée de 32 ans avait été condamnée à cinq mois de prison par un tribunal de la région de Kourgan, en Sibérie, pour avoir posté sur son compte VKontakte (l’équivalent russe de Facebook) une vidéo de trois secondes considérée par les juges comme de la « pornographie infantile ». Mme Tchoudnovets avait en réalité voulu témoigner de son indignation après avoir découvert cette vidéo dans laquelle des éducateurs d’un camp d’été se moquaient d’un enfant nu.
« Signaux envoyés à l’étranger »
« Le nombre d’affaires pénales politiques a cessé d’augmenter, cependant on ne peut pas parler d’amélioration, mais plutôt d’un changement de tactique du pouvoir sur fond d’affaiblissement des protestations », note Pavel Chikov, président d’Agora, une association russe de juristes et d’avocats, très engagée dans les procès à connotation politique.
Dans une longue tribune publiée, mardi, par le site d’information RBK, ce dernier relève que ces libérations interviennent avant l’élection présidentielle de 2018, tout comme celles de l’opposant Mikhaïl Khodorkovski, des membres du groupe Pussy Riot ou des militants de Greenpeace avaient eu lieu en 2013 avant les Jeux olympiques de Sotchi. « Les destinataires de ces signaux, poursuit Pavel Chikov, ne sont pas forcément à l’intérieur du pays, mais à l’étranger. » Dans le contexte de turbulence internationale, ajoute-t-il, « les pas soudains vers la démocratisation vont ajouter à l’incertitude et, par conséquent, le Kremlin obtiendra un avantage tactique (…). Le nombre de partisans du président russe ne fera qu’augmenter ». Il reste cependant cent deux prisonniers politiques sur la liste de Memorial en attente du dégel.