Les OGM bannis par la majorité des pays européens
Les OGM bannis par la majorité des pays européens
Par Audrey Garric, Pierre Le Hir
Seize Etats membres ont demandé l’interdiction de cultiver des semences transgéniques sur leur territoire, au titre d’une nouvelle directive européenne.
Une action de militants anti-OGM sur le site de Monsanto à Trèbes, en janvier 2014. | REMY GABALDA / AFP
Après des années de blocage et de manœuvres en coulisses, les pays anti et pro-OGM dévoilent leur jeu en Europe. Seize Etats membres de l’Union ont demandé, ces dernières semaines, l’interdiction de cultiver des organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire. La France, l’Allemagne, la Bulgarie, Chypre, la Lettonie, la Grèce, la Croatie, l’Autriche, la Hongrie, la Pologne, les Pays-Bas, la Lituanie, l’Italie et le Danemark ont déjà formulé cette demande auprès de la Commission européenne, ainsi que le Royaume-Uni au nom de l’Ecosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord, et la Belgique pour la Wallonie. La Slovénie pourrait leur emboîter le pas, avant samedi 3 octobre, date-butoir fixée par la nouvelle directive européenne sur le sujet, entrée en vigueur en avril.
Le nouveau texte, qui visait à sortir de l’impasse dans laquelle se trouvait l’Europe vis-à-vis de ce dossier brûlant, laisse le choix aux Etats membres d’autoriser ou d’interdire la culture des OGM sur leur territoire, et ce, en amont de la procédure d’autorisation menée par la Commission européenne et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Lire : La culture des OGM facilitée dans l’Union européenne
Neuf dossiers de maïs OGM en attente d’une autorisation
Jusqu’à présent, les Etats « anti-OGM » ne pouvaient interdire les cultures transgéniques sur leur territoire qu’après leur autorisation à l’échelle européenne, en prenant des clauses de sauvegarde ou des mesures d’urgence pour des motifs environnementaux et sanitaires. Une procédure très fragile juridiquement : la France a, par exemple, été attaquée à trois reprises sur ses moratoires – le dernier pourvoi introduit par les industriels étant toujours examiné par le Conseil d’Etat.
Avec la nouvelle directive, les Etats qui souhaitent bannir des OGM doivent en faire la demande auprès des semenciers, sous la houlette de la Commission, afin d’être retirés du périmètre de culture. C’est ce que la France a fait le 17 septembre, en transposant dans le droit français la directive européenne. Paris a ainsi demandé à exclure de son territoire les 9 dossiers d’OGM en attente d’autorisation au niveau européen : le MON810 de Monsanto (deux demandes, pour son autorisation et son renouvellement), le TC1507 de Pioneer, proposé par la Commission en 2013 sous la pression d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que six autres maïs de Monsanto, Pioneer et Syngenta. Les entreprises de biotechnologie ont maintenant trente jours pour donner leur réponse (ou s’abstenir, ce qui est considéré comme une approbation).
En cas d’opposition de ces dernières, la France, à l’image des autres gouvernements européens, pourra interdire les plantes sur son sol en invoquant différents motifs, notamment de politique agricole, d’aménagement du territoire ou des conséquences socio-économiques.
Lire : OGM : tout comprendre au nouveau cadre européen
Accélérer la mise en culture de semences
« Le nouveau texte simplifie la procédure pour interdire les OGM. Reste à voir si elle fonctionne, notamment la phase de négociations entre les Etats et les semenciers, prévient Pauline Verrière, juriste à l’association Inf’OGM. On peut également craindre des recours devant l’Organisation mondiale du commerce, cette dernière pouvant sanctionner des décisions politiques basées sur des arguments socio-économiques et non scientifiques. Surtout, il existe un risque de multiplication des dossiers d’autorisation au niveau européen. »
Une action de militants anti-OGM sur le site de Monsanto à Trèbes, en janvier 2014. | REMY GABALDA / AFP
Car l’objectif de la nouvelle directive était, en laissant la liberté à chaque Etat de se prononcer pour son territoire, d’empêcher les blocages au niveau communautaire. Ceux-ci ont conduit à ce qu’un seul OGM soit actuellement cultivé en Europe : le maïs MON810. Cette semence est plantée presque exclusivement en Espagne, avec 132 000 hectares en 2014, ainsi qu’un peu au Portugal (8 500 ha). En 2015, les surfaces de MON810 ont considérablement diminué dans les trois autres pays qui le cultivent : en République tchèque (997 ha), en Slovaquie (105 ha) et en Roumanie (2,5 ha), selon les comptes d’Inf’OGM.
La nouvelle législation va donc certainement accélérer la mise en culture de semences transgéniques sur le sol européen. Le porte-parole santé et environnement de la Commission précise ainsi que la latitude laissée aux Etats membres de s’opposer à ces cultures « ne change rien aux avis scientifiques de l’EFSA, selon lesquels les OGM ne présentent pas de risque pour l’environnement et la santé ».
« Décision démocratique »
Pour l’heure, les ONG se félicitent de la volonté d’une majorité de pays européens de prohiber la culture des OGM sur leur sol. « C’est un mouvement de masse, à la fois politique et citoyen, qui montre qu’un nombre croissant d’Etats membres ne font pas confiance aux évaluations conduites par l’Union européenne et prennent des mesures, à juste titre, pour protéger leur agriculture et leur alimentation », estime Anaïs Fourest, de Greenpeace France. Les pays et régions qui ont d’ores et déjà signifié leur intention d’interdire les cultures transgéniques « représentent 65 % de la population de l’UE et 66 % de ses terres arables », souligne-t-elle.
« Il n’y a jamais eu un signal aussi clair que les cultures génétiquement modifiées, et les entreprises qui les produisent, ne sont pas bienvenues en Europe », renchérit Mute Schimpf, des Amis de la Terre Europe, dans un communiqué. Elle ajoute : « La décision démocratique des pays de bannir les cultures OGM doit être respectée par l’industrie des biotechnologies. »
Reste que le dossier des OGM en Europe est loin d’être clos. En particulier, la question des « zones tampons » à mettre en place pour éviter des contaminations frontalières, entre un pays ouvert aux cultures transgéniques et son voisin les refusant, n’est toujours pas réglée. Quant à la révision des procédures d’évaluation et d’autorisation, réclamée depuis des années par les ministres européens de l’environnement, elle est toujours en suspens.