L’abstention, premier parti de la jeunesse ?
L’abstention, premier parti de la jeunesse ?
Par Eric Nunès
Selon une étude IFOP pour l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes, l’abstention s’élèverait à 52 % chez les 18-25 ans, et parmi les sondés qui prévoient de voter, le vote FN est celui qui rassemble le plus.
JOEL SAGET / AFP
L’abstention, premier parti de la jeunesse ? A cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, la probabilité de participer au scrutin plafonne à 52 % chez les 18-25 ans, selon une étude de l’IFOP pour l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej), que Le Monde dévoile en avant-première. Parmi les sondés qui prévoient de voter, le vote Front national est celui qui rassemble le plus largement, Emmanuel Macron faisant figure d’autre favori.
La campagne présidentielle mobilise peu les 18-25 ans. Parmi les primo-votants, seulement 87 % déclarent être inscrits sur les listes électorales. Cinq années plus tôt, lors de la campagne de 2012, ils étaient 95 %.
Moins nombreux en mesure de voter, ils sont également moins nombreux à avoir l’intention de le faire : l’indice de participation, qui mesure la probabilité de voter à l’élection, qui est de 71 % pour l’ensemble des Français, tombe donc à 52 % chez les 18-25 ans, et même 50 % pour les primo votants. 56 % des jeunes sondés déclarent « s’intéresser » à la campagne. Quinze points de moins si l’on compare avec l’ensemble des Français, selon un autre récent sondage de l’IFOP.
« Aucun candidat ne défend mes idées »
Pourquoi si peu d’entrain pour ce scrutin ? « Parce qu’aucun candidat ne défend ou ne représente mes idées » est la réponse la plus citée (29 %). « Depuis 2012, une proportion grandissante de jeunes sont convaincus que les élections ne changeront rien, ni au fonctionnement de la société, ni pour eux-mêmes », constate Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP. En effet, le taux d’abstention des jeunes était d’environ 30 % en 2012, selon un rapport de l’Observatoire de la jeunesse.
Pour qui voteront les jeunes qui envisagent de se rendre aux urnes ? Marine Le Pen arrive en tête avec 29 % des intentions de vote (contre 26,5 % pour l’ensemble des Français). Un an plus tôt, la candidate d’extrême droite obtenait, lors d’un sondage similaire de l’Anacej, des intentions de vote comparables (entre 27 et 31 selon les adversaires). Seul Alain Juppé faisait alors jeu égal avec la présidente du Front national, mais il a été depuis été éliminé de la course présidentielle.
C’est maintenant Emmanuel Macron, avec un score de 28 %, qui talonne la députée européenne dans les intentions de vote des moins de 25 ans. Ces deux candidats devancent largement chez les jeunes le socialiste Benoît Hamon (15 %), comme Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise, 14,5 %). Quant au candidat Les Républicains, François Fillon, il décroche encore plus sévèrement que dans l’ensemble de la population. Alors que celle-ci le place en troisième position avec 19 % d’intentions de vote, les jeunes le renvoient au 5e rang, seulement 11 % souhaitant lui accorder leurs suffrages.
« Le mauvais score de François Fillon est un vrai désaveu de sa candidature, estime Mathieu Cahn, président de l’Anacej et adjoint (PS) au maire de Strasbourg. Les jeunes ont une exigence d’honnêteté, de morale vis-à-vis des hommes est des femmes politiques. » Toutefois les différentes affaires politico-financières qui menacent Marine Le Pen ne semblent pas affecter les intentions de vote de son jeune électorat.
Emmanuel Macron au second tour
L’installation aux deux premières places de Marine Le Pen et Emmanuel Macron se double d’une bonne mobilisation de leurs électorats respectifs. Après les cinq années du quinquennat de François Hollande, la mobilisation des jeunes proches du Parti socialiste et Europe Ecologie - Les Verts s’essouffle. L’indice de participation pour l’électorat des deux formations est respectivement de 53 et 49 % alors qu’En Marche affiche 61 % et le Front national, 62 %. Ensuite, la candidate du FN bénéficie d’un électorat moins fluctuant que ses adversaires : 84 % de ceux qui comptent la soutenir se déclarent certains de leur vote selon l’étude, soit 35 % de plus que François Fillon (49 %) et 41 % de plus qu’Emmanuel Macron (43 %), dont le jeune électorat est encore très volatil, 54 % de ceux qui sont prêts à voter pour lui en mars déclare « pouvoir encore changer d’avis ».
Si les jeunes placeraient Marine Le Pen en tête au premier tour, selon l’étude, ils la feraient battre au second quel que soit son adversaire. Ainsi Emmanuel Macron remporte face à elle largement le suffrage des jeunes (63 % contre 37 %). Le patron d’En marche caracole en tête « auprès des jeunes urbains, baignant dans l’univers cosmopolite et plutôt bien inséré », estime le président de l’Anacej. A l’inverse, Marine Le Pen emporte une majorité de suffrages parmi les jeunes issus de la classe ouvrière (54 %).
Mais Emmanuel Macron bénéficierait d’un très favorable report de la majorité des électeurs, Les Républicains compris. Parmi ceux-ci, les jeunes électeurs déclarent, à 75 %, qu’ils voteraient pour l’ancien ministre de François Hollande. « Le mécanisme de vote au second tour qui consiste à se reporter sur toute candidature qui fera barrage à Marine Le Pen fonctionne également chez les jeunes », constate Frédéric Dabi.
Marine Le Pen perdrait de 28 points contre Jean-Luc Mélenchon, de 18 contre Benoît Hamon, de 6 contre François Fillon qui est le seul a ne pas creuser largement l’écart face au FN dans les intentions de vote des moins de 25 ans. « On observe une homogénéisation du vote des jeunes, constate Mathieu Cahn, leurs intentions de vote ressemblant de plus en plus à ceux de l’ensemble de la population. »
Des mesures fortes pour les jeunes rencontrent peu d’échos
En effet, les thèmes déterminants, mis en avant par les jeunes pour justifier leur vote, sont d’abord l’emploi, puis le pouvoir d’achat, le coût de la vie et l’éducation, des thématiques transgénérationnelles. Plus surprenant, plusieurs mesures fortes proposées par des candidats à l’intention de la jeunesse rencontrent peu d’échos.
Par exemple, l’élargissement du droit de vote aux mineurs de plus de 16 ans prôné par Jean-Luc Mélenchon et François Fillon, rencontre 71 % d’opinions défavorables. La légalisation de la consommation du cannabis qui figure dans le programme de Benoît Hamon et celui de Jean-Luc Mélenchon, n’est également pas jugée souhaitable à 52 %. Quant à l’instauration d’un revenu universel pour les plus de 18 ans, il n’obtient qu’une toute petite majorité d’opinions favorables (52 %).
En revanche, les moins de 25 ans plébiscitent « la mise en place d’une protection aux frontières pour lutter contre la concurrence des pays à bas coûts de main-d’œuvre » (73 %) chère à Marine Le Pen, l’instauration du service civique obligatoire (64 %) et la prorogation de l’état d’urgence. Ce que réclament les jeunes au futur chef de l’Etat, selon le président de l’Anacej, « c’est de la protection. »
Méthodologie. L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1 203 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 à 25 ans. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas. Les entretiens ont été réalisés avec un questionnaire en ligne du 3 au 13 mars.