Carrie Lam, le choix de Pékin pour diriger l’exécutif de Hongkong
Carrie Lam, le choix de Pékin pour diriger l’exécutif de Hongkong
Par Florence de Changy (Hongkong, correspondance)
Malgré ses gaffes et son manque de popularité, elle est la favorite du vote qui désignera, le 26 mars, le chef du gouvernement.
La candidate Carrie Lam lors d’un discours à Hongkong, le 19 mars, avant l’élection, le 26 mars, du chef de l’exécutif. | TENGKU BAHAR / AFP
Un comité de 1 194 personnes élira dimanche 26 mars, le prochain chef de l’exécutif de la région administrative spéciale de Hongkong, qui compte 7,3 millions d’habitants. Bien que trois candidats soient en lice, les jeux semblent déjà faits. C’est sans doute Carrie Lam, 59 ans, secrétaire en chef (numéro deux) du gouvernement sortant, qui devrait être élue, conformément aux consignes de Pékin.
Selon des informations de la presse locale confirmées par diverses sources, une mission pékinoise de très haut rang a convoqué début mars les grands électeurs hongkongais les plus influents à Shenzhen, ville marquant la frontière avec la Chine continentale, dans le but de leur indiquer pour qui voter. Depuis, même le tycoon Li Ka-shing, l’un des hommes les plus riches d’Asie, qui avait refusé de participer à la campagne de nominations, est sorti de son silence et a indiqué qu’il voterait pour « le candidat qui a la confiance de Pékin ». Sans qu’elle soit nommée, tout le monde a compris.
Pendant la pseudo-campagne électorale qui a vu les candidats se promener sur les marchés et serrer des mains dans les transports publics, Carrie Lam était pourtant nettement devancée dans les sondages d’opinion – de 15 à 20 points – par son principal rival, l’ancien trésorier John Tsang, surnommé « Oncle Chips » en cantonais du fait de sa ressemblance avec l’effigie à moustaches des Pringles.
« Très ennuyeuse »
Face à la bonhomie de John Tsang, supporteur assumé de l’équipe de foot de Hongkong même quand celle-ci joue contre la Chine, le sérieux, voire l’austérité de Carrie Lam a eu du mal à séduire les Hongkongais. D’autant qu’elle a commencé sa campagne en cumulant les gaffes. Le 23 décembre, elle annonçait depuis Pékin la prochaine création à Hongkong d’un « musée du Palais » de la Cité Interdite, suscitant la colère de citoyens qui craignent une rapide reprise en main culturelle par la capitale.
Carrie Lam s’est ensuite ridiculisée en expliquant à des collégiens ses difficultés à s’adapter à la vie normale après avoir quitté son logement de fonction, ne sachant notamment pas où se rendre pour acheter du papier toilette. Le fait qu’elle ait finalement été présentée, à son insu, comme la favorite de Pékin n’a fait qu’aggraver son déficit de popularité.
Ses plus fervents opposants lui reprochent d’être froide et distante. Ils la qualifient parfois de « C.Y. 2.0 », voyant en elle une nouvelle version du chef de l’exécutif sortant, Leung Chun-ying, surnommé C.Y. Elle est pourtant loin de susciter la même antipathie que lui. Certes, elle fut, elle aussi, prise au dépourvu par la « révolte des parapluies », grand mouvement citoyen né à l’automne 2014 du rejet des propositions de réformes électorales de Pékin. A l’époque, sa performance lors d’un débat télévisé face aux leaders étudiants du mouvement avait déçu.
La marge avec laquelle elle emportera probablement la victoire dimanche sera déterminante pour son mandat : en 2012, M. Leung n’avait dégagé qu’une courte majorité, à 689 voix. Une faiblesse qui par la suite avait nourri l’argumentaire de ceux qui le voyaient comme un dirigeant illégitime.
Elle jouit malgré tout d’une réputation de grande professionnelle : efficace et déterminée, discrètement brillante, excellente oratrice. Coupe courte, élégance simple, lunettes sans cadre, c’est l’archétype de la femme de dossiers, « très ennuyeuse » (« very uninteresting »), selon sa propre description. « Elle prend des engagements et les tient. C’est quelqu’un qui va jusqu’au bout des choses » indique Nicolas Borit, ancien président de la chambre de commerce et d’industrie française à Hongkong.
Elle a été élevée dans les écoles catholiques de l’ancienne colonie britannique. Mariée à un professeur de mathématiques et mère de deux fils, elle est restée catholique pratiquante. Elle a grandi à Wan Chai, l’un des quartiers ouvriers de l’île de Hongkong dans les années 1960 et a eu une enfance à la dure. Elle n’appartient pas à l’élite sociale qui contrôle une grande partie de l’économie de la ville. « Elle a été très populaire par le passé, rappelle Emily Lau, présidente du Parti démocratique. Reste à voir si elle va être capable de rassembler les Hongkongais et d’écrire un nouveau chapitre plus positif de l’histoire de Hongkong. »
Avant d’être nommée secrétaire en chef (numéro deux) dans le gouvernement de C.Y. Leung (2012-2017), Carrie Lam avait eu le portefeuille des affaires sociales (2000) puis celui du développement (2007). Le logement et les affaires sociales seraient ses sujets de prédilection. Elle aura fort à faire en la matière puisque, en dépit des mesures déjà prises par le gouvernement sortant, les prix de l’immobilier continuent de flamber.
Carrie Lam est surtout attendue sur les questions politiques les plus délicates concernant l’avenir de Hongkong. Tentera-t-elle de faire passer le très impopulaire article 23, dit « anti-sécession » de la Basic Law (mini-Constitution), comme le souhaite Pékin ? Relancera-t-elle les réformes démocratiques promises il y a deux décennies ? Ces sujets sont à l’ordre du jour d’une marche prévue dimanche. Faute de sortir pour aller voter, des milliers de Hongkongais ont l’intention de sortir pour réclamer le suffrage universel.