Un cimetière éphémère pour honorer les morts de la rue
Un cimetière éphémère pour honorer les morts de la rue
A Paris, et comme à chaque printemps depuis quinze ans, un collectif a rendu hommage à ces centaines de femmes, d’hommes et d’enfants, disparus parfois de manière anonyme.
Boris Séméniako pour « Le Monde »
Une cloche sonne. Toutes les demi-heures, le son retentit et les noms des défunts sont lus par trois membres du Collectif Les Morts de la rue, qui se relaient sur un podium installé place du Palais-Royal, à Paris : « Yann, 62 ans, le 3 août 2016 à Nantes ; Ali Z., 82 ans, à Lille ; un bébé, 3 semaines, le 17 février 2016 à Bondy… »
Devant l’estrade sobre et fleurie, des rangées de tapis verts, ornés chacun de six pots de fleurs à côté desquels sont placées des plaques portant le nom et l’âge du défunt ainsi que la date, parfois approximative, et le lieu du décès. En ce mardi 21 mars, le ciel est plutôt gris et un petit vent frais caresse les visages. Une météo qui contraste avec l’effervescence et la chaleur humaine émanant de ce cimetière éphémère.
Tandis que certains bénévoles portent des tee-shirts blancs avec le nom du collectif, d’autres arborent un badge. Pour Odile, membre du collectif depuis trois mois, cet hommage est une nécessité : « C’est une manière d’apporter à ces personnes une reconnaissance. Ainsi, elles ne seront pas mortes dans l’indifférence. »
Eviter la récupération politique
Au lendemain du débat entre les principaux candidats à l’élection présidentielle, l’hommage est forcément politique. Il est l’occasion de rappeler le quotidien extrêmement difficile des SDF. Métro, cabane, parking : les lieux des décès sont parfois improbables, et la mort a souvent été violente.
Si 501 morts ont été signalés au Collectif, en France métropolitaine et dans les territoires d’outre-mer, ce nombre serait loin de la réalité : il y aurait six fois plus de décès dans la rue, estime l’association, qui a adressé des courriers aux candidats afin de les alerter sur la situation, tout en leur demandant de ne pas venir, afin d’éviter toute récupération politique en cette période de campagne électorale.
Place du Palais-Royal, à Paris, des roses rouges, blanches et orange sont mises à la disposition des passants qui souhaitent en déposer devant les stèles qui honorent les « morts de la rue ». | Assa Diarra
« Il faut inciter le gouvernement à se préoccuper des gens qui vivent dans la rue, affirme Seydi Karamo, bénévole à l’association Cœur du cinq, dans le 5e arrondissement de Paris. La rue, c’est le danger. On peut très vite se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. » Lui qui, jadis, dormait sur des cartons à Châtelet, juge important d’être présent. Un point de vue partagé par Jean, bénévole au sein de l’association Autremonde, un centre d’accueil de jour dans le 20e arrondissement. Il salue la démarche, même s’il reste sceptique quant à son impact réel sur les politiques.
Invitations à l’échange
« C’est bien, ce que vous faites ! » lance une passante à Seydi Karamo. L’hommage, qui se veut poétique, se tient toujours au printemps. Un atelier d’écriture a été mis en place, en face de la bouche de métro Palais-Royal-Musée-du-Louvre, afin d’échanger et de déconstruire les préjugés.
On peut y voir des panneaux, disposés en cercle, invitant les badauds à s’exprimer : « Si j’étais président… », « Un truc à dire… », « Idées reçues vs. Réalité », « Pour moi, la rue c’est… » Autant d’invitations à l’échange qui portent leurs fruits, puisque des bénévoles, des passants entament volontiers la discussion, mais aussi des sans-abri, à l’image de Gérard : « C’est important d’avoir un événement comme celui-ci pour pouvoir se rassembler… », confie-t-il.
Des roses sont distribuées, puis laissées à la disposition de celles et de ceux qui voudraient en déposer devant les stèles du jour. Des artistes de rue déambulent dans les allées et vont à la rencontre des curieux qui interrogent du regard, sous les airs de musique qui s’envolent de l’orgue de Barbarie de Riton la Manivelle, figure de Belleville.
Place du Palais-Royal, à Paris, des artistes de rue déambulent dans les allées, entre les plaques portant le nom des « morts de la rue ». | Assa Diarra
Un homme reste prostré devant un tapis. On devine l’émotion derrière ses petites lunettes rondes. « Il y a tellement de copains qui sont morts dans la rue, à Paris ou ailleurs… Venir ici, c’est les honorer », dit Samuel, vice-président de la bagagerie pour SDF du 5e arrondissement.
Un hommage qui permet de mettre en lumière ces ombres devant lesquelles nous passons chaque jour. « En honorant les morts, nous agissons pour les vivants », déclare une bénévole.