Image d'un écran diffusant le débat télévisé entre les cinq principaux candidats à la présidentielle 2017 sur le plateau de TF1 au studio 217 de la Plaine Saint-Denis, lundi 20 mars 2017 | LE MONDE

C’était un moment particulièrement attendu. Le premier débat télévisé entre les cinq principaux candidats à l’élection présidentielle a enfin lancé la campagne. Quelles sont les leçons à tirer de ces plus de trois heures de confrontation ? Benoît Hamon a-t-il été en retrait ? Comment expliquer le « silence » des candidats sur les affaires Fillon et Le Pen ? Comment François Fillon s’en est-il sorti ? Editorialiste au Monde, Gérard Courtois, a répondu à vos questions lors d’un tchat.

Hadrien : Bonjour, merci pour ce live. L’organisation de débats avant le premier tour, ne permet-elle pas de favoriser les confrontations entre les projets et idées des candidats en comparaison des autres campagnes présidentielles ?

Gérard Courtois : Ce débat d’avant-premier tour est effectivement une première. Dans son principe, il est évidemment utile, d’autant plus qu’une grande partie des électeurs semblent encore incertains de ce qu’ils feront le soir du premier tour, le 23 avril. Dans son organisation en revanche, il ressemble un peu à une gageure car trop de sujets ont été mis sur la table hier soir. En revanche, faute de temps, un sujet central, l’Europe, a été quasiment trappé en fin de débat, alors qu’il constitue une ligne de clivage très nette entre les candidats. On est donc sur ce sujet totalement frustrés.

Georges : Bonjour, on comprend les remarques de M. Fillon sur le caractère peu « démocratique » d’un débat réduit aux candidats favoris des sondages, mais est-ce qu’un débat avec l’ensemble les candidats pourra rester constructif ? N’y a-t-il pas des risques de cafouillages inaudibles ?

On est effectivement devant une contradiction difficilement surmontable : d’un côté, tous les candidats devraient être placés sur un pied d’égalité à un mois du premier tour et en même temps, on a bien vu hier soir que même un débat à cinq ne permet pas d’approfondir la moindre proposition ni d’organiser une confrontation un peu sérieuse entre les candidats. Je suis totalement dubitatif sur ce que pourront donner les deux autres débats programmés en avril entre les onze candidats. On risque, plus encore qu’hier soir, d’être condamnés à un pilulage de propositions lapidaires comme des slogans.

Mycroft : A la suite de l’incompréhensible non-évocation des affaires Fillon et Le Pen par les candidats lors du débat, peut-on raisonnablement craindre l’existence d’autres dossiers, potentiellement explosifs, encore inconnus du public et qui concerneraient certains des autres candidats ou leurs proches ?

Je ne sais pas si d’autres affaires sont dans les tiroirs, sinon Le Monde l’aurait déjà écrit. Ce qui est certain, c’est que la discrétion, la « pudeur de gazelle », comme a dit Jean-Luc Mélenchon, sur les affaires judiciaires qui touchent deux des principaux candidats (Fillon et Le Pen) est tout à fait stupéfiante. Elle peut donner légitimement aux Français le sentiment que les responsables politiques dans leur ensemble sont embarrassés, même s’ils ne sont pas concernés, et qu’ils préfèrent mettre la poussière sous le tapis. A ce compte-là, Fillon et Le Pen se sont fort bien sortis du piège redoutable qu’aurait été une mise en cause un peu sérieuse par leurs concurrents.

Clem : Je m’interroge sur les sondages délivrés lors du direct hier par TF1 et sur les éditoriaux de la presse ce matin. Les estimations de la portée du débat ne semblent pas être les mêmes, peut-on d’ores et déjà les mesurer ?

Ne mélangeons pas les sondages et les éditos. Je n’accorde aucun crédit à des sondages réalisés de manière quasi instantanée auprès d’échantillons de Français dont aucun institut de sondages ne peut garantir la fiabilité et la représentativité. La mesure de l’impact de ce débat pourra être observée plus sérieusement lors des prochaines enquêtes d’intentions de vote et en particulier, pour ce qui nous concerne, lors de la prochaine vague, début avril, de l’enquête électorale du Cevipof dont nous sommes partenaires.

Quant aux éditoriaux, ils relèvent de l’analyse, fondée notamment sur l’expérience que l’on peut avoir de tous les débats présidentiels antérieurs ou des débats des primaires. Or, cette expérience démontre que ce type de confrontation a plutôt tendance à confirmer les dynamiques en cours plutôt qu’elles ne les inversent.

Sondages : En quoi le fait que le Cevipof soit votre partenaire rend-il les sondages qu’il publie plus crédibles et moins nuisibles ?

Tout simplement parce que ses enquêtes portent sur un panel de 16 000 électeurs, ce qui réduit considérablement les marges d’erreur. En outre, même si ce n’est évidemment pas une garantie absolue, le questionnaire auquel répondent les sondés est soigneusement construit par les chercheurs de Sciences Po. Il ne s’agit pas seulement de suivre la course de petits chevaux mais de comprendre également les ressorts du choix électoral qui est en train de mûrir.

Muss : Benoît Hamon n’est-il pas le seul perdant du débat ? Emprunté, il doit maintenant faire face à un Mélenchon en pleine dynamique après un débat brillant, et à un départ des hollandais et des écolos vers Macron. Comment se démarquer ?

Globalement, je trouve qu’aucun des candidats n’est sorti gagnant de ce débat. Le format de l’émission les a contraints à des réponses trop courtes sur des sujets trop nombreux et ils ont tous fait la démonstration de leurs capacités à promettre tout et n’importe quoi sans avoir à le justifier ni à expliquer comment ils le financeraient.

Pour ce qui est de Benoît Hamon, je ne l’ai pas trouvé si emprunté que ça. Depuis son meeting réussi à Bercy, dimanche, il m’a paru au contraire en confiance, souvent le plus concret des candidats et pédagogue. Il reste qu’il doit faire face à la concurrence d’un Jean-Luc Mélenchon sur sa gauche qui a été à l’aise et souvent brillant dans ses formules, et d’un Emmanuel Macron sur sa droite, porté par la dynamique du vote utile en sa faveur. M. Hamon a bien tenté de retourner à son avantage cette idée du vote utile, en en faisant un vote de conviction, un vote « pour » et non pas un vote par défaut, mais le courant contre lequel il doit remonter est très puissant.

Un mot quand même : cette étrange campagne a tout juste commencé hier et l’expérience montre que tout se joue durant la campagne. Il peut donc encore se passer beaucoup de choses d’ici au premier tour, le 23 avril.

Romain : Pensez-vous que la relative bonne entente entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon fût stratégique ? Ou au contraire ne devaient-ils pas plus montrer leur divergence pour justifier leur candidature réciproque ?

Le problème de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’ils sont en réalité proches voire d’accords sur bien des points. C’est bien la tragédie de la gauche dans cette élection de n’avoir pas réussi à trouver un accord d’une manière ou d’une autre. Elle s’est presque à coup sûr condamnée à être écartée du second tour. Du coup, il est manifeste que la compétition entre Hamon et Mélenchon se joue moins sur le terrain de la présidentielle que sur celui du leadership de la gauche de demain.

Lili brik : Pourquoi je ne comprends rien de ce que raconte Emmanuel Macron, que je trouve son discours creux, vide de sens ?

La difficulté d’Emmanuel Macron est de concilier toutes les composantes de l’électorat disparate qui semble prêt à le soutenir. Entre les socialistes désabusés par le PS qui le rejoignent, les centristes profil François Bayrou qui le soutiennent et le centre droit qui peut être tenté de le rallier si François Fillon ne regagne pas du terrain, le candidat d’En marche ! a construit un échafaudage encore fragile. S’il sort de la généralité voire de l’ambiguïté, cela risque d’être à son détriment. Il le sait parfaitement et tente d’esquiver des explications trop précises qui pourraient immédiatement décourager ou braquer les uns ou les autres.

En outre, Macron est un novice dans ce genre de débat et il m’a semblé à plusieurs reprises fébrile et parfois même un peu parano, prenant pour lui des attaques qu’il aurait parfaitement pu ignorer. Il a démontré cependant ces derniers mois qu’il apprenait vite. Il sera donc très instructif de voir s’il sait corriger ce genre de défauts dans les prochaines semaines.

Manu33 : Comment avez-vous trouvé Fillon ? Il me paraissait absent, comme étranger au débat. Tout l’inverse de lors des débats de la primaire de la droite et du centre.

Il y a eu deux Fillon dans ce débat. Pendant la première moitié, un candidat presque effacé et, un autre, au contraire, nettement plus consistant dans la seconde moitié. Cela démontre, me semble-t-il, que quoi qu’il en dise, le candidat Les Républicains est lourdement handicapé par ses démêlés judiciaires : il est celui qui pouvait se démarquer très nettement hier soir sur le terrain de la rigueur économique. Or, il sait bien qu’il est désormais inaudible dans ce registre qui faisait sa singularité lors de la primaire à droite.

Pims35 : Le Pen n’est pas apparu très à l’aise tout au long de la soirée. Elle s’est contentée de « gérer » sa position et d’attendre les coups. Très étonnant pour le FN plutôt rompu à « taper sur le système ». Les rôles se seraient inversés ? Se voit-elle trop vite au second tour ?

La première victoire de Marine Le Pen a été que sa participation à ce débat ne soulève aucune controverse, contrairement à ce qui s’est passé avec son père pendant trente ans. Elle touche là les dividendes de sa stratégie de normalisation. Par ailleurs, elle n’avait aucune raison de prendre des risques en ce moment dès lors qu’elle paraît solidement installée en position de favorite du premier tour. Elle a donc récité ses classiques sur le système, l’immigration (qu’elle a dit vouloir « arrêter » sans dire un mot de la manière dont elle y parviendrait) et sur l’Europe. Toutefois, elle m’a semblé, par sa brutalité et une forme d’arrogance, être en contradiction complète avec l’image « apaisée » qu’elle avait patiemment construite depuis un an pour mieux se crédibiliser. Sur ce terrain-là, sa prestation m’a semblé contre-productive.

Hadrien : Je trouve que ce débat a été positif et bien mené par les journalistes. Serait-il possible d’envisager une vraie confrontation, comme dans les débats d’entre-deux-tours, à cinq candidats ou plus ?

Les journalistes ont effectivement parfaitement joué leur rôle de distributeurs des sujets et de régulateurs des temps de parole. Le problème, mais c’est la règle du jeu dans ce type de débat (contrairement à un entretien entre un candidat et les journalistes), c’est qu’ils s’interdisent tout droit de suite même quand les candidats énoncent des contre-vérités évidentes. Il n’y a guère de solutions à ce problème et ce sera encore plus évident avec onze candidats. C’est la responsabilité des différents candidats de contrer ou de contester tel ou tel de leurs adversaires.