Olivier Balez pour « Le Monde »

Lorsqu’elle embarque pour le Burkina Faso, Estelle Gavauyere est fraîchement diplômée d’une école d’ingénieurs. Mais après un an à ­enseigner les mathématiques à la frontière du Mali, son projet professionnel a basculé. « Ça m’a tellement plu que j’ai passé les concours pour devenir prof de maths, raconte celle qui enseigne désormais dans le Val-de-Marne. Ça fait longtemps que je ne m’étais pas levée le matin en ayant autant envie d’aller travailler ! » Une reconversion inimaginable si elle n’avait pas quitté la France : « Partir à l’étranger, surtout dans un contexte très différent, ouvre à tout ce qui peut nous ­arriver de nouveau. On est plus prêt à se laisser surprendre », assure-t-elle.

Comme elle, des centaines d’étudiants et jeunes diplômés partent chaque ­année en mission de solidarité à l’étranger, qu’il s’agisse d’un service civique, d’un volontariat de solidarité internationale (SI) ou d’un simple bénévolat. Tous en ­reviennent transformés.Qu’elle soit humanitaire ou liée à l’aide au développement, une expérience solidaire à l’étranger chamboule. Certains étudiants changent radicalement de parcours, d’autres renforcent leurs choix. Et beaucoup ­acquièrent les fameuses soft skills, ces qualités humaines et relationnelles qui intéressent tant les recruteurs.

« Créer du lien »

Vincent Marc, 22 ans, a ainsi passé trois mois dans un orphelinat en Tanzanie. D’abord un peu désœuvré, l’élève ingénieur prend vite l’initiative de trouver les fonds et les bras pour construire un ­espace d’hébergement. « Ça a été une énorme prise de conscience de ce que je pouvais réaliser ! », confie-t-il. Cofondateur, à son retour, d’une start-up qui ­propose un système d’élévation pour ­fauteuils roulants, il sait que, « dans [sa] carrière, il y aura du solidaire ».

Louise Adam, elle, a changé de cap à deux reprises : après un camp-chantier en Thaïlande, elle a quitté son lycée privé pour un établissement public, afin de « continuer à rencontrer des gens différents ». Et à son retour de bénévolat dans la « jungle » de Calais, elle renonce à intégrer l’école de commerce qui l’avait adoubée. « J’ai choisi les sciences humaines, pour être plus liée à l’étude des migrations », explique la jeune fille de 21 ans, aujourd’hui étudiante en histoire.

Même lorsque le changement est moins radical, les étudiants qui ont déjà la fibre reviennent confortés dans leur idée d’aider les autres. Un stage dans une école au Burkina Faso a ainsi renforcé Agathe Salmon, 21 ans, dans son attirance pour le médico-social ou le socioculturel, « afin de créer du lien ». Hanna Rajbenbach, elle, s’est spécialisée en droit pénal international à la suite de son engagement auprès des réfugiés en France et en Grèce, « car ce sont les crimes de droit international qui poussent toutes ces personnes sur les routes ».

Adaptabilité et humilité

A la Guilde européenne du raid, Vanessa Gilles, responsable service civique, ­assiste chaque année à l’évolution des 300 volontaires qui partent sur le terrain. Elle se souvient de ce garçon, un peu perdu dans son orientation : « Son service civique auprès de Roms en Roumanie l’a décidé à suivre une formation de moniteur-éducateur. »

Louise Le Soudéer, elle, est revenue frustrée de ne pouvoir mieux aider les personnes malades en Inde, après sa deuxième année de médecine : « Ça m’a donné envie de repartir quand je saurai plus de choses, peut-être durant mon ­internat, dit-elle. Et de faire des missions humanitaires quand je serai médecin. »

Mais si les jeunes qui vivent une expérience solidaire à l’étranger ne travailleront pas tous, par la suite, dans le social, tous auront gagné « en adaptabilité, en ­capacité à travailler en équipe mais aussi en humilité », expose Delphine Muller, ­directrice du recrutement à la Délégation catholique pour la coopération (DCC), qui envoie 250 personnes par an en mission.

Fanny Bacos, éducatrice spécialisée partie comme volontaire pour la DCC dans un bidonville indien, a été surprise de la liberté qui lui était laissée. « Depuis, j’ai gagné en souplesse dans mon travail. Je suis contente d’avoir une fiche de poste, mais j’ai besoin de prendre des responsabilités », dit-elle.

A Sup de Co La Rochelle, les 750 étudiants s’investissent tous auprès d’une association, en France ou à l’étranger

Ces compétences sociales et relationnelles, développées au contact d’autres cultures, intéressent tant les recruteurs que certaines écoles, comme l’Institut ­catholique d’arts et métiers de Nantes, intègrent une période d’engagement solidaire à leur cursus. « L’objectif, c’est qu’ensuite, quel que soit leur lieu de travail, nos diplômés apportent quelque chose d’humain », affirme Frédérique Pasquier, ­adjointe au directeur des études de l’école.

A Sup de Co La Rochelle, les 750 étudiants s’investissent tous auprès d’une association, en France ou à l’étranger. « Au retour, ils se déclarent plus autonomes – surtout ceux qui sont partis à l’étranger – et plus connectés aux autres. Pour de ­futurs cadres, cela a un impact direct sur l’employabilité, car les compétences en marketing ou en finances, tous nos jeunes les ont », note Jean-Michel Cramier, directeur associé du groupe.

Des diplômés plus exigeants

Pour certains spécialistes du recrutement, les atouts de ces diplômés « solidaires » sautent aux yeux. « L’ouverture au monde et aux autres va les différencier. Ils sont souvent plus matures que ceux qui sont, par exemple, partis dans une université partenaire en Angleterre », assure ­Caroline Renoux, fondatrice de Birdeo, ­un cabinet de recrutement spécialisé dans les nouveaux enjeux sociétaux.

Agnès Rambaud-Paquin, à la tête du cabinet Des enjeux et des hommes, confirme : « Les entreprises doivent s’ouvrir aux changements. Pour les grands groupes qui ont une longueur d’avance, comme Danone, Essilor ou Schneider Electric, les jeunes qui ont touché du doigt les enjeux sociaux et environnementaux vont être des éléments-clés. »

Le défi consiste à apprivoiser ces diplômés pas comme les autres. Après son double diplôme HEC-Sciences Po, Marie, 25 ans, a choisi de partir un an en SI au Cambodge. « A mon retour, les réactions des recruteurs étaient assez négatives dans le secteur du conseil, contrairement à l’industrie. Cela m’a permis de faire le tri dans les employeurs », se souvient-elle. Recrutée par un grand groupe de chimie, elle apprécie de travailler sur les matériaux liés à l’eau et aux énergies renouvelables. Des diplômés plus exigeants sur l’éthique de leur travail que sur le poids de leur fiche de paie, en somme : une espèce encore mal connue des recruteurs.