LA LISTE DE NOS ENVIES

Récit, polar ou témoignages, les critiques du « Monde des livres » ont sélectionné trois ouvrages cette semaine.

TÉMOIGNAGES : « La Guerre et après… », de Pauline Maucort

Dans La Guerre et après…, neuf militaires français racontent leur quotidien en Afghanistan, au Mali et en Centrafrique. A la manière de William March, auteur de Compagnie K (Gallmeister, 2013), classique américain de la Grande Guerre, Pauline Maucort a varié les profils : psychologue de l’armée, marsouin, légionnaire kazakh, tireur d’élite, caporal infirmier. Elle a également diversifié les modes de narration : sous forme de carnet pour un capitaine de légion, de lettre au frère pour un caporal-chef, de dialogue avec la journaliste pour une mère célibataire.

Pour retranscrire leurs confessions, parfois livrées au détour d’une anecdote ou entre les lignes d’un carnet, l’auteure a dû procéder à un important travail de réécriture. Avec sensibilité, et la plume alerte, elle parvient à narrer avec justesse l’ennui, les frustrations, les humiliations et les abus. A travers leurs regards, on lit aussi la fierté d’appartenir à « l’armée la plus civilisée du monde ».

Sur les bases militaires américaines, à l’intérieur d’un véhicule blindé de l’avant avec des légionnaires pris de panique ou dans la chambre d’enfant du soldat gagné par l’angoisse après six mois d’« Afgha », Pauline Maucort donne à chaque fois l’impression d’avoir suivi le combattant au plus près. Au total, un livre tranchant sur l’armée française aujourd’hui. Antoine Flandrin

LES BELLES LETTRES

La Guerre et après…, de Pauline Maucort, Les Belles Lettres, « Mémoires de guerre », 302 p., 21 €.

POLAR : « Profil perdu », d’Hugues Pagan

Peu d’amis, pas de femme ni de famille. L’inspecteur Schneider, chef du groupe criminel d’une ville de province, roule dans une Lincoln Continental, lit Virginia Woolf et interprète au piano quelques morceaux de blues. Le lendemain du réveillon 1979, le voici chargé d’enquêter sur l’embuscade tendue à l’un de ses collègues des stups. Celui-ci est entre la vie et la mort, après un rendez-vous avec un mystérieux motard dans une station-service.

En peinture, l’expression « profil perdu », titre du dixième polar d’Hugues Pagan, désigne une silhouette fuyante dont on aperçoit quelque peu le visage. Schneider, de fait, appartient à la catégorie des écorchés vifs qui, hantés par leur passé, se dérobent à tous. « Les vivants, comme les morts, ont droit à l’oubli », rappelle-t-il sèchement à son adjoint un peu trop curieux. Ex-para traumatisé par la guerre d’Algérie, ce policier intransigeant est estimé par ses hommes et détesté par les autres : les flics qui tabassent les prévenus, son supérieur hiérarchique qui doit ses galons aux services rendus au sein du Service d’action civique (SAC), la police parallèle de De Gaulle.

ll y a de la rage et du désabusement chez ce lonesome cowboy. Face à l’absurdité et à la bêtise, Schneider ne rit pas. Il ricane. Jusqu’au jour où il s’éprend d’une infirmière nommée Cheroquee. Sans doute l’ultime chance de bonheur pour ce « loup gris efflanqué, affamé d’elle ». Avec Profil perdu, Hugues Pagan signe une foudroyante histoire d’amour. Macha Séry

RIVAGES

Profil perdu, d’Hugues Pagan, Rivages, 412 p., 19,90 €.

RÉCIT : « La terre qui les sépare », d’Hisham Matar

En 1990, Jaballa Matar, opposant au régime de Mouammar Khadafi réfugié avec sa famille en Egypte, a été enlevé puis emprisonné en Libye. Son fils, Hisham Matar, avait alors 19 ans. Il ne reverrait plus jamais son père. Pendant quelque temps, ses proches ont reçu des lettres de la prison d’Abou Salim, puis plus rien.

En 2011, après la révolution et la chute de Kadhafi, les manifestants ont pris d’assaut la prison et libéré les détenus. Mais le père d’Hisham Matar restait introuvable. Etait-il toujours vivant ? Sinon, quand et comment avait-il été tué ? Et pourquoi lui, le fils, n’a-t-il pas eu conscience du moment où son père est mort ? Il s’envole pour Tripoli, plus de trente ans après en être parti.

L’obsession d’Hisham Matar se ressent ici dans le rythme du récit, tantôt nerveux et angoissant, tantôt tranquille et contemplatif, mais aussi dans sa structure même, qui épouse le balancement de la mémoire et des pensées de l’auteur. Traçant librement son chemin entre les époques et les lieux, créant des connexions inattendues, l’écriture de Matar entraîne le lecteur dans sa quête de sens. Gladys Marivat

GALLIMARD

La terre qui les sépare (The Return. Fathers, Sons and Land in Between), d’Hisham Matar, traduit de l’anglais par Agnès Desarthe, Gallimard, « Du monde entier », 336 p., 22,50 €.