Sur la route avec Jean-Jacques Brot, le préfet des réfugiés
Sur la route avec Jean-Jacques Brot, le préfet des réfugiés
Par Maryline Baumard
Un jour, celui qu’on appelle « le préfet des Syriens » a ajouté une famille de Soudanais en Israël à sa liste de migrants à réinstaller en France. Portrait d’un militant de l’asile.
Jean-Jacques Brot, préfet itinérant chargé de la mission pour l’accueil des réfugiés irakiens et syriens en France. Ici à Mayenne, début mars 2017. | THIERRY PASQUET/SIGNATURES POUR "LE MONDE"
Ne cherchez pas à Paris celui qu’on appelle « le préfet des Syriens ». Son temps, il le passe à sillonner la France. Toujours flanqué d’un stagiaire de Sciences-Po, ce préfet sans territoire a des milliers de kilomètres au compteur sur les routes départementales et des centaines d’étapes en région, depuis qu’en mars 2015 il s’est vu confier l’accueil en France des réfugiés syriens et irakiens. Début mars, il termine sa 80e mission en région et affiche 54 départements visités.
Besoin urgent de protection de la France
Depuis sa prise de fonction, M. Brot a réinstallé 2 650 Syriens, organisé l’arrivée de 373 anciens supplétifs de l’armée française oubliés en grand danger à Kaboul depuis trois ans… et plusieurs centaines d’Irakiens issues des minorités religieuses chrétienne et yézidis, menacés d’extermination par l’organisation Etat islamique.
A ces publics moyen-orientaux et afghans, le « préfet des réinstallations » a ajouté de-ci de-là des Erythréens et quelques autres ressortissants africains qui avaient eux aussi un besoin urgent de la protection du pays de Déclaration des Droits de l’Homme. C’est ainsi que la famille soudanaise aujourd’hui attendue à Bugeat s’est retrouvée sur ses listes. « Un jour, dans un couloir de la Direction Générale des Étrangers (DGEF), où j’ai mon bureau, un membre de la direction de l’asile, en lien avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) en Israël, m’a parlé de ces Soudanais qui devaient quitter rapidement le pays et qu’il ne savait à quelle instance confier. Lorsque la personne m’a décrit le profit de la famille, j’ai tout de suite pensé à la grande maison de Bugeat que l’évêché mettait à notre disposition dans un village qui souhaitait accueillir », se rappelle M. Brot. La suite s’écrira dans les semaines à venir, mais cet épisode raconte à merveille sa méthode de travail, et sa conviction intime qu’« il ne faut jamais ménager sa peine quand il s’agit de sauver des vies ».
Chaque jour, le préfet fait dans la dentelle pour ajuster offres et demandes. Dans ses carnets, il tient une liste de propositions de logements qu’il tente de les faire correspondre au mieux avec la liste des familles en souffrance dans ces pays qui ploient sous les centaines de milliers de réfugiés.
Pour allonger sa liste d’appartements, ce préfet atypique qui récite avec la même verve du Chateaubriand, du Proust ou des répliques de… Louis de Funès, n’hésite pas à payer de sa personne. Son credo est simple : « il faut réveiller cette France fraternelle et accueillante qui n’ose pas toujours s’exprimer ». L’ancien conseiller de Jacques Chirac, qui peut étonner par son franc-parler, a un amour profond pour « cette France solidaire qui a toujours ouvert ses portes aux gens dans le besoin », et reste persuadé qu’il suffit de demander pour obtenir…
Service après-vente irréprochable
C’est d’ailleurs ce qu’il fait depuis deux ans et ce qui lui permet de disposer aujourd’hui de plus de propositions de logements qu’il n’a de familles à loger. Car partout où il est passé, il a su convaincre par-delà les clivages politiques et prouver par l’exemple qu’un accueil bien mené ne posait jamais problème. « Vous vous souvenez de notre première rencontre, quand on a décidé de travailler ensemble ? », lui rappelle en aparté Loig Chesnais-Girard, le 3 mars. Le maire PS de Liffré (Ille-et-Vilaine) est fier d’avoir accueilli des « réfugiés Brot » que le préfet revient visiter un an après. Pour lui, en effet, le « service après-vente doit être irréprochable si on veut que d’autres communes nous fassent des propositions de logement ». Il a adopté le principe du cercle vertueux pour élargir encore son carnet d’adresses.
Homme de réseaux, il mobilise autant les milieux catholiques ou protestants que la longue liste d’élus des départements où il a officié comme préfet (Deux-Sèvres, Eure-et-Loir, Vendée, Finistère…) ; le tout enrichi de ses amis chiraquiens et de collectifs citoyens. Les plus accueillants lui servent de têtes de pont à partir desquelles il poursuit inlassablement sa quête. « Vous allez bien me prendre quelques autres familles », lançait-il encore début mars lors de plusieurs réunions de maires et d’associations dans les préfectures bretonnes, prouvant qu’il n’a rien perdu de l’énergie qui l’habite et espérant que « l’accueil ne s’arrêtera pas le 6 mai à 20 heures ».
Patient avec les esprits ouverts et constructifs, le préfet peut aussi s’agacer des effets d’annonces qui oublient de se concrétiser. Et là, c’est comme un orage qui s’abat sur l’auteur du sacrilège. Mercredi 2 mars, le représentant du maire de Quimper s’est ainsi entendu rappeler qu’il manquait 33 réfugiés dans sa ville puisque Ludovic Jolivet, son maire, avait fait l’annonce publique en septembre 2015 qu’il en prendrait 50 et que deux ans plus tard, seuls 17 sont là. Les petits calculs de celui qui a fait HEC avant Sciences-Po et l’ENA ne plaisent pas à tout le monde, mais avec le recul de ses 61 ans, le préfet s’en moque et poursuit sa route, porté par l’accueil des réfugiés et par les associations qui les aident.
« L’accueil marche s’il est fait sans tapage »
« Ces réunions de terrain me permettent de suivre l’intégration de mes familles, analyse-t-il. Car il est de mon devoir faire du cousu main, afin que les associations ne se retrouvent pas seules face à des blocages administratifs ». D’un coup de patte précis, il sait tacler l’opérateur qui « oublie » de meubler un appartement (alors que l’Etat lui a versé des subsides pour cela), la préfecture qui complique les arrivées ou les cours de français qui tardent à s’organiser – même si avant chaque nouvelle installation, il s’assure de la volonté municipale, de la qualité du logement et de l’équipe de bénévoles qui organise l’accompagnement, le grain de sable pouvant toujours enrayer la machine. « L’accueil marche s’il est fait sans tapage, avec une précision presque chirurgicale, répète celui qui croit que la fraternité française ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. « Il est du rôle de l’Etat de l’activer, en veillant que tout suive bien », insiste encore ce grand serviteur, avec ce qui lui reste de la diplomatie acquise lors de ses postes comme diplomate, en début de carrière.
Au cours des décennies passées, M. Brot s’était déjà frotté au logement des étrangers avec la gestion d’une autre crise. C’est en effet lui qui avait mis un point final au dossier politiquement empoisonné des Maliens de l’esplanade de Vincennes, en relogeant 36 familles dans les Hauts-de-Seine, où il a été secrétaire général de préfecture entre 1995 et 1997. A l’époque, cela lui avait valu, à lui, gaulliste convaincu, de se retrouver encensé par le journal L’Humanité. Une reconnaissance qui n’arrive pas à tous ceux qui ont le cœur à droite.
Pas que des Syriens et Irakiens
Depuis deux ans, deux hommes ont facilité le travail du préfet, laissé seul avec sa mission : son directeur Pierre-Antoine Molina et Pascal Brice, le directeur de l’Office français des réfugiés et des apatrides (OFPRA). L’OFPRA travaille en effet en amont de M. Brot pour alimenter le flux de réfugiés bénéficiant de la protection de la France. « Nous organisons des missions au Liban, en Jordanie, en Égypte ou en Turquie afin d’entendre les familles trop souffrantes pour rester dans ces pays, explique Pascal Brice. Si le plus grand nombre des réinstallés par M. Brot sont Syriens, cette nationalité n’est pas exclusive ». Après que ces populations ont été estimées éligibles à l’asile, c’est le tour de la DGEF d’intervenir pour octroyer les visas qui permettent la venue en France.
Quand Jean-Jacques Brot a été nommé pour s’occuper des « réinstallés », ces réfugiés fragiles sélectionnés par le Haut-Commissariat aux Réfugiés avant d’être entendus par la France, il n’était pas question de relocaliser 30 000 réfugiés frais débarqués en Italie et en Grèce, dans le cadre du grand marchandage européen de la relocalisation. Six mois plus tard, en septembre 2015, dans le sillage de l’émotion suscitée par la mort du petit Aylan sur une plage turque, cette nouvelle mission se met en place, confiée à un autre préfet, Kléber Arhoul, qui à ce jour a honoré, lui, 14 % de ses engagements en accueillant depuis les camps grecs et italiens.
500 jours, 25 migrants, 4 journaux, 1 projet
Pendant un an et demi, quatre grands médias européens, dont Le Monde, vont raconter chacun l’accueil d’une famille de migrants. Le projet s’appelle « The new arrivals ». A Derby, au nord de Londres, c’est la vie d’un agriculteur afghan et de son fils que décrira le Guardian. A Jerez de la Frontera, en Andalousie, El Pais suivra une équipe de foot composée de migrants africains. A Lüneburg, près de Hambourg, Der Spiegel va chroniquer le quotidien d’une famille de huit Syriens.
Comment vont se tisser les liens de voisinage ? Les enfants réussiront-ils à l’école ? Les parents trouveront-ils du travail ? Les compétences de ces migrants seront-elles mises à profit ? L’Europe les changera-t-elle ou changeront-ils l’Europe ?
Ce projet, financé par le European Journalism Centre, lui-même soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, permettra de répondre à ces questions – et à bien d’autres.