TRIBUNE. Gandoufa pleure dans un silence de mort. La ville n’existe aujourd’hui que par le gémissement de sa population, isolée du reste de la Libye. Du monde aussi. Cette petite encablure de la banlieue de Benghazi fait partie de ces mille et un lieux abandonnés par les discours médiatiques dont les souffrances et les tourments résonnent comme des cris terrifiants.

De jour comme de nuit, Gandoufa vibre sous le bourdonnement des bombes de l’armée du général Haftar [homme fort de la Cyrénaïque et chef de l’Armée nationale libyenne (ANL)] et des balles des groupes terroristes. Une triste symphonie que les enfants de la ville connaissent par cœur. Car pour eux, la peur est constante, et les gestes sont identiques : il faut se courber à même le sol, et attendre, attendre le silence rédempteur, seul signe d’un apaisement temporaire.

Prétendu succès militaire sur fond de crise humanitaire

Depuis juillet 2014, l’Opération dignité dirigée par Haftar contre les milices islamistes a détruit la plupart des quartiers de Gandoufa. L’armée et les combattants du Conseil des révolutionnaires de la Shura de Benghazi – principal groupe terroriste – en ont fait un sanglant terrain d’affrontement, en dépit de la présence des civils, meurtris par deux années de guerre et de blocus.

Ses habitants n’ont plus accès à des aliments frais depuis des mois, l’eau potable y est très limitée, et l’électricité reste un luxe. De plus, les résidents de Gandoufa vivent dans une crainte constante, car sortir de chez soi est équivalent à acheter sa propre mort. Au cœur de la ville, les routes sont ensevelies sous les piles de décombres, les petits chemins sont parsemés de mines alors que les check-points de l’armée le long de la côte surveillent les « traîtres » qui osent quitter la ville alors que la victoire est imminente.

Le 25 janvier 2017, l’armée a proclamé la libération de Gandoufa et sa victoire sur les forces obscurantistes. « Une victoire du peuple », déclare un commandant de l’armée. Mais ce petit succès recèle un vrai drame humanitaire, sur fond de pénurie et de famine, d’hôpitaux terrassés et d’écoles détruites. Récemment, quelques organisations humanitaires ont émis des appels internationaux pour aider cette sinistre région, mais très peu d’entre elles maintiennent des effectifs sur le terrain.

Pour Magdalena Mughrabi, vice-directrice de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord chez Amnesty International, « le temps presse pour les civils à Gandoufa. Ils sont laissés-pour-compte durant cette intense période de combat. Tandis que les bombes et les obus continuent à pleuvoir, les civils luttent pour survivre. Ils n’ont accès qu’à peu de nourriture pourrie et une eau contaminée ». Le Croissant-Rouge libyen, une organisation relativement bien réputée dans le pays, a tenté de convaincre l’armée de la nécessité d’entrer dans la ville afin de porter secours aux habitants. Sans grand succès.

Quand l’armée règne en maître

Le cyclone de la guerre libyenne a donc emporté dans ses flots Gandoufa, autrefois paisible et douce ville sur le bord de la Méditerranée. Désormais, elle compte ses défunts par centaines, majoritairement des civils dont beaucoup d’enfants et de nombreux jeunes qui n’ont cherché, souvent, qu’à protéger leurs maisons, leurs ruelles ou leurs quartiers des groupes terroristes.

Alors que l’armée libyenne a mené une effroyable campagne de bombardement durant le mois de janvier dernier, des milices extrémistes campent toujours au sein du quartier Bâtiment 12. Selon des chiffres approximatifs, il resterait quelques centaines de personnes emprisonnées dans ce bourbier, sans la moindre nouvelle de leur sort. Gandoufa n’a donc toujours pas tourné la page sombre de la guerre.

Dès lors, larmée a endurci ses actions contre les milices terroristes. Elle a déployé ses forces spéciales sur le terrain tout en menant des raids quotidiens sur les dernières poches de résistance. Et afin de stopper les percées des terroristes, Haftar a décidé de limiter la liberté de circulation dans la ville, particulièrement pour les hommes adultes.

Selon Hannah Saleh, chercheur sur la Libye chez Human Rights Watch, « l’armée ne peut empêcher un citoyen de quitter une zone de combat, quel que soit son âge ou son sexe. La présence des terroristes à proximité des résidences ne lui donne pas l’autorisation de piéger les habitants, encore moins de les laisser mourir de faim ».

Les civils comme bouclier humain

Malgré les assurances de l’armée, la population de Gandoufa est loin d’être réconfortée. Les incursions des forces spéciales sont aussi violentes que les attaques des groupes extrémistes qui, d’ailleurs, n’hésitent pas à utiliser les civils comme bouclier humain.

Le discours triomphaliste de l’armée de Haftar à Gandoufa sonne comme une fausse note pour la population civile. Tristement, l’armée autant que les groupes terroristes soufflent, encore et toujours, sur les braises de la catastrophe humanitaire. À l’heure où la communauté internationale réévalue le rôle de Haftar au sein de la crise politique libyenne, il est plus que jamais temps d’exprimer à son armée les inquiétudes concernant Gandoufa.

Il est aussi plus que jamais le moment de s’indigner des abus d’un régime militaire brutal et des exactions sanguinaires des groupes terroristes, dans un conflit où les grandes puissances ne peuvent s’exonérer de toute responsabilité.