Au Muséum d’histoire naturelle, à Paris, les cornes des (vrais) rhinos empaillés sont fausses… | François Guenet/ Divergence

La ressemblance est parfaite. Dans la Galerie de l’évolution du Muséum national
d’histoire naturelle de Paris, les rhinocéros empaillés arborent de magnifiques cornes. Des fausses. Depuis 2012, ce sont des moulages de résine qui ornent le museau des animaux. La direction a pris l’initiative de retirer la corne d’origine il y a cinq ans, à l’époque où « la mafia du rhino » écumait les musées internationaux, avant de s’attaquer à l’espèce protégée jusque dans les zoos.

L’acharnement des trafiquants est monté d’un cran le 7 mars, avec la mort de Vince, le rhinocéros du parc animalier de Thoiry dans les Yvelines, retrouvé abattu dans son enclos, la corne sauvagement sciée. Un acte inédit en Europe, qui ne surprend pas le directeur des collections du Muséum national d’histoire naturelle. « Quand on voit la détermination des trafiquants à faire du profit depuis plusieurs années, on pouvait malheureusement s’y attendre », soupire Michel Guiraud.

La corne de rhinocéros, à laquelle certains Asiatiques prêtent des vertus médicinales et aphrodisiaques, vaut plus que le kilo d’or sur le marché. Et si ce commerce extrêmement lucratif sévit depuis des siècles, la demande a explosé en 2009, après qu’un homme politique vietnamien a raconté sur Internet que des décoctions à la poudre de corne l’avaient guéri d’un cancer généralisé. Depuis, le braconnage des rhinocéros s’est intensifié dans les réserves naturelles d’Afrique. Actuellement, trois colosses sont abattus par jour en moyenne, contre un par semaine en 2008.

« C’est surtout l’attaque du Musée de la chasse et de la nature qui nous a fait réagir. » Michel Guiraud, directeur du Muséum national d’histoire naturelle

L’annonce de l’homme politique vietnamien a également fait beaucoup de dégâts dans les musées, soudain victimes d’une recrudescence des vols. « Nous avons reçu une alerte du ministère de la culture à partir de 2011, après une succession de vols de cornes sur le territoire et à l’étranger, mais c’est surtout l’attaque du Musée de la chasse et de la nature, dans le quartier du Marais, qui nous a fait réagir », se souvient Michel Guiraud. En plein après-midi, les membres d’un gang de cambrioleurs ont neutralisé les agents de surveillance avec un gaz paralysant, avant de repartir avec la corne d’un trophée de rhinocéros blanc sous le bras. De quoi inciter le Muséum national d’histoire naturelle de Paris à débloquer un fonds supplémentaire destiné à la confection de fausses cornes.

Dix nouveaux appendices, impressionnants de réalisme pour préserver l’esthétisme des collections, ont été installés sur les bêtes empaillées de la Galerie de l’évolution et celle d’anatomie comparée. Après une tentative d’effraction en 2015, le musée a reproduit le procédé pour les défenses d’éléphants et ajouté un écriteau précisant la nature des cornes et des défenses, afin de se prémunir de tout vandalisme. « Au moins là, c’est clair, il n’y a plus rien à voler », souffle Michel Guiraud.

L’écornage à titre préventif

Mais si l’écornage est une solution efficace pour les musées, la question est plus délicate concernant les zoos. En réaction au braconnage du parc de Thoiry, plusieurs zoos d’Europe, dont le Safari de Peaugres, envisagent de couper à titre préventif les cornes de leurs rhinocéros. « On préfère avoir des rhinos moches mais vivants », se justifie Cécile Dubois, directrice scientifique du parc animalier en Ardèche. Constituée de kératine, un agglomérat de poils, la corne de rhinocéros peut être coupée sans que cela soit douloureux pour l’animal. Elle repousse ensuite comme les ongles et les cheveux. La mesure est déjà expérimentée dans les réserves naturelles au Kenya, où la sécurité de l’espèce protégée est trop onéreuse pour le pays, même si, bien souvent, les braconniers tuent quand même la bête qu’ils ont traquée depuis des jours et scient le dernier petit bout de corne pour ne pas repartir bredouille. « Cela risque moins d’arriver dans un zoo », se rassure Cécile Dubois.

De son côté, le parc de Thoiry n’est pas encore convaincu par la mesure. « La question a été abordée sous le coup de l’émotion, reconnaît Colomba de La Panouse-Turnbull, la fille du fondateur du parc, mais on ne va pas demain écorner nos rhinos, il y a d’autres solutions à étudier pour le moment. »