Haneke, Coppola, Polanski… Les pièces du puzzle cannois
Haneke, Coppola, Polanski... Les pièces du puzzle cannois
Par Thomas Sotinel
Trois semaines avant l’annonce de la sélection officielle du 70e festival, revue de détail des forces et films en présence.
Le symbole de la Palme d'Or, lors d’une conference donnée pour la 69e édition du festival de Cannes, en 2016. | REGIS DUVIGNAU/REUTERS
C’est un divertissement qui revient à chaque printemps sur la planète cinéma : assembler le puzzle que constitue le programme du 70e Festival de Cannes, organisé du 17 au 28 mai. Pour l’instant, on ne dispose avec certitude que d’un coin : la présidence du jury, qui a échu à Pedro Almodovar. En attendant le 13 avril, date à laquelle Thierry Frémaux, délégué général du Festival, donnera la quasi-totalité des films retenus pour la sélection officielle (compétition pour la Palme d’or, hors compétition et Un certain regard), voici un inventaire des pièces dont disposent les sélectionneurs. Avant de l’entamer, il faut se souvenir que ce puzzle n’obéit pas aux règles habituelles du jeu : il y a plus de pièces que d’emplacements et certaines d’entre elles n’ont pas été rangées dans la bonne boîte. Surtout si l’on se contente, comme ici, de se limiter aux éventuels participants à la course à la Palme. Les autres sections (Un certain regard, Quinzaine des réalisateurs, Semaine de la critique) jouissant d’une plus grande liberté de choix.
Hypothèses tricolore
Parmi les productions françaises qui sont prêtes (ou qui font tout pour l’être d’ici le mois de mai), on trouve une vingtaine de films d’auteurs qui ont déjà concouru pour la Palme d’or. Honneur d’abord à ceux qui l’ont déjà remportée : Happy End de Michael Haneke, avec Jean-Louis Trintignant et Isabelle Huppert, portrait de famille tourné à Calais ; D’après une histoire vraie, de Roman Polanski, avec Eva Green et Emmanuelle Seigner sur un scénario d’Olivier Assayas, d’après le roman de Delphine Le Vigan ; L’Atelier, de Laurent Cantet, avec Marina Foïs et le nouveau venu Matthieu Lucci, qui met en scène un atelier de scénario ; Mektoub Is Mektoub, d’Abdellatif Kechiche, transposition du roman La Blessure, de François Bégaudeau « dans un pays méditerranéen »).
Les autres réalisateurs retenus en compétition par le passé : Jacques Doillon (Rodin, avec Vincent Lindon) ; André Téchiné (Nos années folles, avec Pierre Deladonchamps et Céline Sallette) ; Mathieu Amalric (Barbara, avec Jeanne Balibar) ; Arnaud Desplechin, au sujet duquel Thierry Frémaux a couché sur le papier ses regrets de ne pas l’avoir sélectionné en 2015 (Les Fantômes d’Ismaël, avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg) ; Michel Hazanavicius qui pourrait déclencher une guerre civile dans la critique française si Le Redoutable, adapté du livre d’Anne Wiazemsky, avec Louis Garrel dans le rôle de Jean-Luc Godard, est à la hauteur des attentes des uns et des craintes des autres ; Robert Guédiguian qui réunit son trio d’élection (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan) pour en faire une fratrie dans La Villa, tourné dans les calanques près de l’Estaque ; François Ozon, qui présentait Frantz à Venise en septembre 2016, est en train de mettre la dernière main à L’Amant double, pour lequel il a retrouvé Marine Vacth ; Xavier Beauvois a lui terminé Les Gardiennes qui réunit Nathalie Baye et Laura Smet pendant la Première Guerre mondiale ; Eric Zonca revient avec un film dont le titre, Fleuve noir, laisse deviner le genre (avec Vincent Cassel et Romain Duris) ; enfin Claire Denis, qui n’a plus participé à la compétition depuis son premier long-métrage, Chocolat, en 1988, est prête avec Des lunettes noires, écrit par Christine Angot, avec Juliette Binoche entourée de Gérard Depardieu, Xavier Beauvois, Valeria Bruni Tedeschi ; Mahamat Saleh Haroun est tchadien (il est même depuis peu ministre de la culture de son pays), on le glisse dans ces paragraphes parce qu’il a tourné Une saison en France (histoire d’un réfugié à qui on refuse l’asile) en France, avec Sandrine Bonnaire.
Louis Garrel dans « Le Redoutable » de Michel Hazanavicius. | Studio Canal
Parmi les éventuels nouveaux venus en compétition, Serge Bozon (Madame Hyde, avec Isabelle Huppert), Emmanuel Finkiel (La Douleur, d’après Marguerite Duras, avec Mélanie Thierry et Benoît Magimel), Anne Fontaine (Marvin, inspiré de l’itinéraire d’Edouard Louis, avec Finnegan Oldfield et Isabelle Huppert) et Robin Campillo (120 Battements par minute, chronique de la vie de l’association Act Up dans les années 1990, avec Adèle Haenel).
Contingent hollywoodien
Le deuxième contingent que l’on scrute à la loupe en pareille circonstance est en provenance de Hollywood. On sait déjà que Sofia Coppola a terminé son remake des Proies, de Clint Eastwood, avec Elle Fanning et Nicole Kidman dans les rôles principaux. Todd Haynes a réalisé Wonderstruck, adaptation d’un roman de l’auteur de Hugo Cabret, Brian Selznick, avec Michelle Williams et Julianne Moore, financé par Amazon, pendant que War Machine, satire de la guerre en Afghanistan réalisée par l’Australien David Michôd, avec Brad Pitt, est une production Netflix (qui ferait ainsi ses débuts en compétition). A Hollywood, on se demande aussi si Alexander Payne reviendra sur la Croisette avec Downsizing, fable swiftienne dans laquelle le héros (Matt Damon) réduit sa propre taille pour faire face à ses infortunes économiques. Egalement terminés The Wall, de Doug Liman (un sniper américain – Aaron Taylor Johnson – coincé sous le feu ennemi en Irak), et Suburbicon, de George Clooney, avec encore Matt Damon, sur un scénario des frères Coen. On attend aussi avec curiosité Under The Silver Lake, film noir de David Robert Mitchell dans lequel jouent Andrew Garfield et Riley Keough – on avait remarqué le cinéaste à la Semaine de la critique avec It Follows.
THE BEGUILED Official Trailer (2017) Colin Farrell, Sofia Coppola Drama Movie HD
Durée : 01:46
Il y a aussi les films tournés par des étrangers aux Etats-Unis, comme Kings, de Deniz Gamze Ergüven, avec Halle Berry et Daniel Craig, dans lequel la réalisatrice turque met en scène les émeutes de 1992 à Los Angeles (pendant qu’un autre candidat possible, l’Untitled Detroit Project, de Kathryn Bigelow, avec John Krasinsky et John Boyega, est situé pendant le soulèvement de 1967 dans la capitale de l’automobile). Le Grec Yorgos Lanthimos a tourné The Killing of A Sacred Deer, avec Nicole Kidman, Alicia Silverman et Colin Farrell, la Britannique Lynne Ramsay You Were Never Really Here avec Joaquin Phoenix et le Suédois Ruben Ostlund The Square, avec Dominic West et Elisabeth Moss.
Corée, Amérique Latine, Russie, Norvège...
Et puis, et surtout, il y a le reste du monde. De Corée, on attend La Caméra de Claire, qui marque les retrouvailles de Hong Sang-soo et Isabelle Huppert, et Okja, de Bong Jon-Hoo avec Jake Gyllenhaal et Tilda Swinton (autre production Netflix). Naomi Kawase a terminé Hikari dans lequel elle met en scène un caméraman souffrant de troubles de la vision.
En Amérique latine, il semble bien que Carlos Reygadas soit en mesure de présenter Donde Nace la Vida, dans lequel il se met lui-même en scène, et qu’il a tourné dans les élevages taurins de Tlaxcala. En revanche Zama, le nouveau film de l’Argentine Lucrecia Martel (son premier depuis 2008) est exclu de la compétition parce que produit par El Deseo, la société des frères Almodovar.
En Russie, Andreï Zviaguintsev a tourné Loveless qui décrit – dixit la société de ventes internationales du film – « une humanité brutale et sans pitié », pendant que Sergei Loznitsa a préféré la Lettonie pour Une femme douce (qui semble être, comme le film homonyme de Robert Bresson, adapté d’une nouvelle Dostoïevski transposée à l’époque contemporaine). Les réfugiés et les migrants qui seront encore des figures omniprésentes à l’écran (mais pas dans les rues) reviennent dans Superfluous Man du Hongrois Kornel Mundruczo pendant que Fatih Akin a situé In The Fade dans la communauté turque de Hambourg. Stephen Frears fait se rencontrer la reine d’Angleterre (Judy Davis) et un fonctionnaire indien (Ali Fazal) dans Victoria and Abdul. De Scandinavie arrivent Thelma, du Norvégien Joachim Trier, et Euphoria, de Lisa Langseth, qui permet à la réalisatrice suédoise de retrouver Alicia Vikander, qu’elle a révélée dans Pure.
Si la règle non-écrite qui exclut les documentaires de la course à la Palme d’or est reconduite cette année, on pourrait retrouver hors compétition 12 Jours, de Raymond Depardon, sur l’internement d’office, L’Honorable W. de Barbet Schroeder, dernier volet de sa trilogie du mal, tourné en Birmanie, et Visage, visage, d’Agnès Varda et JR.
Fionn Whitehead dans « Dunkerque », de Christopher Nolan. | Melinda Sue Gordon / Melinda Sue Gordon
Il faut aussi évoquer le statut de deux œuvres destinées à la télévision, Jeannette, de Bruno Dumont, comédie musicale mettant en scène Jeanne d’Arc, d’après Péguy, destinée à Arte, et le pilote de la nouvelle série de Twin Peaks, de David Lynch. Selon les sources d’informations, leur statut pourrait ou non empêcher leur participation à la compétition pour la première, au festival pour la seconde.
En ouverture, on pourrait – pour célébrer l’amitié franco-britannique – découvrir le Dunkerque, de Christopher Nolan. Woody Allen, s’il vient avec Wonder Wheel, tourné à New York, situé dans les années 1950, avec Kate Winslet et Justin Timberlake, le fera comme d’habitude hors compétition. Enfin, à en croire les échos sur Logan Lucky, qui marque le retour de Steven Soderbergh au cinéma, le film – une histoire de braquage pendant une course NASCAR, avec Adam Driver, Channing Tatum et Riley Keough – relève plutôt de la veine Ocean’s Eleven de l’auteur, ce qui pourrait lui permettre de revenir lui aussi hors compétition. Jean-Luc Godard a terminé Images et Paroles ; son dernier film, Adieu au langage, en 2014, avait été projeté à Un certain regard.
Rien de tout ceci n’est certain, sauf la présence d’Isabelle Huppert.