Une étape importante a été franchie lundi 13 mars dans l’enquête hautement sensible que mène Bruxelles à l’encontre du géant gazier russe Gazprom pour abus de position dominante. Les deux parties s’approchent désormais d’un accord à l’amiable. Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence, s’est en effet dite « satisfaite » des propositions du groupe contrôlé par l’Etat russe, pour changer ses comportements sur les marchés européens.

Gazprom a fourni fin décembre 2016 des engagements qui « répondent à nos préoccupations en matière de concurrence », estime Mme Vestager. Ils « permettront la libre circulation du gaz en Europe centrale et orientale à des prix concurrentiels », et ils « répondent à nos préoccupations en matière de concurrence et offrent une solution d’avenir qui est conforme aux règles de l’Union européenne ».

Plusieurs tentatives de conciliation

C’est le prédécesseur de Mme Vestager, l’espagnol Joaquin Almunia, qui en 2012 avait officiellement lancé la procédure d’enquête à l’encontre d’un groupe occupant une position dominante dans l’approvisionnement en gaz des marchés d’Europe centrale et orientale, avec des parts de marché largement supérieures à 50 %. Après des tentatives de conciliation, la Commission a décidé de passer à la manière forte en avril 2015, en communiquant sa « liste des griefs » à Gazprom. Bruxelles lui reprochait d’agir de manière « abusive » dans huit pays membres (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Slovaquie).

La Commission estime que le groupe empêche ses clients de revendre le gaz qu’il leur fournit, pratique des prix bien plus élevés que ses coûts et que les « prix de référence » dans cinq des huit pays concernés (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne) et subordonne ses contrats de livraison, en Bulgarie et en Pologne, à l’investissement dans des projets d’infrastructures gazières.

« Les engagements fournis par Gazprom, qui sont le résultat d’un travail conséquent, démontrent notre volonté de répondre aux considérations de la Commission européenne. Nous espérons que la Commission et les marchés vont répondre positivement, ce qui permettra d’aller de l’avant et de clore l’affaire dans un futur proche », a réagi, lundi, Aleksandr Medvedev, le vice-président de Gazprom.

La menace d’une amende record

Le groupe s’est défendu pied à pied, mais cherchait depuis des mois à enterrer la hache de guerre, une procédure ouverte avec Bruxelles ne pouvant avoir qu’un effet négatif sur son activité. L’enquête n’est pas close pour autant : elle ne le sera que quand les « parties prenantes », les huit Etats concernés et leurs distributeurs locaux de gaz, auront donné leur assentiment. La durée de ce « test de marché » est de sept semaines.

Si les parties prenantes repoussent les propositions de Gazprom, ce qui n’est pas exclu, un nouveau cycle de négociations devra à nouveau s’engager avec Bruxelles… Avec toujours le risque pour Gazprom, s’il n’aboutit pas, de se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires annuel mondial (il s’élevait à 82,9 milliards d’euros en 2015).

Cette enquête de concurrence est l’une des plus délicates que Bruxelles ait aujourd’hui à mener. Même si Mme Vestager répète inlassablement qu’elle n’a pas d’agenda géopolitique caché, beaucoup surinterprètent toutes ses décisions à l’aune des relations tendues entre la Russie et l’Union européenne. A l’été 2014, l’Europe a décidé des sanctions économiques contre Moscou à la suite de son annexion de la Crimée, qu’elle n’a toujours pas levées.

Dans les semaines qui viennent, la commissaire, réputée pour son courage et son habileté, est également attendue sur deux autres enquêtes au moins aussi sensibles : les soupçons d’aides d’Etat illicites du Luxembourg à l’encontre d’Amazon et de McDonald’s. Deux nouvelles sociétés américaines dans le viseur de Bruxelles, après Google et surtout Apple, qui a écopé d’une amende historique de 13 milliards d’euros (à rembourser à l’Irlande) en août 2016… A l’époque, l’administration Obama n’avait pas hésité à faire entendre son mécontentement, en criant au protectionnisme. L’administration Trump risque d’être au moins aussi démonstrative.