Le Conseil constitutionnel censure le dispositif des assignations à résidence
Le Conseil constitutionnel censure le dispositif des assignations à résidence
Par Jean-Baptiste Jacquin
Les gardiens de la Constitution retoquent la procédure par laquelle le ministre de l’intérieur comptait demander le feu vert pour prolonger au-delà d’un an des mesures d’assignation de l’état d’urgence.
Le dispositif imaginé dans la loi du 19 décembre pour permettre de prolonger les assignations à résidences au-delà d’un an dans le cadre de l’état d’urgence a été censuré, jeudi 16 mars, par le Conseil constitutionnel. Les audiences devant quatre juges des référés du Conseil d’Etat prévues vendredi pour examiner les demandes d’autorisation du ministre de l’intérieur de renouveler les assignations à résidence de douze personnes devront être purement et simplement annulées.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour savoir si l’article 2 de la cinquième loi de prorogation de l’état d’urgence est conforme à la Constitution. Cet article proclame qu’« une même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant à plus de douze mois ». Il fait écho à la préoccupation de nombreux juristes, au premier rang desquels le vice-président du Conseil d’Etat, pour qui les assignations à résidence devaient être limitées dans le temps par le législateur. Mais cette règle, nouvelle, est immédiatement suivie dans la loi par une exception qui permet au ministre de l’intérieur de « demander au juge des référés du Conseil d’Etat l’autorisation de prolonger une assignation à résidence au-delà de la durée mentionnée au douzième alinéa [douze mois] ».
Contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
Le Conseil constitutionnel estime que la nature d’une assignation à résidence ne change pas avec sa durée. Même au-delà de douze mois, il la qualifie de restriction de liberté, donc relevant du contrôle a posteriori du juge administratif, et non d’une mesure privative de liberté, nécessitant une autorisation préalable du juge judiciaire. Ce que les avocats de Sofiyan I., Bruno Vinay et Patrice Spinosi, avaient plaidé à l’audience du 7 mars devant les neuf membres de cette haute institution de la République.
C’est la procédure d’autorisation que le Conseil constitutionnel censure aujourd’hui, l’estimant contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « qui garantit notamment le droit à un recours juridictionnel effectif ».
De fait, selon le nouveau dispositif, le ministre de l’intérieur devait solliciter l’autorisation du Conseil d’Etat pour prolonger une telle mesure restrictive de liberté au-delà de douze mois. Or, en cas d’autorisation, et donc de prolongation, les personnes assignées ont le droit, comme tout le monde, de contester la légalité de la décision devant les juridictions administratives. In fine, la loi demandait au Conseil d’Etat « d’autoriser, par une décision définitive et en se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort », peut-on lire dans la décision du Conseil constitutionnel. Autrement dit, le Conseil d’Etat se retrouvait juge et partie, ce qui n’est pas vraiment le principe d’une bonne justice.
Une triple réserve d’interprétation
Les gardiens de la Constitution ont décidé, en outre, que cette censure prenait un effet immédiat. Résultat, c’est au ministère de l’intérieur de prendre ses responsabilités et d’assumer seul la décision extrajudiciaire autorisée par l’état d’urgence d’assigner à résidence une personne plus d’un an. Celle-ci pourra bien sûr exercer son droit de recours devant le juge administratif. L’autorisation préalable du Conseil d’Etat apparaissait ainsi comme une garantie apportée au ministre de l’intérieur, mais pas aux personnes assignées à résidence.
Ce droit au recours sera d’autant moins une formalité que le Conseil constitutionnel formule une triple réserve d’interprétation pour qu’une mesure d’assignation de plus d’un an, censée être bannie par la loi du 19 décembre, puisse néanmoins être prolongée pour des périodes limitées à trois mois. Il faudra en premier lieu que « le comportement de la personne en cause [constitue] une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Une définition qui va très au-delà de ce que le législateur avait prévu. De plus, écrit l’institution présidée par Laurent Fabius, « l’administration doit être en mesure de produire des éléments nouveaux ou complémentaires de nature à justifier la prolongation de la mesure d’assignation à résidence ». La encore, MM. Vinay et Spinosi s’étaient inquiétés de ce qu’aucun élément nouveau ne soit nécessaire pour prolonger une telle mesure.
Dernière exigence imposée à l’occasion de la censure partielle, le ministre de l’intérieur, et le juge administratif qui contrôlera sa décision, devront « tenir compte dans l’examen de la situation de la personne concernée, de la durée totale de son placement sous assignation à résidence, des conditions de cette mesure et des obligations complémentaires dont celle-ci a été assortie ». Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l’homme, se félicite de « cette grande victoire du droit ».