Des chameaux et des chèvres sont à vendre sur le marché au bétail d’Hargeisa (deuxième plus grande ville de Somalie). La sécheresse à provoqué un ralentissement des échanges et une baisse des prix des bêtes. | Andrew Renneisen pour "Le Monde"

Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) en charge de l’Afrique, est consultant pour de nombreux organismes internationaux et nationaux d’aide au développement (Banque mondiale, Commission européenne, Programme des Nations unies pour le développement...)

Il souligne la faible mobilisation de l’opinion publique vis-à-vis de la famine qui menace actuellement 20 millions de personnes, en raison de la sécheresse et des guerres au Nigeria, en Centrafrique, en Somalie, au Soudan du Sud, en Ethiopie et au Yémen.

Peut-on mesurer les impacts économiques de la sécheresse ?

Philippe Hugon C’est difficile et il faut toujours être prudent sur la question des imputations d’un phénomène. Il faut comprendre qu’il y a le rôle de la sécheresse mais aussi d’autres facteurs qui se combinent. C’est l’ensemble de ces facteurs qui détermine aujourd’hui une situation de très forte malnutrition, d’exclusion d’une partie de la population qui se traduit par des maladies spécifiques liées notamment au manque d’eau potable. Il faut être prudent sur les facteurs qui finalement s’enchevêtrent.

Il y a aujourd’hui des situations dramatiques, notamment au Soudan du Sud et en Somalie, où il est difficile d’isoler le seul facteur sécheresse puisque ces pays sont en guerre. Les facteurs agravants dans cette zone sont davantage liés aux conflits qu’à la sécheresse. La Somalie est en grande partie contrôlée par les Chabab. La situation empire, parce que la sécheresse réduit la production, fait monter les prix et une partie de la population se retrouve insolvable, et donc exclue. Il faut y ajouter le fait que les produits alimentaires ont beaucoup de mal à circuler : à cause de la guerre et parce que des rentes sont prélevées.

Peut-on quantifier le coût de cette famine ?

Je ne suis pas sûr qu’on puisse déterminer le coût de cette famine, ni même le nombre d’Africains menacés. Il y a parfois des effets d’annonce pour mobiliser les opinions et débloquer des aides. Mais sur le terrain, on voit que c’est beaucoup plus complexe.

Ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il faut maintenant privilégier des logiques de prévention, d’anticipation. Comme il est possible d’anticiper la sécheresse, il faut des politiques de stockage, des aides à la diversification agricole. Il faut aussi distinguer les agricultures qui sont irriguées des autres. Pour se débarrasser de la famine, il faut donc combiner plusieurs facteurs.

Sur le plan économique, quels pays sont les plus touchés ?

Deux grands pays en guerre vivent une situation catastrophique. Il s’agit du Soudan du Sud, où plus de 7,5 millions de personnes sont dans le besoin, auxquelles s’ajoutent 3,4 millions de déplacés. L’économie pétrolière tourne au ralenti, puisqu’il n’y a pas de pipe-lines pour évacuer le pétrole vers le Kenya, et qu’il faut passer par Port-Soudan. Nous sommes dans la situation d’un Etat failli et d’un niveau de sous-développement économique qui doit être l’un des plus dramatiques d’Afrique.

La Somalie est également touchée, mais malgré le fait que le pays n’a pas non plus d’Etat puisqu’il est dirigé par les Chabab et qu’il n’y a pas de contrôles du territoire, il existe une économie parallèle ou de contrebande. Mais dans ce pays, les conflits interdisent quasiment l’aide alimentaire, ou alors il faut composer avec eux pour l’acheminer. D’autres pays comme Djibouti, le Kenya ou l’Ouganda vont être atteints au niveau de leurs récoltes, parce qu’ils produisent essentiellement des céréales : maïs, sorgho, riz...

Cette sécheresse peut-elle réveiller d’anciens conflits ou en créer de nouveaux ?

La sécheresse est souvent un un facteur de conflictualité parce que les points d’eau se réduisent et provoquent des tensions entre agriculteurs et éleveurs. Tous les conflits africains ont une base locale entre des groupes qui ont des droits et d’autres qui n’en ont pas. La sécheresse va donc raviver des conflits, également parce qu’elle va entraîner des migrations, des vagues de réfugiés. Ces migrants environnementaux peuvent ensuite être des sources de conflit, car ils risquent de réveiller de la xénophobie.

On n’a pas de conflit inter-étatique aujourd’hui en Afrique, même s’il est potentiel entre l’Ethiopie et l’Erythrée et entre l’Ethiopie et l’Egypte à propos de l’eau du Nil. La sécheresse va exacerber les tensions déjà existantes ou en créer d’autres.

L’ONU a actuellement du mal à trouver des fonds. Est-il si difficile aujourd’hui créer une mobilisation sur ce thème ?

Au niveau mondial, il n’y a pas de problème de mobilisation des fonds. Mais il est vrai que le Soudan du Sud ne mobilise pas beaucoup les opinions publiques. Quant à la guerre en Somalie, elle dure depuis très longtemps. La communauté baisse un peu les bras [environ 4,4 milliards de dollars, soit 4 milliards d’euros, sont jugés nécessaires pour endiguer cette crise, mais seulement 10 % de cette somme a été collectée].

Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, on est dans un contexte qui devient extrêmement nationaliste, avec une politique « America First » [L’Amérique d’abord] depuis l’élection de Donald Trump.

L’aide française a aussi baissé. On n’est pas à 0,7% du PNB, mais aux alentours de 0,3%. Dans la campagne présidentielle, on entend très peu parler des aides [aux populations menacées de] famine. En ce moment, on n’est pas dans un monde où la solidarité est très forte.