La romancière Alexandra Besson, alias Ariane Fornia, fille d'Eric Besson en 2004. / JEAN-PIERRE MULLER / AFP

La lettre est partie de justesse. Quelques jours plus tard, une action en justice n’aurait plus été possible. Selon les informations du Monde, Pierre Joxe, ancien ministre (socialiste) de l’intérieur, accusé par Alexandra Besson d’agression sexuelle, à l’Opéra Bastille, en mars 2010, a décidé de la poursuivre en diffamation. L’assignation a été envoyée, affirme l’avocat de Pierre Joxe. La fille de l’ancien ministre de Sarkozy, Eric Besson, elle, n’a encore rien reçu : elle était en voyage, mercredi 10 janvier, lorsque l’huissier de justice s’est présenté chez elle. Il a doublé l’avis de passage d’un courrier.

« Pierre Joxe a hésité. C’était tellement gros. Il attendait des excuses, un démenti », explique MJean-Yves Dupeux, son avocat « mais Alexandra Besson a donné un tel retentissement à son propos que cela paraissait difficile de ne rien faire ». Dans son assignation en diffamation, il dénonce le « grave préjudice moral », qui a porté atteinte « à [l’] honneur et à [la] considération » de l’ancien magistrat. « Alexandra Besson défendra son honneur, bec et ongles, parce que le crédit de sa parole est important, au-delà de son cas », riposte l’avocat de la jeune femme, Jean-Marc Fedida. L’affaire – sur laquelle Le Monde a longuement enquêté (lire page 15) – qui oppose l’ancien ministre de François Mitterrand, 83 ans, à la jeune femme de 28 ans, écrivain-photographe-traductrice, plus connue sous son nom de plume Ariane Fornia, fut l’une des premières répliques de l’affaire Weinstein en France.

Les accusations tombent mi-octobre, quelques jours après la chute du producteur star d’Hollywood, soupçonné de harcèlement et d’agressions sexuelles. Portée par toutes ces femmes, stars ou anonymes, qui témoignent soudain au grand jour, Alexandra Besson publie, le 18 octobre, un post de blog dans lequel elle liste toutes les fois où, elle aussi, s’est sentie agressée. Cette soirée devant un opéra de Wagner, où son voisin d’accoudoir glisse sa main sur sa cuisse, « commence à remonter [sa] jupe » puis « remonte vers [son] entrejambe » est celle qui l’a le plus marquée, raconte-t-elle. C’était l’année de ses 20 ans.

Bataille de crédibilité

A aucun moment le nom de Pierre Joxe n’apparaît dans ses écrits. Mais les indices sont si explicites qu’une journaliste de L’Express le devine. Une confirmation de la jeune femme, et l’article est publié. « Dénonciation calomnieuse », « scandaleuse », rétorque Pierre Joxe, trois semaines plus tard, dans un communiqué d’une page à l’AFP. Alexandra Besson persiste. « Moi, maintenant, j’attends soit ses excuses, soit sa citation en diffamation », lance-t-elle, bravache, sur BFM-TV le 7 novembre, faute de pouvoir déposer plainte elle-même, les faits d’agression sexuelle qu’elle dénonce étant prescrits depuis 2013.

L’assignation de Pierre Joxe partie, la bataille de crédibilité se tiendra donc devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, celle du droit de la presse. Alors que les mémoires fragiles seront mises à l’épreuve, les juges s’attacheront à répondre aux seules questions dont ils sont saisis : les propos tenus par Alexandra Besson sont-ils diffamatoires ? A-t-elle des éléments pouvant prouver ce qu’elle avance ? A défaut, s’est-elle exprimée avec prudence, en l’absence d’animosité personnelle, sur la base de faits proches de la vérité ? En résumé, est-elle de bonne foi ?

Le choix du conseil de Pierre Joxe d’engager une procédure civile rend plus difficile la citation de témoins, mais l’avocat d’Alexandra Besson entend bien amener plusieurs d’entre eux à la barre. Tel l’ancien officier de sécurité de l’ex-ministre Eric Besson. C’est lui qui donne le nom de Pierre Joxe à Alexandra Besson, au baisser de rideau, lorsqu’elle bondit de son siège pour lui demander de se renseigner sur l’identité de son voisin de fauteuil. Mais aussi le service du protocole de l’Opéra de Paris, auprès duquel l’officier de sécurité se serait renseigné. L’avocat pourrait également citer les parents de la jeune fille à qui elle a raconté la scène, le soir même. Tout comme d’autres témoins ayant pu se rapprocher de la jeune femme depuis le début de l’affaire.

Suppression de l’intégralité de ses accusations en ligne

Qu’Alexandra Besson et Pierre Joxe se soient retrouvés côte à côte, « c’est fort possible », admet l’avocat de Pierre Joxe. « Et alors ? » Pour lui, cela n’est en aucune façon la preuve d’une main baladeuse. « M. Pierre Joxe démontrera que les déclarations de Mme Alexandra Besson à son encontre sont mensongères », insiste-t-il dans son assignation. Lui soulignera les failles du récit. « L’officier de sécurité n’a rien vu. Le père n’était pas là. (…) Si on fait l’analyse des propos de cette dame, il y a des contradictions, plaide-t-il déjà. Elle parle d’entracte, alors qu’il n’y en a pas. Et puis, le rang VIP, à l’Opéra Bastille, est l’un des rangs les plus exposés. Il ne fait pas noir. » Il rappelle également l’existence de cette tribune d’une vingtaine de femmes publiée sur le site de France Bleu Bourgogne quelques jours après les accusations. Des collaboratrices de l’ancien ministre – anciennes ou actuelles – ont, en effet, diffusé une lettre ouverte, où elles réaffirmaient « sans réserve la confiance qu’il [leur] a de tout temps inspirée ».

Pierre Joxe demande un euro à titre de dommages et intérêts, la publication d’un communiqué judiciaire sur le blog de la jeune femme et, surtout, la suppression de l’intégralité de ses accusations en ligne. Car désormais, en tapant son nom sur Internet, ce n’est plus son passage à la Cour des comptes ou au Conseil constitutionnel, ni même sa nouvelle vie d’avocat auprès des mineurs délinquants qui apparaît, mais ces soupçons d’agression sexuelle. Sur cinq pages.