#FaceAuChômage : sur le littoral languedocien, le travail au gré des saisons
#FaceAuChômage : sur le littoral languedocien, le travail au gré des saisons
Par Aline Leclerc, Manon Rescan (Languedoc, envoyées spéciales)
De Sète à Perpignan, en passant par Agde, le tissu industriel est quasi inexistant et la courbe du chômage est liée au tourisme.
A Sète, le 22 février, les bénévoles organisent le tri des aliments alors que le nombre de personnes qui viennent au Secours populaire sont de plus en plus nombreuses. | Helene Jayet pour "Le Monde"
Personne sur la promenade du Cap d’Agde (Hérault) en cette fin février. Rien que le sifflement du vent dans les mâts des bateaux au mouillage. Et le fracas des travaux dans les restaurants du port à quelques semaines de leur réouverture. En attendant c’est calme, trop calme. Même le Lidl est fermé. « Ici, l’hiver, il n’y a rien, et surtout pas de travail… », résume Naïma, 42 ans, qui sort du Secours populaire avec de grands sacs de provisions. De quoi nourrir son fils de 5 ans en attendant, cet été, le retour de ses contrats de femme de ménage.
La station balnéaire détient le triste record du taux de chômage le plus élevé de France métropolitaine. Au troisième trimestre 2016, 17,9 % de la population active cherchait du travail dans cette « zone d’emploi », que l’Insee étend jusqu’à Pézenas. Les villes voisines ne sont guère mieux loties.
Longeons la côte vers l’Espagne : voici le joli port de Sète (15,4 % de chômage), Narbonne (15,1 %), Béziers (14,7 %) Perpignan (15,6 %) et Céret, au pied des Pyrénées (16,1 %). Des villes aux visages différents mais qui racontent une même histoire. Celle d’un chômage silencieux, sans plan social ni pneus brûlés, le chômage des CDD qu’on ne renouvelle pas. Ce territoire, dont les frontières sont celles de l’ex-Languedoc-Roussillon, crée de l’emploi, mais pas assez. C’est tout le paradoxe. Détenteur du record du chômage, il est aussi l’un des plus attractifs de France. Sa population augmente en moyenne de 1,1 % par an, plus de deux fois le rythme national. Une hausse qu’on ne retrouve pas dans les offres d’emplois, d’autant que celles-ci sont concentrées à Montpellier.
Cumul, débrouille et précarité
« On vient nous voir parce qu’on est les champions du monde », ironise Brigitte Doré à la tête du Pôle emploi d’Agde-Pézenas. « Il paraît qu’on fait pire que la Seine-Saint-Denis », s’amuse Ali (certains prénoms ont été changés), dans les murs de l’agence. Son histoire est emblématique. Il est arrivé, il y a sept ans, de la région parisienne, qu’il a quittée « sur un coup de tête ». L’appel du soleil pour rebondir après un choc, un divorce ou un deuil. La directrice de Pôle emploi connaît la chanson : « Ils vendent tout en pensant que la vie est plus belle ici. »
Parmi ses allocataires, Brigitte Doré distingue ceux « qui choisissent de ne travailler que quatre mois par an, le temps de la saison, et de vivre des aides le reste de l’année ». Pour les autres, la majorité, le mal c’est justement cette saison qui dicte son rythme à la vie du territoire. D’ici à la fin mars, elle attend le retour de quelque 1 000 offres d’emploi des campings, hôtels et restaurants. En cette fin février, elles commencent à arriver à la mission locale du bassin de Thau, à Sète. Un conseiller surgit dans une réunion de jeunes en recherche d’emploi. « Il y a des postes d’hôtesses de caisse et d’employés de libre service dans des supermarchés du Cap d’Agde et de Sérignan ! Des contrats de six mois à partir du 12 juin ! »
Fin septembre, ce sera le mouvement inverse. Les 1 000 premiers saisonniers réapparaîtront dans les statistiques du Pôle emploi. Car hormis le tourisme et l’agriculture, les secteurs pourvoyeurs d’emplois sont rares. « A quelques exceptions près, le Midi a raté la révolution industrielle », résume Dominique Crozat, professeur de géographie culturelle et sociale à l’université Montpellier-III. Et ses rares fleurons ont périclité. Le port de Sète, par exemple, a perdu ses principaux débouchés avec la décolonisation. Et l’effondrement du prix de la sardine a réduit la flotte de chalutiers de moitié en quinze ans. Dans les vignes et les champs qui tapissent la vallée, le travail lui aussi a bien changé. La saison s’est raccourcie, le marché s’est restructuré. « Après la “crise pinardière” (dans les années 1970) la région a perdu la moitié de sa surface viticole, explique encore Dominique Crozat. Elle a gagné en qualité, mais cela a supprimé des emplois. » Ceux qui restent sont particulièrement précaires.
Attablée dans le café d’un petit village au-dessus de Narbonne, Virginie, 42 ans, salopette et parka rouge, vient de finir sa journée de travail. En février, il faut attacher la vigne après la taille, deux tâches saisonnières qui ont jusqu’ici échappé à la mécanisation. « Faut pas rêver, c’est du black ». Voilà presque vingt-cinq ans qu’elle enchaîne les petits boulots et les saisons : planter les légumes en avril, les cueillir tout l’été.
Récemment, elle a trouvé un peu de stabilité en décrochant cent heures par mois comme aide à domicile, payées en chèques emploi-service. En cumulant ses petits boulots, cette mère de deux enfants se dégage un smic les bons mois. Pôle emploi lui verse des indemnités les mois de disette. « C’est de la débrouille », résume-t-elle, sans oser se plaindre : « Dans le champ à côté, des Polonais se font exploiter à ramasser des melons pour 4 euros de l’heure. » Ces abus bien connus dans la région génèrent une concurrence entre travailleurs précaires français et étrangers qui inquiète Christophe Garreta, secrétaire général de la CGT Narbonne. « Cela abaisse le niveau social de tous et contribue à la montée du Front national », observe le syndicaliste.
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Le parti d’extrême droite réalise déjà sur le territoire parmi ses meilleurs scores nationaux. Aux régionales de 2015, Louis Aliot est arrivé en tête au second tour à Agde, Perpignan et Sète, il a même dépassé les 50 % dans plusieurs villes du bassin de Thau. « On aimerait que les gens comprennent que le problème n’est pas la nationalité, mais la précarité, et la fragilisation des salariés », insiste encore Christophe Garreta. Des salariés d’autant plus fragiles que leur taux de qualification est très bas – l’académie de Montpellier est, avec la Corse, celle dont la part de jeunes de 15-24 ans non diplômés est la plus élevée (33 % contre 27 % en France métropolitaine). Aujourd’hui, 19,6 % de la population de la région vit sous le seuil de pauvreté.
Blocages psychologiques
Ce mercredi, peu avant neuf heures, dans les ruelles du centre d’Agde, seize personnes attendent l’ouverture du Secours populaire. Elles sont de plus en plus nombreuses, et de plus en plus pauvres, à venir chaque semaine pour la distribution, constate Claude Godfroy, secrétaire générale. Dans la queue, ce matin-là, il y a Jean-Pierre, 46 ans, et sa femme Félicie, 50 ans, arrivés du Nord il y a un an et demi car un cousin leur avait dit qu’« ici » il y avait du travail. Passé un premier boulot d’agent de sécurité payé au noir déniché facilement durant l’été, Jean-Pierre a déchanté en septembre. Depuis, rien de stable, ni de déclaré. Le couple est aujourd’hui au RSA et attend des formations. Ils habitent une maison « pourrie de chez pourri » dans un quartier pavillonnaire de la ville d’apparence pourtant coquet. Une villa à six boîtes aux lettres, signature des marchands de sommeil, dont ils occupent avec leurs deux enfants une partie d’un étage.
En dix-huit mois, les murs blancs se sont recouverts de noir et une odeur de moisi difficilement supportable s’en dégage. « Il faudrait refaire le toit, mais le proprio s’en moque, il nous dit qu’il y a dix familles qui attendent notre place. » Une forme d’habitat précaire parmi toutes celles qui occupent le territoire : cabanon de jardin ou casot de vignoble réaménagés, mobile homes posés en terrain inondable… Yannick, 39 ans, a habité l’un d’eux, pas chauffé, quelques mois. Toujours plus confortable que la vieille coque de bateau dans laquelle il se réfugiait les nuits sans toit.
Au secours populaire de Sète, le 22 février 2017, tout est propre et trié, pas de vêtements troués ou tâchés. "C'est pas parce les gens sont dans la misère que l'on leur vendre des choses abîmés", explique une bénévole. | Helene Jayet pour "Le Monde"
Pour lui, la galère a pris fin en quittant Agde pour la Savoie, où il a retrouvé du travail, fort du CAP mécanique décroché grâce à Pôle Emploi. « On ne croule pas sous les offres, donc on travaille sur la mobilité », explique Marc Perrin, coordinateur d’une antenne de la mission locale du bassin de Thau. « Si vous n’êtes pas capables de bouger, en changeant de projet professionnel pour vous adapter au marché local ou en changeant de région, vous ne trouverez pas de travail », martèle sèchement Brigitte Doré. A en juger par les moues dubitatives des jeunes de la mission locale de Sète devant les offres d’intérim dans les supermarchés d’Agde, à 25 km, il y a encore du chemin à faire. Quand les blocages ne sont pas financiers (un permis de conduire coûte plus de 1 000 euros), ils sont psychologiques.
Guilaine, 22 ans, a quitté l’école en 3e. Après quelques années à ne rien faire, le déclic s’est produit à sa majorité : « Je n’avais pas envie de faire comme mes sœurs, qui ont eu des enfants à 18 ans et sont toutes mères au foyer. » Elle a effectué plusieurs missions d’intérim, principalement du ménage dans les hôtels et les campings, « mais hors saison je galérais ». L’emploi saisonnier comme miroir aux alouettes : « Il permet d’occuper les jeunes quelques mois, mais il ne débouche pas sur une véritable insertion », pointe Michel Julita, animateur régional du réseau des missions locales du Languedoc-Roussillon.
Après un mois de travail intensif avec la mission locale, dans le cadre du dispositif « garantie jeune » mis en place par le gouvernement à l’intention des jeunes les plus éloignés de l’emploi, la jeune fille dit avoir repris confiance et cherche désormais dans l’aide à la personne. « Je reçois déjà plein d’offres. » Sur un territoire apprécié des retraités, les services à la personne représentent une manne d’emplois non négligeable.
C’est l’un des volets de ce qu’on appelle l’économie « résidentielle », liée à la vie quotidienne (commerces, services…). « C’est 73 % de l’emploi ici », explique Jean-Marc Guillelmet, de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de l’ex-Languedoc-Roussillon. Mais cela ne comble pas les handicaps de la région, qui manque d’emplois dits « productifs ». « Il nous faudrait davantage de grandes entreprises capables de générer de l’activité pour tout un réseau de PME », observe Christophe Garreta.
En cause, selon le syndicaliste, le « manque de politique industrielle ». Dominique Crozat parle, lui, d’une « région déshéritée ». « Les structurations anciennes de l’économie sont devenues marginales. A la place, on a mis du sparadrap, des petits bouts de politiques sans ambition. La seule ambition, c’est le tourisme, mais ça a plus été pensé comme une économie complémentaire que comme une économie en soi. » La création du Cap d’Agde dans les années 1970 et ses appartements de bord de mer à louer aux touristes en sont, selon le chercheur, emblématiques. Un projet lancé par l’Etat où a investi la bourgeoise biterroise, préférant parier sur une rente immobilière faiblement pourvoyeuse d’emploi. Mais pour le chercheur, le territoire évolue positivement. L’économie touristique cherche à créer des emplois plus pérennes en prolongeant les saisons. « Un jeune employé l’été comme moniteur de voile peut aussi travailler l’hiver à réparer les bateaux », détaille Catherine Berger, directrice de LR SET, qui travaille à la structuration des filières du sport et du tourisme.
Optimiste, la présidente de la nouvelle région, Carole Delga, évoque aussi le plan Littoral 21 signé avec l’Etat. Un milliard d’euros d’investissement dans l’économie maritime, misant notamment sur la montée en gamme des prestations touristiques. Ou encore l’implantation de deux projets éoliens offshore : les éoliennes seront construites à Béziers, assemblées à Port-la-Nouvelle et installées à Leucate et Gruissan. Selon Jacques Bascou, président (PS) de l’agglomération du Grand Narbonne, il pourrait créer « jusqu’à 1 500 emplois ».
« 15 000 emplois sont non pourvus »
Mme Delga parie encore sur son « plan Marshall » de 880 millions d’euros pour rénover les équipements du territoire, notamment les lycées, et soutenir le secteur du bâtiment, avec des appels d’offres en petits lots qui doivent permettre aux PME d’y répondre. « Mais 15 000 emplois sont non-pourvus dans la région, il nous faut adapter les formations aux besoins des entreprises », souligne Mme Delga, qui veut amener l’offre de formation « au plus près des territoires, pour que les jeunes de milieu modeste n’aient pas à se confronter aux problèmes de transport et de logement ».
Les transports, c’est là que le bas blesse encore. Le passage à grande vitesse de la ligne de train Montpellier-Perpignan vient une nouvelle fois d’être reporté. Carole Delga promet des avancées pour 2018. « Tant qu’on mettra plus de cinq heures à partir de Paris, ce sera compliqué de faire venir des entrepreneurs ! », observe Christine Rey, directrice de l’IDEM, pôle de formation des métiers du multimédia à Perpignan. Jean-Marc Guillelmet, de la CCI, rappelle l’évidence : « Et pourtant, on est au carrefour de l’Europe, sur la route de Barcelone ! »