Pyongyang retient les citoyens malaisiens
Pyongyang retient les citoyens malaisiens
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est), Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Kuala Lumpur a réagi en empêchant de partir les Nord-Coréens résidant sur son sol. Les relations entre la Corée du Nord et la Malaisie ne cessent de se dégrader depuis l’assassinat de Kim Jong-nam.
L’ambassadeur nord-coréen, Kang Chol ( au centre), est escorté par des policiers à l’aéroport de Kuala Lumpur, le 6 mars. Le gouvernement malaisien a décidé de l’expulser de son territoire. | MOHD RASFAN / AFP
Le processus de dégradation des relations entre la Malaisie et la Corée du Nord, conséquence de l’assassinat de Kim Jong-nam, demi-frère du dictateur nord-coréen Kim Jong-un, à l’aéroport de Kuala Lumpur, est entré depuis le début de la semaine dans une phase spectaculaire : lundi 6 mars, le gouvernement malaisien expulsait l’ambassadeur nord-coréen, Kang Chol, décision suivie par la Corée du Nord, qui annonçait dans la foulée un traitement similaire pour l’ambassadeur malaisien à Pyongyang, Mohammed Nizan Mohammad.
Mardi, l’escalade s’est poursuivie de manière plus dramatique encore : le régime nordiste a annoncé que les ressortissants malaisiens résidant ou voyageant en Corée du Nord seraient « temporairement » empêchés de quitter le pays. Et cela jusqu’à ce que soit résolu, « de manière équitable », l’imbroglio entre les deux pays.
Le 13 février, Kim Jong-nam a été empoisonné au gaz VX, selon les enquêteurs malaisiens. Il s’agit d’un poison classé par l’ONU sur la liste des armes de destruction massive. La victime allait embarquer pour Macao à l’aéroport de Kuala Lumpur. Deux femmes, une Indonésienne et une Vietnamienne, qui l’avaient agressé en lui aspergeant le gaz mortel sur le visage, ont été arrêtées.
Selon l’agence de presse officielle nord-coréenne KCNA, l’interdiction de sortie du territoire pour les citoyens malaisiens sera levée quand « la sécurité des diplomates et des citoyens de la RPDC [République populaire démocratique de Corée, le nom officiel de la Corée du Nord] en Malaisie sera pleinement garantie ». Onze Malaisiens, dont trois diplomates, deux employés de l’ONU et leurs familles, résideraient à Pyongyang. Les autorités les ont appelés à « continuer à travailler et à vivre normalement ».
Œil pour œil, dent pour dent, la Malaisie a aussitôt réagi, décidant elle aussi d’empêcher de partir les citoyens nord-coréens résidant dans le royaume. Environ un millier de Coréens du Nord seraient présents en Malaisie. Le premier ministre malaisien, Najib Razak, a dénoncé la dernière décision nord-coréenne comme un « acte odieux, qui équivaut à une prise d’otage de nos citoyens, et cela dans le non-respect total des lois internationales ».
Le 2 mars, la Malaisie a décidé de mettre fin au système permettant aux ressortissants nord-coréens d’entrer sans visa sur son territoire. Jusque-là, ce pays était une des rares destinations à accès libre pour les Coréens du Nord qui pouvaient y travailler, faire des affaires ou étudier. La Malaisie veut aussi renforcer l’application des sanctions imposées par l’ONU à la RPDC, en s’attaquant aux activités menées par des Coréens du Nord sur son sol, notamment pour le commerce de matériel à usage militaire.
Pendant ce temps, l’enquête sur la mort de Kim Jong-nam se poursuit. Sept Coréens du Nord sont recherchés, dont un second secrétaire de l’ambassade à Kuala Lumpur, Hyon Kwang-song, et un employé de la compagnie aérienne Air Koryo, Kim Uk-il. Trois seraient toujours en Malaisie, vraisemblablement dans l’ambassade nord-coréenne. Selon les services sud-coréens, le second secrétaire serait un membre du ministère de la sécurité d’Etat de Corée du Nord. Il aurait pu superviser les modalités de l’assassinat.
Des excuses exigées
Pour l’ambassadeur nord-coréen, Kang Chol, qui a regagné Pyongyang mardi, l’enquête diligentée par la Malaisie est partiale et menée uniquement à charge contre la Corée du Nord, même si les autorités malaisiennes n’ont jamais directement accusé Pyongyang. Kuala Lumpur a exigé des excuses mais n’en a pas obtenu.
Mardi, le secrétaire d’Etat adjoint américain, Daniel Russel, a estimé que le meurtre avait été probablement commis « par ou au nom de la Corée du Nord au moyen d’un produit chimique interdit par une convention internationale ». Ses propos seraient les premiers d’un officiel américain à cibler publiquement Pyongyang dans l’affaire du meurtre.
D’après M. Russel, ces soupçons auraient incité Washington à refuser d’accorder des visas à des responsables nord-coréens, dont Choe Son-hui, directeur du bureau des affaires nord-américaines au ministère nord-coréen des affaires étrangères. Ce dernier devait se rendre bientôt aux Etats-Unis pour des entretiens avec des officiels américains. Daniel Russell a toutefois précisé que Washington n’a pas fermé la porte au dialogue.