Fort du succès de son premier rapport paru en 2015, le cercle de réflexion Africa Progress Panel (APP) a réitéré l’exercice, lundi 13 mars en publiant, sous le titre « Lumière, puissance, action : électrifier l’Afrique ». Dirigé à l’intention des pouvoirs publics comme des investisseurs étrangers, l’objectif est cette fois-ci de « fournir des informations pertinentes et des réflexions complémentaires utiles pour étayer la mise en œuvre des nouvelles initiatives publiques et privées ambitieuses ». En clair, développer des pistes concrètes afin d’accélérer l’électrification des pays africains. Un projet qui se confronte à un double impératif énergétique, « consistant à la fois à étendre l’échelle de l’électrification et à en accélérer le rythme », précise Kofi Annan, qui préside l’APP. Une « tâche colossale » qui nécessitera un processus de transformation social et économique profond sur tout le continent.

L’édition 2015 avait secoué les institutions africaines et les investisseurs internationaux lors de sa publication au Forum économique mondial, en juin. Intitulée « Energie, planète : saisir les opportunités énergétiques et climatiques de l’Afrique », l’étude de l’APP, dirigé par l’ancien secrétaire général de l’ONU et prix Nobel de la paix, faisait un constat saisissant sur la situation énergétique du continent. Entre retards accumulés dans la course aux énergies et pistes prometteuses, le document élaborait une vision d’avenir où l’Afrique pouvait prendre la place de meneur mondial dans les énergies renouvelables.

« Commerce transfrontalier indispensable »

Afin de répondre à ce triple défi, « garantir à tous l’accès à des services énergétiques sûrs et abordables ; mettre en place l’infrastructure énergétique nécessaire à l’avènement d’une croissance inclusive et à la création d’emplois ; et limiter les émissions de carbone », le rapport préconise une approche panafricaine où les partenariats public-privé (PPP) sont facilités par les législations. « L’Afrique est riche en ressources énergétiques, mais celles-ci ne sont pas uniformément réparties. Le commerce transfrontalier de l’électricité est donc indispensable », avance le rapport. Aujourd’hui, malgré l’existence de cinq pools énergétiques régionaux et des projets d’interconnexions en cours, « seuls 8 % de l’électricité est commercialisée par-delà les frontières, détaillent les experts de l’APP, et ces pools ne sont pas reliés les uns aux autres. »

Après l’accord de Paris sur le climat, approuvé le 12 décembre 2015, symbole « de victoire du multilatéralisme et de la coopération internationale », Kofi Annan craint de voir ces efforts sapés si « les milliards de dollars destinés à la transition énergétique en Afrique ne commencent pas à affluer en 2017 ». Mais pour en assurer le bon usage, il faut aussi que les pays bénéficiaires engagent une lutte contre la corruption et améliorent la transparence des entreprises publiques du secteur de l’énergie qui « souffrent d’une mauvaise gestion et d’une inefficacité chronique, comme en témoignent leurs difficultés à fixer les tarifs, à percevoir des recettes et à soutenir les partenariats public-privé et les investissements dans le secteur, ce qui a pour conséquence des pertes d’énergie considérables dans le transport et la distribution d’énergie », ajoute-t-il.

Résultat d’un secteur énergétique inefficient et du besoin toujours plus pressant pour les populations de bénéficier de l’électricité afin d’améliorer leur quotidien, le fléau du vol de l’énergie grève le développement du secteur sur tout le continent. En premier lieu, le fait « d’individus et d’organisations qui ont les moyens de payer cette consommation », le vol de l’énergie concerne aussi « les personnes dans l’incapacité de payer [leurs factures d’électricité] parce qu’elles sont trop pauvres », souligne le rapport. D’où l’urgence pour les dirigeants de résoudre le « trilemme énergétique » : comment garantir une énergie fiable et durable à un prix abordable ?

S’éclairer de façon propre et autonome

L’Africa Progress Panel propose comme solution impérative de développer le hors réseau et le mini-réseau, « en associant les technologies de pointe et l’ingéniosité du caractère africain ». L’étude donne deux exemples de proximité éclairants, précédemment traités par Le Monde Afrique, comme le cartable solaire à lampe développé en Côte d’Ivoire qui aide les élèves à faire leurs devoirs le soir dans les villages sans électricité, ou l’explosion des solutions solaires domestiques (ou pico-solaires) au Kenya avec des entreprises comme M-Kopa fournissant des kits pour éclairer sa maison de façon propre et autonome. Parmi les 315 millions d’Africains qui auront accès à l’électricité d’ici à 2040 dans les zones rurales, le rapport estime que « 30 % seulement seront raccordées aux réseaux nationaux, tandis que la plupart disposeront d’électricité grâce aux installations à usage domestique hors réseau ou aux mini-réseaux ».

« Nous ne pouvons plus nous limiter aux approches traditionnelles d’extension du réseau, qui ne sont plus viables, soutient Kofi Annan. Elles sont excessivement chronophages et ne répondent pas aux besoins des économies et des sociétés en pleine croissance. Au contraire, les Etats et leurs partenaires doivent en profiter pour redessiner leur avenir énergétique. »

Sur le 1,2 milliard de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité dans le monde, 53 % sont en Afrique, soit 620 millions de personnes, les deux tiers du continent. Même si quelque 145 millions d’Africains ont obtenu l’électricité depuis 2000, le rythme de l’électrification n’a pas partout suivi celui de la croissance démographique. « A moins que la cadence de l’électrification ne s’accélère, le nombre d’Africains dépourvus d’électricité aura augmenté de 45 millions d’ici à 2030 », prévient l’APP.