Présidentielle : dans les coulisses du dépouillement des parrainages
Présidentielle : dans les coulisses du dépouillement des parrainages
Par Manon Rescan
Au Conseil constitutionnel, l’enregistrement et la vérification des fameux documents ouvrant la voie des prétendants à l’Elysée se révèlent un processus minutieux.
La démocratie est aussi, parfois, un artisanat. Le suivi depuis le Conseil constitutionnel du dépouillement des parrainages d’élus pour les candidats à la présidentielle en est la démonstration. Toute la matinée, mardi 14 mars, l’institution de la rue de Montpensier, dans le 1er arrondissement de Paris, a ouvert ses portes au Monde, révélant le processus d’enregistrement et de vérification de ces signatures qui, quand elles sont au moins cinq cents, qualifient les candidats pour briguer l’investiture suprême.
Le processus a changé cette année, et pourrait encore évoluer en vertu de l’adoption, en avril 2016, de la loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Ce texte prévoit la dématérialisation de l’envoi des parrainages, dont les conditions doivent être fixées par décret « au plus tard le 1er janvier 2020 ». Si cela se concrétise, 2017 sera la dernière campagne au cours de laquelle une partie de ce rituel institutionnel se réalise entièrement à la main. Un travail minutieux que l’on vous explique pas à pas.
8 h 30, l’heure du facteur
Arrivée du courrier avant le dépouillement des parrainages des candidats à l'élection présidentielle 2017. Au Conseil constitutionnel à Paris , mardi 14 mars. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Trois grandes caisses orange chargées d’enveloppes font leur entrée sous les arcades du Palais-Royal. Il est 8 h 30 et pas moins de trois personnes ont attendu l’arrivée du facteur qui livre sa fournée du jour. Un peu plus de 800 parrainages d’élus, un nombre proche de la moyenne « qui est de 750 », confie Guy Prunier, l’un des superviseurs du processus. Le rythme de leur arrivée varie depuis le début de la collecte, le 24 février. Celle-ci s’achèvera vendredi 17 mars à 18 heures (jusqu’à samedi matin pour certains départements d’outre-mer).
Depuis cette année, ce sont les élus qui adressent directement leurs parrainages au Conseil constitutionnel. Auparavant, les candidats et leurs mandataires pouvaient le faire eux-mêmes, mais pour éviter les mises en scène de candidats venant remettre, ou non, leurs parrainages, le législateur a mis fin à cette pratique. Une réforme qui avait aussi pour vocation de préserver, autant que faire ce peu, les élus des pressions exercées par les candidats. Cette nouveauté avait toutefois inquiété certains candidats craignant que l’ajout de cette procédure n’entraîne une déperdition de parrainages.
Les enveloppes sont triées et ouvertes
Dépouillement des bulletins de parrainage des candidats à l'élection présidentielle 2017. Au Conseil constitutionnel à Paris , mardi 14 mars. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
En moins de deux minutes, les caisses de courriers sont envoyées au quatrième étage du siège du Conseil constitutionnel, où une équipe composée de membres de tous les personnels de l’institution, du chauffeur à la cheffe de service, « met la main à la pâte », comme l’explique David Usseglio, qui supervise également le fastidieux processus.
Les courriers passent entre les mains d’une première personne qui, en les glissant dans la machine à décacheter les enveloppe, y détecte aussi celles qui sont non conformes. Depuis cette année, le législateur impose que les formulaires soient renvoyés dans une enveloppe spécifique. Tous ceux qui y dérogent sont invalides et donc non comptabilisés. De même, seuls les courriers envoyés par voie postale (La Poste ou un autre opérateur) sont jugés valides par la loi.
Dépouillement des bulletins de parrainage des candidats. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Les formulaires issus d’enveloppes conformes sont, eux, dépouillés et triés par candidat. A 8 h 34, deux formulaires attendent déjà dans la bannette au nom de Jean Lassalle. Mais rapidement les piles les plus nourries sont celles de trois candidats qui ont reçu, jusque-là, le plus de parrainages : François Fillon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron.
Chaque document passe ensuite à nouveau dans les mains de Guy Prunier, qui, d’un coup de tampon, entérine l’heure et la date de l’arrivée et lui attribue un numéro. Les parrainages sont ensuite scannés et photocopiés. Les originaux sont placés dans un coffre-fort gardé par un membre de la garde nationale.
Les parrainages originaux resteront dans le coffre pendant quelques semaines encore, avant d’être versés aux Archives nationales. Le travail d’enregistrement des parrainages se poursuit, lui, sur les photocopies.
Mise au coffre des originaux des parrainages des candidats. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Première vérification
Au coin d’une fenêtre, quatre juristes du Conseil constitutionnel procèdent à un premier tri. D’un coup d’œil, ils vérifient que les formulaires comportent les mentions essentielles : le nom du parrain, celui du candidat soutenu, la signature et, pour les maires, le sceau de la mairie. Si tout y est, le parrainage est marqué au crayon vert « PV » – pour « présumé valide » – et prêt pour la saisie.
Au crayon rouge, ils mentionnent si le parrainage n’est pas valide. Deux cas de figure se présentent alors. Soit le formulaire est totalement non-conforme, par exemple lorsqu’il manque à la fois le nom du candidat parrainé, ou encore la signature et le sceau de la mairie. Dans ce cas, il est écarté définitivement. Dans un second cas, si ces défauts peuvent être rattrapés, comme lorsque seul le sceau de la mairie manque, il est transmis à l’équipe des rapporteurs adjoints qui vont recontacter l’élu pour compléter sa déclaration.
Deuxième vérification
Saisie informatique après le dépouillement des bulletin de parrainage. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Six binômes de salariés du Conseil s’affairent à présent autour d’ordinateurs pour enregistrer les parrainages avec un logiciel prévu à cet usage. Là encore, tous les salariés du Conseil, des secrétaires comme des cadres, peuvent prêter main-forte. Cette étape permet de s’assurer une nouvelle fois de la validité du document, en vérifiant l’inscription du parrain au registre national des élus. Celle-ci permet de certifier que l’identité de l’expéditeur n’est pas tronquée. Si un problème est constaté, le parrainage est là encore transmis aux rapporteurs adjoints.
Pour garantir la sécurisation informatique du processus et éviter les risques de piratage, les ordinateurs utilisés sont déconnectés de tout réseau Internet. Seul un serveur local est utilisé et le transfert de la base de données en vue de sa publication est fait « par simple clé USB », explique M. Usseglio.
« Madame le maire bonjour »
Afin de traiter les formulaires litigieux, mais pas invalides, la Cour des comptes et le Conseil d’Etat détachent certains de leurs conseillers qui se relaient comme rapporteurs adjoints. A eux d’entrer en contact avec les élus afin de faire compléter le formulaire.
"Mme le maire bonjour" ici les #parrainages litigieux sont traités. Quand c'est possible l'élu est appelé pr des vé… https://t.co/vk9JzBdgw5
— manonrescan (@Manon Rescan)
« Madame le maire bonjour. » Pas toujours facile de joindre les élus dans « la France rurale. Certains maires travaillent et ne passent en mairie qu’une fois par semaine », observe Nicolas Pehau. Pour contacter les élus d’outre-mer aussi il faut viser juste, en fonction du décalage horaire. Lorsqu’ils parviennent à les avoir au téléphone, ils leur proposent d’envoyer un document supplémentaire confirmant leur parrainage (copie de carte d’identité lorsque c’est un problème d’état civil, envoi d’un document signé avec sceau de la mairie lorsque celui-ci manque, etc.). Quand le téléphone sonne dans le vide, les rapporteurs relancent jusqu’à deux fois. Une petite dizaine de dossiers restait, mardi midi, sans réponse. Au final, en moyenne seuls 1 % des parrainages sont invalidés.
En cas de contentieux, que les rapporteurs adjoints ne peuvent pas trancher, les membres du Conseil constitutionnel ont le dernier mot, lors de leurs réunions bi-hebdomadaires.
Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, pose dans la sallle des séances du Conseil constitutionnel, à Paris. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Tous les mardis après-midi et vendredis matin, les neuf « sages » se réunissent à huis clos pour valider les listes de parrainages avant leur publication, et, donc, se prononcer sur les cas litigieux.
Publication des parrainages
Il est 17 heures. Une nouvelle salve de parrainages, la cinquième depuis le début du processus, est publiée sur le site du Conseil constitutionnel. Jean-Luc Mélenchon vient de passer la barre de cinq cents parrainages, quand Jacques Cheminade et Jean Lassalle s’en rapprochent. C’est une autre des nouveautés de cette année, auparavant, même s’ils en recevaient davantage, les candidats ne voyaient que cinq cents des signatures qu’on leur avait accordées être publiées.
Le nouveau système a fait craindre à de nombreux candidats que les élus rechignent à les soutenir, par peur de répercutions politiques. « Le juge de paix, ce sera le total des parrainages accordé, estime Laurent Fabius président du Conseil constitutionnel. Pour le moment nous sommes à peu près dans les mêmes chiffres que lors des précédentes élections présidentielles. »
Mardi soir, plus de 11 800 soutiens avaient été validés. Le total pourrait avoisiner les 15 000, selon M. Prunier. En 2012, environ 14 790 élus avaient soutenu un candidat. Au total ce sont pourtant près de 42 000 élus qui sont en mesure de s’exprimer à ce sujet. « C’est un acte qui engage », note M. Fabius, qui juge « compréhensible » que certains élus préfèrent « prendre leurs distances » avec ce processus.