« La suspension du vote électronique, quelle régression ! »
« La suspension du vote électronique, quelle régression ! »
Des Français installés à l’étranger ont répondu à l’appel à témoignages lancé par « Le Monde » au sujet de la suspension du vote électronique pour les législatives.
Isabelle C. est catégorique : « Il faut beaucoup d’énergie pour voter de l’étranger. » Cette Française installée en Allemagne a répondu à l’appel à témoignages lancé par Le Monde, après l’annonce de la suspension du vote électronique aux législatives pour les Français de l’étranger.
Pour accomplir son devoir citoyen, « il faut se déplacer, précise Isabelle C., mais les bureaux de vote sont parfois très éloignés de son domicile ». Ou alors, « trouver un ami français disponible le jour de l’élection et inscrit sur la même liste électorale ». Quant au vote par correspondance, « le consulat m’a prévenue que les lettres n’arrivaient pas toujours », dit-elle. En résumé, même dans un pays comme l’Allemagne où tout « marche relativement bien », voter à des élections françaises, « c’est possible mais pas simple ». Pour Isabelle C., le vote électronique, à la condition qu’il soit sûr, reste donc bien « la meilleure solution ».
En 2017 pourtant, les 1,3 million de Français vivant à l’étranger et inscrits sur les listes électorales consulaires ne pourront pas voter sur Internet. Le ministère des affaires étrangères a suspendu cette possibilité lundi 6 mars, « en tenant compte du niveau de menace extrêmement élevé de cyberattaques ».
« Les législatives, ce sera sans moi ! »
Certes, les électeurs pourront toujours voter par correspondance – s’ils ont fait une demande avant le 31 mars – ou par procuration, dans leur pays de résidence ou en France, selon l’endroit où ils sont inscrits. Mais l’impossibilité de voter sur Internet pourrait bien doucher la motivation de certains électeurs installés hors des frontières du territoire.
Fabrice C. ira tout de même voter, car l’enjeu est « trop important ». « Mais quelle régression ! », regrette ce Français habitant à Londres, qui a profité du vote électronique « à tous les scrutins pour lesquels il était proposé ». Ce quadragénaire peut se déplacer pour glisser un bulletin dans une urne : il habite « à vingt minutes en métro du consulat ». Mais l’endroit n’est pas « un bureau de vote comme les autres » et il a constaté, à chaque élection, « des queues dignes de scrutin de pays du tiers-monde ».
« Des heures d’attente dans le charmant et tropical temps anglais, confirme Lucile R., elle aussi installée dans la capitale britannique, il faut être motivé ! » La Française dit : « OK pour le faire pour la présidentielle », mais « les législatives, ça sera sans moi ! » Pour elle comme pour beaucoup d’expatriés, l’impossibilité du vote électronique va se traduire par de l’abstention.
Laurent B. par exemple, habitant le Queensland, en Australie, « ne souhaite pas voter par correspondance » – est-ce réellement plus sûr ?, s’interroge-t-il – et ne se déplacera pas non plus jusqu’au consulat, trop éloigné. Agé de 48 ans, il précise que son épouse et sa fille agiront de même : « Bilan : trois votes, trois voix de perdues. »
« Un déni de démocratie »
Au-delà de la perte de temps, se déplacer jusqu’à son consulat peut aussi avoir un coût. Jean-Pierre L. habite à Leòn, dans le nord-est de l’Espagne. En 2012, il a voté pour les législatives sur Internet mais a dû aller jusqu’à Madrid pour participer à la présidentielle. Une escapade citoyenne à 150 euros. Cinq ans plus tard, il lui faudrait donc débourser le double. C’est « lamentable de payer pour voter », se plaint-il.
Le consulat de rattachement de Cyril C., trentenaire installé à Winnipeg, au Canada, est à Toronto. Soit à un peu plus de 2 000 km et 2 h 30 d’avion de son lieu de résidence. Un vol aller-retour coûte, au minimum, 300 euros. « Pour moi comme pour beaucoup d’autres Français dans une situation similaire, la suspension du vote électronique signifie tout simplement que je ne pourrai pas exercer mon droit de vote. C’est un déni de démocratie », déplore-t-il.
« J’ai peur que, finalement, les députés de l’étranger soient élus par les “expats” privilégiés des capitales, plus riches et bourgeois, que par l’ensemble des immigrés français », note Jérôme D., qui vit « à deux heures d’avion d’Oslo », en Norvège. « Faut être motivé pour perdre deux jours pour avoir un représentant de notre beau pays », remarque encore Pierre J. depuis le Vietnam.
« La menace russe est réelle »
Renaud G., installé à Londres, comprend la déception de certains de ses compatriotes. Mais celui qui se présente comme un « professionnel de l’informatique » souligne que « la menace russe est élevée et réelle » et que « l’intégrité du scrutin ne saurait passer derrière des questions de convenance personnelle ». Si le ministère français des affaires étrangères n’a pas fait état de menaces spécifiques sur les élections législatives, plusieurs gouvernements européens et responsables politiques ont publiquement accusé la Russie de mener des opérations électroniques visant à déstabiliser des élections en Europe.
« Il ne faut pas exagérer la gêne occasionnée par cette adaptation aux nouveaux risques », confirme Elodie D., à Milan, pour qui « les risques de piratage russe semblent justifier l’abandon du vote électronique pour les législatives ». « Si risque de fraude il y a, j’imagine par les hackeurs russes, il vaut mieux limiter les risques et interdire effectivement le vote électronique », juge aussi Philippe R., qui écrit de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Lui n’est pas sûr de pouvoir voter aux législatives cette année, mais cela ne l’empêche pas de relativiser : « Partir à l’étranger est un choix aux conséquences lourdes, que chaque expatrié doit bien accepter : éloignement des amis, des parents, de sa culture, de sa langue, de son système de soin, de son système scolaire, mal du pays… Ne pas pouvoir voter n’est pas la plus gênante d’entre elles. »